Citations de John Wainwright (190)
Certains hommes désirent avoir un fils, pour perpétuer leur nom. Je trouve cela stupide et arrogant. Quels « noms » méritent-ils d’être perpétués ? Quelles familles ont une importance telle que le monde serait moins abouti sans elles ? Je ne voulais pas de fils. Jenny était une raison suffisante d’avoir vécu.
J’ai toujours aimé Jenny. Avant même qu’elle ait un prénom, quand elle n’était encore qu’un minuscule nourrisson emmailloté dans un berceau à la maternité, je l’aimais déjà plus que je n’avais jamais aimé qui que ce soit au monde auparavant. Et plus que quiconque depuis. Elle était l’enfant de Norah, notre enfant, mais c’était ma Jenny.
Ce qu’aucun de nous deux n’avait compris, c’est que quiétude et ennui se rejoignent. Et que l’ennui peut faire naître de mauvaises pensées qui, à leur tour, peuvent amener à de mauvaises actions.
Toute ma vie j’ai été ennuyeux. Au mieux introverti, timide – pour ne pas dire distant – avec les inconnus. Si on me le demandait, je me décrirais comme un « solitaire », mais le mot « esseulé » conviendrait aussi. Ou même « isolé ».
À partir de ce moment-là, nous nous sommes rapprochés. Sans devenir intimes. Du moins pas avant beaucoup plus tard. Quoi qu’il en soit, nos vies se déroulaient parallèlement puis très progressivement elles se mirent à converger et nous devînmes amis, puis confidents.
« Désirant connaître ce qui ne doit pas être connu. Nous avons pris la route dorée vers Samarcande. »
Un sourire amer m’est venu aux lèvres en me remémorant combien Norah avait été une bonne épouse. Ô combien. Demandez-lui et elle vous le dira elle-même. En fait, si l’occasion lui en est donnée, elle le fera spontanément, sans se faire prier. C’était une bonne épouse, de celles qui ne regardent aucun autre homme, une femme qui vous transforme une maison en foyer, qui cuisine mieux que la plupart, se montre peu dépensière, se débrouille en couture et s’avère capable de tenir une conversation sur des sujets pas trop compliqués. Elle était nette, droite. Aussi bien à propos d’elle-même que de la maison. Elle s’exprimait correctement. Elle était tout cela et donc irréprochable.
Nous étions mariés depuis vingt-six ans et nous avions une fille qui, voici quelques années, s’était elle-même mariée et vivait ici, à Rogate-on-Sands, à moins de deux kilomètres d’où elle avait grandi.
À y repenser, je crois que Jenny avait rendu tout cela supportable. Elle avait été comme un baume sur une plaie ouverte. Mais une fois l’onguent disparu, les petits coups de poignard d’une douleur exaspérante s’étaient multipliés.
Et pourtant…
À première vue, il n’y avait pas un seul et simple mobile, mais une myriade de petites choses qui, prises séparément, ne suscitaient qu’un léger agacement.
Comme exiger que je porte toujours une cravate : « Herbert, il y a un minimum attendu dans la façon de s’habiller. Si tu tombes en dessous, tu passes pour négligé. » Ou son refus de comprendre mon intérêt pour la philatélie : « Herbert, ce sont les petits garçons qui collectionnent les timbres. Pas les hommes adultes. » Ou encore son penchant jamais démenti pour les repas constitués de plats préparés : « C’est plus frais. Ils les congèlent immédiatement. C’est aussi plus facile à faire. »
Mes yeux suivaient les adolescents, mais mon esprit se porta là où ma main s’était posée. Derrière la porte fermée se trouvait tout un ensemble de médicaments réglementés et de poisons. Je connaissais la place de chacun d’entre eux et les quantités exactes que j’avais en stock. Quasi dans l’instant, je pris conscience de la facilité avec laquelle je pourrais…