John Knittel

À la brune, une jeune fille atteignait les approches de Gam. Elle s’arrêta et ses regards s’attachèrent, avec une curiosité passionnée, aux méandres d’un chemin rocailleux, qui s’en allait vers un petit groupe de hautes granges. On lui avait dit que de riches paysans habitaient cette vallée, des gens qui possédaient de vastes terres et des troupeaux de cent, deux cents vaches et davantage ; des gens qui n’avaient jamais su ce qu’était la faim ou la soif ; des gens qui vivaient dans l’abondance.

Chapitre 1

Le docteur Abdallah nous donna une cigarette à chacun, mais je ne fumai point la mienne. J'ai toujours craint instinctivement la salive d'autrui. J'ai même été d'une économie judicieuse avec mes baisers. Cette habitude exagérée d'embrasser, alors que les baisers devraient être l'acte de dévotion suprême par lequel l'amour, comme une magnifique étincelle, jaillit d'un être à l'autre, ce symbole de la joie physique est plus dangereux à la santé de l'humanité que le maniement des pièces de monnaie sales. Son danger réside dans le fait que les gens qui, au point de vue hygiénique, n'ont pas le droit d'embrasser, embrassent tout de même. Aucune bouche non lavée ne devrait jamais le faire. Dans mon pays il y a probablement moins de danger d'infection par les baisers que dans les pays d'où nous est importée la civilisation. La plupart de nous, en tout cas, ont de bonnes dents et se lavent la bouche. Je parle des Egyptiens de sang pur.

Lansberg se trouvait être le siège du gouvernement du canton.... le canton des trois cents glaciers renfermait une population autochtone de 120.000 personnes environ dont la moitié vivait à mille mètres au moins au-dessus du niveau de la mer. Tous ces gens devaient être gouvernés. On peut affirmer qu'en ce qui concerne l'état social, moral et intellectuel de l'humanité démocratique, les Lanzbergeois avaient atteint un sommet où il ne restait pas de place pour de nouveaux progrès. Ils avaient lutté au cours de plusieurs générations pour gagner la stabilité et la sécurité et pour immuniser leur pensée contre les idées nouvelles qui changent si souvent de façon inattendue la vie des gens. Et ils avaient réussi. A présent, ils se trouvaient gouvernés du matin au soir, et ne sachant où trouver un supplément de gouvernement , leur soif d'être gouvernés les incitait à créer de nouvelles lois à chaque occasion. Les bureaucrates, conseillers et fonctionnaires étaient innombrables. Servir l'Etat et ses institutions semblait être en ces parages le premier besoin de tout individu de la classe cultivée ; car seul 'Etat fournissait à ses serviteurs une vie régulière, assurée et sans hasards, seul l'Etat pouvait satisfaire à jamais le désir inné de l'homme pour l'ordre et un fauteuil de bureau.