Citations de Jordi Llobregat (90)
« Oui, monsieur, c'était mon père.
- Ah, fit-il, pensif. Un excellent médecin, Gilbert, excellent. Comme vous-même auriez pu l'être. Dommage que vous soyez une femme.
- Dommage que vous, vous soyez des hommes. »
C'est étrange comme ce sont souvent les personnes que nous aimons le plus que nous font le plus de mal.
Les femmes ne peuvent... ne peuvent pas être médecins, et encore moins chirurgiens, s'écria-t-il, la voix vibrante d'indignation. C'est... c'est proprement inconcevable. Dieu du ciel ! Votre caractère n'est pas préparé, votre entendement clairement limité. Votre place est à la maison, à prendre soin de votre famille. Mais à quoi songez-vous donc ?
Il sentit d'abord la présence de ceux qui par le passé avaient été étendus dans cette même position ; l'esprit des cadavres, subtilisés dans les cimetières, qui cédaient leur repos éternel au progrès de la science. Ils défilèrent l'un après l'autre dans une interminable succession de souvenirs. Il sentit leur force moribonde, les vestiges d'une vitalité perdue qui calmaient sa souffrance. Un gémissement s'échappa de ses lèvres. Son corps se tendit en sentant la présence des corps à venir : cette nouvelle essence vitale se déversa, torrentielle, sur chaque centimètre de sa peau nue. Ceux-ci étaient différents des précédents : leur présence, presque physique, irradiait une énergie telle qu'elle submergeait ses sens. Des femmes jeunes, à peine pubères, qui, allongées sur la dalle froide, étaient encore en vie.
Le landau, quittant l’atmosphère animée des Ramblas, descendait à bonne vitesse vers le port. En bas de l’avenue, les chevaux durent contourner l’échafaudage du monument à Christophe Colomb.
La voix du cocher s’éleva.
« Je parie ma paye d’un an que ce machin se cassera la figure avant l’inauguration de cette fichue colonne. »
Daniel ne prit pas la peine de répondre et se cantonna à admirer la complexe structure en fer conçue par l’architecte Juan Torras. [...]
Ils avaient mis six ans à ériger ce monument pour l’Exposition et pendant tout ce temps l’ingénieux système imaginé pour monter les lourdes pièces en fonte avait beaucoup fait parler de lui. Les rumeurs pronostiquant un désastre étaient si nombreuses que le maire de la ville lui-même était allé voir l’architecte dans son atelier pour lui demander de lui garantir que cet échafaudage incroyable n’allait pas s’effondrer sur les têtes de ses concitoyens. Torras répondit en se plaçant en personne sous le pont roulant le jour où les six tonnes de la statue du navigateur furent hissées.
Mes souvenirs sont douloureux, mais dans la peine la plus terrible se cache toujours une part de bonheur. Si je n'étais pas passé par tout ce que j'ai vécu, jamais je n'aurais connu le véritable amour. (p.535)
- "Tu entends?
- Quoi? Non je n'entends rien.
- Exactement. Quand il neige, tout devient silencieux."
[...]
- "Les flocons de neige sont constitués de cristaux de glace microscopiques qui forment des structures géométriques ...., en tombant, les flocons attrapent des particules qui flottent dans l'air et qui amplifient les ondes sonores, ce qui élimine tout le bruit ambiant.
- Mmm.
- Le plus beau, poursuivit Alex, étrangère au regard sceptique de son collègue, c'est que le silence persiste quand il a fini de neiger. Cela vient du fait que les milliers de flocons de neige qui se sont accumulés au sol ne deviennent pas compacts : ils retiennent de l'air, de sorte qu'ils absorbent le bruit qui les entoure. Quand la neige durcit, la magie est finie."
- Alors tu me racontes ? Si on doit devenir copines, autant que tu me déballes ton histoire tout de suite.
- C'est que c'est une longue histoire.
- Peu importe, ma belle, j'ai plus de temps libre dans mon agenda qu'un ministre.
Une vie de sacrifices, consacrée à la médecine, pour finir sous un monceau de terre entouré d’une poignée d’inconnus.
Il adorait son rire. Il ne l’avait dit à personne mais un soir, au dîner, six mois plus tôt, il l’avait enregistrée pendant qu’elle riait et la nuit, quand il n’arrivait pas à chasser les gros nuages dans sa tête, il se repassait la bande, encore et encore.
Daniel Latour ouvrit la porte et, une fois entré dans la cellule, la claqua derrière lui. Il le regretta immédiatement, non pas parce qu’il voulait respecter le silence du séminaire : il y avait passé deux ans et détestait ce calme sépulcral. Ce qu’il voulait, c’était éviter d’attirer l’attention sur lui. Mais il était si enthousiaste, après avoir reçu ce mot, qu’il avait oublié toute prudence. Maintenant qu’il avait réintégré cette fichue chambre, il avait hâte de vérifier que tout était toujours à sa place.
Une vie de sacrifices, consacrée à la médecine, pour finir sous un monceau de terre entouré d’une poignée d’inconnus.
La brise se leva et l’eau frémit. Les yeux du vieux, plissés par les rides, parcoururent l’embarcation, de la proue, où somnolait son fils, jusqu’à la voile de coton – solidement fixée au mât – qui se mit à faseyer. Il borda en marin expérimenté et, après avoir constaté avec satisfaction que la toile recommençait à se gonfler, bloqua l’écoute. Il serra les poings et ses doigts recouverts de gants de laine protestèrent comme de vieux cordages. L’humidité le pénétrait jusqu’aux os, malgré les lourds vêtements qu’il portait. Il soupira.
Adel agita la main comme quelqu'un qui veut se débarrasser d'un moustique.
Et que voulez-vous que cela me fasse? Que Dieu les garde. Leur mort ne fait que leur épargner plus de souffrances. A dire vrai, si ce n'était à cause de ces fichus journaux comme celui de votre ami Bernat Fleixa, pour moi, ça ne ferait pas beaucoup plus de différence que si on retrouvait le cadavre d'un chien crevé. Mais en l'occurrence une mauvaise presse pourrait porter préjudice au grand projet de ma vie et je n'ai pas l'intention de laisser faire.
- Et pourquoi devrais-je suivre vos... conseils?
J'ai appris que la vie nous offre toujours des trêves et que, dans la pire des situations possibles, il y a encore des raisons d'espérer. (p.536)
Comme il détournait les yeux, troublé, j’ai posé ma main sous son menton et, d’une caresse, je lui ai relevé le visage. Nos lèvres se sont rencontrées. Je n’avais jamais embrassé personne auparavant, mais une sensation familière m’a envahie. Le baiser que nous avons échangé était celui de vieux amants qui après des années se retrouvent et découvrent que rien n’a changé ; d’abord lentement, puis avidement, nos bouches se sont explorées comme pour rattraper le temps perdu. (p.344)
Il allait se faire un paquet de thune. Bien entendu, les autres n’en savaient rien. Dès qu’il aurait le fric, il disparaîtrait.
Son plan semblait parfait jusqu’à ce qu’il tombe sur cet os : le vieux.
Apparemment, il suscitait la même fascination chez les hommes que chez les femmes, et ça lui allait. Pour les uns comme pour les autres, il devint le meilleur amant possible. Il suscita amour, désir, jalousie, désespoir, folie, et manipula ses conquêtes à sa guise. En définitive, il découvrit la façon d’obtenir n’importe quoi des gens qui l’approchaient.
Pourtant, les années suivantes ne se déroulèrent pas comme il l’espérait.
À ses quatorze ans, Antoine s’était rendu compte que les gens le regardaient différemment. Son pouvoir de séduction allait au-delà d’un visage harmonieux ou d’un corps sensuel. Sa peau, d’une blancheur extrême, semblait exsuder une sorte d’hormone qui attirait les gens comme les substances chimiques que produisent les fleurs pour appâter les insectes pendant la pollinisation.
« Je suis désolé, Serra. Tu as besoin de temps pour te remettre.
— Des conneries, ça.
— Je ne peux pas te protéger si tu ne te protèges pas toi-même. Quand j’aurai sur mon bureau l’avis favorable du psy, tu pourras revenir. D’ici là, je ne veux pas te voir dans le coin. »
Álex traversa le commissariat en direction de la sortie. L’absence de sa plaque et de son arme lui faisait le même effet que si on l’avait amputée d’un bras.