John Galsworthy

-On nous demande de faire la charité à la femme de cet homme et à ses enfants qui, nous dites-vous, dépendaient de lui pour vivre. Ils dépendaient de lui, c'est possible. Je ne m'occupe pas de savoir si c'est vrai ou non. Je fais une objection de principe. Il est grand temps de mettre un point d'arrêt à cet humanitarisme sentimental. Le pays en est dévoré. Je m'oppose à ce que l'on paie, avec mon argent, ces gens dont on ne sait rien, qui n'ont rien fait pour le gagner. Je m'oppose à toute idée de ce genre. Les affaires sont les affaires. Je propose donc qu'on reprenne le rapport et les comptes et qu'on supprime purement et simplement cette allocation.

L'idée fixe, qui fait commettre plus de crimes que tous les autres dérèglements de la nature humaine, n'est jamais plus redoutable que lorsqu'elle prend le masque de l'amour .

Et d'abord, dans la sécurité produite par un grand nombre de pacifiques mariages, on avait oublié que l'Amour n'est pas une fleur de serre, mais une plante sauvage, née d'une nuit de pluie, d'une heure de soleil, jaillie d'une graine folle qu'un vent de désordre a jetée sur la route, une plante sauvage que nous appelons fleur si par bonheur elle s'épanouit entre les haies de nos jardins, mauvaise herbe quand elle pousse au-dehors, mais qui, fleur ou mauvaise herbe, garde toujours la couleur et le parfum sauvage qu'elle avait dans les bois.

Les mères qui s'éventaient le visage avec lenteur observaient leurs filles et, dans leurs yeux, on eut pu suivre la fortune de celles-ci. Rester assises, d'heure en heure, mortes de fatigue, silencieuses ou parlant par à-coups, qu'importait aux mères, tant que leurs filles s'amusaient. Mais les voir négligées! Ah! Elles souriaient, mais il y avait des poignards dans leurs yeux comme dans ceux d'un cygne offensé; chacune eût voulu saisir un Gathercole par la ceinture de son pantalon de dandy et le traîner vers sa fille. L'impertinent !
Et tout le bien et le mal de la vie : cruauté pathétique injustice, abnégation, patience, figurait sur le champ de bataille de ce bal à Kensington.

Le regard qu'avait surpris June, qu'avaient surpris d'autres Forsyte, fut, comme à travers un trou dans une tenture, l'éclair d'une lumière qui passe, flamme subite jaillissant de ce qui n'était qu'une errante lueur, vague, obscure, attirante. Ceux qui le virent surent que des forces dangereuses étaient à l'oeuvre. Pendant un instant, ils le remarquèrent avec plaisir, avec intérêt ; puis ils sentirent qu'il ne fallait pas le remarquer complètement.

Mais la nuit, et pendant ses instants de loisir, il était ravagé par la pensée que le temps volait toujours, que la dépense ne cessait de croître, et que son avenir restait aussi incertain que jamais. (p. 263)

Emily n'avait que soixante dix-ans ! James en voulait à sa femme de sa jeunesse. Il se disait quelquefois qu'il ne l'aurait jamais épousée s'il avait pensé qu'elle dût avoir un jour tant d'années devant elle alors que lui-même en aurait si peu. Ce n'était pas naturel. Ce n'était pas naturel. Elle lui survivrait pendant quinze ou vingt ans, et ferait peut-être de grosses dépenses ; elle avait toujours eu des goûts extravagants. (p. 54)

Cette petite émotion qu'on appelle l'amour s'accroît d'une façon surprenante quand elle est menacée.

Tome troisième : À louer

« Or dans le sein fatal de ces deux ennemis
Deux amants prennent vie sous la mauvaise étoile. »
Shakespeare, Roméo et Juliette

«  Dans la sécurité produite par un grand nombre de pacifiques mariages, on avait oublié que l’Amour n’est pas une fleur de serre, mais une plante sauvage, née d’une nuit de pluie, d’une heure de soleil, jaillie d’une graine folle qu’un vent de désordre a jetée sur la route - une plante sauvage que nous appelons fleur si par bonheur elle s’épanouit entre les haies de nos jardins, mauvaise herbe quand elle pousse au dehors, mais qui, fleur ou mauvaise herbe, garde toujours la couleur et le parfum sauvage qu’elle avait dans les bois. »

L’aversion est une chose plus profonde que l’amour et la haine, parce que c’est un effet naturel de nos nerfs, et nous ne pouvons pas les changer.

Jouir ! Chez Soames ce mot ne choquait aucun préjugé puritain, mais il avait toujours eu peur de jouir du présent, de crainte de ne pouvoir jouir autant de l'avenir. Et c'était terrifiant de savoir sa fille dépourvue de ce garde-fou.

Elle (Irène) a causé des ennuis à ta fille June ; elle a causé des ennuis à tout le monde. Je lui ai donné tout ce qu'elle désirait. Je lui aurait même donné... le pardon - mais elle a préféré me quitter.
Cela était dit d'un ton si sévère que Jolyon ne put éprouver la moindre compassion. Qu'y avait-il donc en son cousin pour qu'il fût si difficile de le plaindre ? (p. 72)

Le seul incident du chapeau justifiait le malaise de la famille Forsyte. Il eût été bien mal et du reste impossible, pour toute famille où vit ce respect des apparences qui doit toujours caractériser la haute bourgeoisie, de ne pas éprouver ce malaise !

Chacun d'eux savait bien qu'il ne faisait jamais de potins mais n'ignorait pas que les six autres en faisaient...

Et quand l’amour s’éteint ou quand on a découvert qu’il n’a jamais existé, eh bien, n’avouez jamais. On ne s’aime plus, mais la situation reste inchangée, et on continue à faire semblant. Ainsi rien n’est tout à fait perdu. On ne tombe pas comme les Français, dans le cynisme, le matérialisme et l’immoralité. De plus, le principe de propriété exige le maintien des apparences. 

Un vieillard qui veut contempler la beauté, c’est ridicule ! L’âge lui fermait la bouche, paralysait ses facultés de combat. Il n’avait droit à rien de ce qui était ardent et vivant, droit à rien d’autre que les souvenirs et le chagrin. Il ne pouvait plaider sa cause auprès d’elle ; même un vieillard a son amour-propre.

Les dîners de famille chez les Forsyte obéissent à certaines traditions. Ainsi, on n'y sert pas de hors-d’œuvre. La raison de cet usage est inconnue. Les jeunes gens de la famille l'attribuent au prix exorbitant des huîtres ; il est plus probable que cette abstention tient à l'impatience d'en venir au fait, à un excellent sens pratique qui décide immédiatement que les hors-d’œuvre manquent de substance.

La puissance d’attraction qui émanait d’elle, il y voyait un élément dans une valeur, les valeurs qu’elle avait à ses yeux comme étant l’une de ses propriétés. Mais à cause de cette puissance même, il supposait qu’Irène saurait donner autant que recevoir, et elle ne lui donnait rien ! « alors pourquoi m’a-t-elle épousé ? » se demandait-il continuellement.

Il est admis en général que tout Forsyte, comme le colimaçon, a sa coquille ; en d'autres termes, on le reconnaît à tout ce qui l'enveloppe d'affaires, de possessions, de relations, de familles. Cet habitat semble se mouvoir avec lui à travers un monde composé de plusieurs milliers d'autres Forsyte, chacun muni d'un pareil habitat. Sans sa coquille, un Forsyte est inconcevable, il serait comme un roman sans intrigue, ce qui est reconnu pour une anomalie.