Citations de John Knittel (283)
Il s’arrêta, pétrifié. Ses genoux tremblaient. Ses scrupules de savant, sa conscience d’archéologue s’effacèrent ; il était muet de stupéfaction devant tant de gloire, devant une révélation toute apocalyptique. Mille esprits bienveillants l’ensorcelaient.
Au centre de la pièce, sur un socle de calcaire, il vit un merveilleux sarcophage de basalte bleu. Une multitude d’objets l’entouraient : des chaises et des tabourets d’or, un lit doré, des coffres taillés dans les bois les plus rares, une série de vases et de jarres aux formes délicates, d’exquises statuettes d’or et de faïence, des faucons dorés, des arcs incrustés d’or, tout un trésor d’un âge et d’une valeur incalculables, disposés de façon charmante, avec recherche. On aurait dit le boudoir, la retraite intime d’une femme délicieuse. Walter alla vers le sarcophage et posa ses lèvres sur la pierre.
« Réveille-toi, réveille-toi, seigneur Mirnirî ! Ta reine dort dans la montagne ! Elle est belle, plus belle que le plus beau d’entre nous ! Arrache ses bandelettes ! Contemple la Rose de la Basse-Égypte ! »
Dans sa petite maison de pierre, il attendait, inerte, que le soleil se fût couché. La vallée sacrée l’absorbait. Il s’enfonçait dans des rêves éblouissants. Le secret du souterrain était toujours intact. Souvent, il se demandait pourquoi il ne descendait pas dans le puits pour jeter à terre le mur de séparation. Pourquoi ne délivrait-il pas sa reine ?
Ce soir-là, à Luxor, Mayer confiait à quelques amis que son archéologue devenait chaque jour plus bizarre. Il était secrètement effrayé par le jeune Beam. Il lui semblait venu d’un autre monde : de la lune.
Mais les heures passaient, et le sommeil ne venait pas. Il parvint enfin à se réchauffer et à dormir. Lorsqu’il ouvrit les yeux, le soleil chauffait déjà la tente. Un de ces matins d’Égypte, clair et cristallin, l’attendait dans l’air le plus pur de la terre ; la vallée du Nil recommençait à vivre dans sa gloire indestructible. Walter s’attaqua véritablement à sa tâche d’archéologue.
Une étrange impression d’éternité s’imposait à Walter et, à mesure que l’obscurité s’épaississait, l’imprégnait plus profondément la mystérieuse solitude qui l’entourait. « Pourquoi suis-je venu ici ? Pour creuser ? Pour découvrir les secrets cachés dans ces montagnes ? Depuis deux mille ans, ils ont enfoui leurs morts − les morts d’une ville immense, riche de traditions et d’ambitions. J’arracherai des momies à leurs cercueils, j’en enlèverai les bandelettes ; s’il le faut, je briserai les os, pour que rien n’échappe au microscope de la science. Et, tout cela, je le ferai seul. Je dois travailler et me reposer seul, sur le sol que hante l’esprit des anciens Égyptiens !
Bientôt, un dernier rayon atteignit les collines sépulcrales ; les couleurs que le soleil projetait sur elles déclinèrent rapidement et, dans la profondeur lumineuse du ciel, à l’Occident, parut une étoile où semblait briller tout l’espoir de l’humanité. Puis la calme nuit descendit, et la paix des étoiles qui règne, intangible, sur l’éternité des âges, s’étendit sur la grande vallée où furent édifiées et détruites des civilisations. Comparée aux éternités sidérales, la construction des cités et des temples semblait aussi insignifiante que celle des fourmilières et des aires des faucons.
(...) au pied de la Troisième Pyramide. Le bourdonnement ne cessait pas. Il hésita. Sur cette Pyramide, il savait tout ce qu’on peut savoir. Peu de gens s’y risquaient pendant le jour et, la nuit, on s’en écartait car elle était placée sous l’influence d’un mauvais esprit, d’une malédiction mystérieuse…
La pauvre reine aux Joues Roses s’enferma dans une salle de son palais ; elle respira la fumée d’un feu de bois empoisonné et mourut. On la mit dans un sarcophage de basalte bleu au centre de la Pyramide : comme toutes les femmes belles, elle avait ses caprices. Nous ignorons ce qu’est devenu le sarcophage. Nous nous contentons d’appliquer à cette époque le nom de la VIe dynastie.
Vers 2800 avant Jésus-Christ, Mentu-Hotep était nomarque de Permetu et Mirnirî II roi de Memphis. Nitocris était la fille de Mentu-Hotep. La légende de la sandale perdue a donné naissance à celle de Cendrillon, probablement. Pendant qu’elle se baignait, un vautour prit sa sandale d’or dans son bec et s’envola de Thèbes à Memphis. Mirnirî rendait la justice dans la cour de l’un de ses temples ; le vautour fit tomber la sandale sur les genoux du roi, qui vit dans l’incident un signe que lui adressait Râ. Il fit fouiller le pays pour trouver la femme à qui elle appartenait et la trouva à Permetu. (...) Mirnirî s’éprit de la Belle aux Joues Roses, à qui appartenait la sandale d’or et il l’épousa. Elle découvrit bientôt qu’elle avait de violents ennemis à la cour. Sans doute, Mirnirî était-il en toute sagesse ennemi de la guerre, et avait-il dû traiter avec les envahisseurs venus de l’Euphrate. Peut-être aussi ne possédait-il pas une bonne armée : sinon, la VIe dynastie ne serait pas tombée. Toujours est-il qu’elle disparut presque sans laisser de traces.
« Ce que je vais dire est peut-être une impression d’enfant, mais, lorsqu’on fait de l’archéologie − science que l’on connaît très peu, au fond − les plus légers détails peuvent parfois acquérir une valeur immense. Lorsque, au cours de ses recherches, on découvre une personnalité comme celle de la reine Nitocris, alors l’imagination s’enflamme − du moins, ce que j’entends par imagination. Mais il peut en être parfois tout autrement. J’ai entendu un psychologue l’appeler « mémoire héréditaire ». En tout cas, il est curieux que ce qui passionne l’un puisse laisser un autre totalement indifférent. »
« Mon premier amour a été pour Nitocris, reine d’Égypte. J’avais à peu près quatorze ans, à ce moment. »
— Pourquoi Nitocris ? demanda Mayer avec intérêt.
Pourquoi pas Ahhotpou ou Cléopâtre, ou même Hathor ou Isis ?
— Une idée d’enfant, probablement. Nitocris m’a toujours beaucoup plus attiré que les autres reines d’Égypte. »
Walter respira le doux parfum entêtant de la rose ; une étrange langueur l’enveloppa. Il se sentait vieux, infiniment vieux en imagination…(...) Le temps écoulé était aboli. Walter avait-il réellement vingt-cinq ans ? Il se sentait vieux de milliers de siècles. De fait, en un sens, toute chose a aussi cinq mille ans. (...) Oui, l’Égypte était certainement un pays étrange.
Son regard était aussi aigu que celui du faucon. Ses yeux bleus erraient d’Héliopolis, à travers l’immense étendue du delta, aux collines de l’Occident. Gizeh ! Les Pyramides ! Memphis ! Sakhara ! Était-ce possible ? Une semaine auparavant, il était encore plongé dans les brouillards de l’Angleterre…
La plupart de ceux qui le connaissaient louaient son intelligence, sa loyauté, son énergie. Il avait dû naître sous une bonne étoile et − qualité indispensable − il possédait une grande confiance en soi.
Dès son plus jeune âge, il avait porté un intérêt presque prodigieux à tout ce qui touchait à l’Égypte. S’inspirant d’un livre qui lui était alors tombé entre les mains, il avait copié des hiéroglyphes, des cartouches et les étranges silhouettes de Set, d’Horus, de Tafnouît, de Nephtys, d’Osiris et d’autres divinités. Il subissait déjà le charme des symboles et des mystères de l’ancienne Égypte. À vingt-six ans, il n’y avait pas un temple, une tombe, un objet d’une importance quelconque trouvés dans la vallée du Nil qui ne lui fussent familiers. Ses connaissances, dans ce domaine, étaient encyclopédiques. Tous ses collègues d’université, en Angleterre, le savaient. Ils se demandaient ce que Walter Beam allait bien pouvoir découvrir. Surpasserait-il Lepsius, Goodwin, Maspero, Birch, Peet ou Breasted et tous les autres archéologues modernes ?
Walter Beam faisait connaissance avec l’Orient. Il arrivait en Égypte chargé de mission par l’Institut d’Archéologie de X… : il devait prendre la direction des fouilles entreprises dans les nécropoles de Thèbes, en Haute-Égypte. Ce poste constituait le premier pas vers la réalisation de ses plus secrètes ambitions, car l’égyptologie était pour lui une passion.
En ce début de novembre, un après-midi, un homme arriva au Caire par le train-paquebot de Port-Saïd. Il s’appelait Walter Beam (...). on pressentait chez lui une vaste intelligence et une vive imagination. Et les éclairs rapides qui s’allumaient dans ses yeux ordinairement voilés de rêve, lorsqu’il descendit sur le quai de la gare du Caire, trahissaient son amour des aventures et du romanesque.
À l’âge de quarante ans, il était arrivé à supporter des rasades d’alcool, des quantités de cigares, et toutes sortes d’autres excès qui auraient ruiné la santé de n’importe qui. Sa résistance était telle qu’il pouvait rester vingt-quatre heures sans dormir presque impunément. Il se glorifiait ouvertement de son incontinence sexuelle, et les sommes qu’il consacrait par an à la satisfaction de ce penchant eussent suffi pour assurer la prospérité d’un village arabe tout entier pendant ce même laps de temps. Quand il était tout à fait ivre, son attitude était généralement empreinte de la plus solennelle ostentation, et l’on ne pouvait pas prévoir à quelle sorte de manifestation saugrenue ou à quel tour de force il se livrerait pour satisfaire sa vanité démesurée.
— “Connais-toi toi-même”, ont inscrit les Grecs dans le temps de Delphes, et : “Sois sincère envers ton propre moi et tu ne pourras pas être faux envers aucun homme”, dit Shakespeare, (...).