Citations de Jean d` Amérique (163)
C'est rituel depuis longtemps. Je me lave.parce que vêtue des traces d'une sale vie. Parce que mon ciel traîne sous des nuages boueux. Je me lave. J'ai appris à me laver,me laver malgré tout.
Par manque de caresses, nos corps s’adonnent au langage des décombres. Nos pas s’effacent dans les contrées de la vie, laissant la poussière se conjuguer. À l’appel du quotidien, point de mots pour dire les péripéties de la quête de survie. Entre le besoin de conquérir une parcelle de vie, de voir advenir un lendemain meilleur et l’envahissement de la crasse, le mur des inégalités sociales dressé devant nous, entre l’espoir de vivre autrement et la marge qu’on nous impose d’habiter, l’éternel cycle du mépris, il y a forcément un besoin de mourir. Nous sommes des êtres en agonie, comme des yeux sous l’emprise d’un orage de poussière.
Je guette encore la page, j’insiste, j’invite le chant à s’accoupler à ma voix : comment épeler, par-delà les alphabets du vide, ce sentiment qui bouillonne dans mon sens.
Qu’ai-je fait de ma lumière humaine ?
hublot d'infinis
et d'ailes déboussolées, je vogue au fil des mondes,
l'imaginaire prompt à l'embrasure des vents
d'ailleurs,
ces fenêtres de chute
chanson de fumée qui parle aux boulevards
enfermés dans les traces,
je salue chaque peau
comme un rêve d'incandescence à l'horizon
des mains
chaque visage me conte un brasier singulier,
pour m'en brûler je révoque le sort des mégots
p.37
tous les pays blessés
ont une place sous ma peau
j'ouvre les yeux
l'espoir est un café rouge
dans mes matins fêlés
je marche
mes pas dessinent mon néant
p.14
Moi, Tête Fêlée, allégorie des mille et une peines du ghetto… Ma quête de symphonie vitale échoue. La voix naufragée, maintenant, mon souffle résonne dans une spirale de maux. Étrange cacophonie. Mon nom est un poème de fin du monde.
Des lueurs corrosives emprisonnent les bords de ma vie, me rongent jusque dans les profondeurs. Peau livrée au chant des épines, je suis comme enfouie dans un immense labyrinthe et ne sais d’où viendra enfin une brèche pour m’esquisser un horizon. Telle une bougie s’imposant des larmes mortelles, me voici trafiquée dans les halos de la violence, je force mon regard jusqu’à me saigner les yeux. Lacérée jusqu’au plus profond des entrailles, je dépose une épitaphe sur les fleurs massacrées de mon enfance. Voiles éraillées, ailes cassées dans les orages du temps.
Je suis jeune, je sais, j’ai des soleils à élever sur les bords de ma route. Mais, privée de ma part humaine, je n’aurais peut-être pas de cercueil pour ma soif de crever.
Dehors, le ciel ramasse ses dentelles.
La nuit arrose mes cauchemars jusqu’au bout du matin.
M’instruire ? Je suis bien instruite des dégâts de mon monde, de son allure décadente et de ses ébats obscènes qui traquent le dernier rempart humain. Je viens ici pour deux raisons : répondre au mensonge d’une société vendeuse de diplômes et surtout guetter la lune de ma vie, celle qui règle mes frissons.
Demain est une autre nuit.
Il n’y a à voir dans nos murs qu’un horizon figé. Rêves déboussolés qui ne peuvent parvenir à reformer le point d’envol. Saison éclipse dans les filets du temps. Les remous du siècle nous bouleversent mais toujours nos gestes sont réduits à ponctuer l’inertie. L’espace te dira bien la lourdeur du vide.
Je n’ai jamais compté sur cette vie pour vivre. Ce n’est pas un cercle illusoire comme l’école qui va m’arracher à cette marche. L’école est sans doute la plus sale des conneries, que nos mondes s’attachent pourtant à illuminer.[…]
M’instruire ? Je suis bien instruite des dégâts de mon monde, de son allure décadente et de ses ébats obscènes qui traquent le dernier rempart humain. Je viens ici pour deux raisons : répondre au mensonge d’une société vendeuse de diplômes et surtout guetter la lune de ma vie, celle qui règle mes frissons.
Le professeur creuse à fond sa réserve de salive et insiste pour qu’on le prenne au sérieux, comme si émanait de sa bouche l’heureuse géométrie de la vie. On sait quel schéma tracer, on résout tous les problèmes ici, on s’invente un monde d’imposture et on se met à y croire. Nous mettons ainsi des barricades sur nos propres sentiers, un gris rude devant nos rêves de blancheur. Milliers de mirages à l’embouchure de nos yeux. Tout ce qu’on apprend ici n’a rien à voir avec ce qui se passe ailleurs, en dehors de ce bâtiment. Comme si on allait rester planté dans l’univers scolaire. Comme si nous n’étions qu’épaves, n’ayant rien à foutre d’un esprit qui nous tiendrait debout face à la vie.
Je demande au vent d’emporter mon tourment, à l’océan de boire ma peine et à l’instant de me faire don d’idées claires. J’appelle l’aube à me donner la main.
Or on sait tous,par le sort habituel de ces douteuses traversées clandestines, que nulle arrivée ne saura se profiler. Nous ne sommes pas en voyage,nous sommes des corps perchés sur un destin de poussière d'où seul un grand miracle nous arrachera.
Ce n'était nullement rare qu'on ouvre sa porte au petit matin pour tomber sur un corps inerte profitant d'un bain de sang frais.
J’habite la Cité de Dieu, et ce n’est ni un film, ni un roman fantastique. Ici l’on voit les averses du dénuement sur les joues, les lignes brisées des regards, le gouffre dressé dans les yeux, les gueules qui se racontent au vide, le si lointain exil du pain, d’instruction ou de nutrition, les gosses sans soleil à l’horizon qui rampent dans l’ombre de la violence et qui deviendront des voyous pour se buter les uns les autres, bouffeurs de souffle, l’implacable putréfaction de la saison-plaie où l’on cherche un rayon de lumière, l’éternelle spirale infernale, le pays qui écrase les rêves, la jeunesse qui périt, les femmes agressées qui défilent, silencieuses, sur leurs blessures, couvant à jamais leurs mots sous le voile d’une honte générée par une société prétendument moderne.
Comme si le temps ne lui servait qu’à forer des trous au fond d’elle. S’y réfugie son âme au moindre souci. Se noyer, dit-elle, est le meilleur chemin pour tirer son auréole des abysses. Elle se lance dans ses flux d’éméchée pour saisir sa lumière, boit contre le temps et la vie qui trament sa douleur. Son corps devenu une fête pour l’alcool. Ma mère, cette pirogue voguant sur l’ivresse même…
Car j'habite ici je le sais un pays de silences
Ici les gens parlent mais crois-moi il n'y a pas de paroles
Les mots meurent et les langues brillent à être creuses
C'est un peuple élevé dans la culture du vide
Un peuple qui ne creuse pas