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Citations de Jules Barbey d`Aurevilly (720)


Un amour de jupe.

Si mon cœur faisait ses mémoires
Je crois que j’y mettrais ceci :
« Elle avait des dentelles noires
« Avec un jupon cramoisi. »

C’était ravissant ! — Les donzelles
De ce soir et de ce salon,
Se pâmaient devant ces dentelles…
Mais, moi, j’aimais mieux le jupon.

Ce jupon, c’était ma folie !
Je le trouvais délicieux…
Je n’avais rien vu, de ma vie,
Qui m’enchantât autant les yeux.

Et je m’effrayais dans mon âme
De ce charme de la couleur.
La jupe est si près de la femme,
Et les yeux sont si près du cœur !

L’avait-elle vu ?… Je l’ignore,
Je ne sais… mais je sais aussi
Qu’hier, elle est venue encore
Avec son jupon cramoisi !

Et pour plaire à mon goût sauvage,
Elle avait, de ses doigts charmants,
Oté, point par point, l’étalage
Des dentelles de ses volants !

J’avais donc occupé son âme
(Occuper l’âme, c’est l’amour
Pour cette rêveuse, — la femme !),
Je l’avais occupée… un jour.

Le temps d’enlever ces dentelles
Qui, pour les femmes, talisman,
Faisaient pousser aux demoiselles
De véritables cris de paon !

En les ôtant que pensait-elle ?…
Disait-elle, baissant les yeux :
« Pour elles, je serai moins belle,
« Mais à Lui, — je lui plairai mieux ! »

Mystère charmant qui m’occupe !
A-t-elle dit en son émoi :
« Si l’amour qu’il a pour ma jupe,
« De ma jupe passait à moi !… »

Reste impénétrable, ô mystère !
Parfois à leur esprit charmé
On est assez heureux pour plaire…
Mais pas assez pour être aimé…

Et si c’était là mon histoire !…
Si je crus être aimé !… Mais si,
Madame, j’eus tort de le croire ?…
Remettez la dentelle noire
A votre jupon cramoisi !
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La Maîtresse rousse.

Je pris pour maître, un jour, une rude maîtresse,
Plus fauve qu’un jaguar, plus rousse qu’un lion !
Je l’aimais ardemment, âprement, sans tendresse,
Avec possession plus qu’adoration !
C’était ma rage, à moi ! la dernière folie
Qui saisit, ? quand, touché par l’âge et le malheur,
On sent au fond de soi la jeunesse finie…
Car le soleil des jours monte encor dans la vie,
Qu’il s’en va baissant dans le cœur !

Je l’aimais et jamais je n’avais assez d’elle !
Je lui disais : « Démon des dernières amours,
Salamandre d’enfer, à l’ivresse mortelle,
Quand les cœurs sont si froids, embrase-moi toujours !

Verse-moi dans tes feux les feux que je regrette,
Ces beaux feux qu’autrefois j’allumais d’un regard !
Rajeunis le rêveur, réchauffe le poète,
Et, puisqu’il faut mourir, que je meure, ô Fillette !
Sous tes morsures de jaguar ! »

Alors je la prenais, dans son corset de verre,
Et sur ma lèvre en feu, qu’elle enflammait encor,
J’aimais à la pencher, coupe ardente et légère,
Cette rousse beauté, ce poison dans de l’or !
Et c’étaient des baisers !… Jamais, jamais vampire
Ne suça d’une enfant le cou charmant et frais
Comme moi je suçais, ô ma rousse hétaïre,
La lèvre de cristal où buvait mon délire
Et sur laquelle tu brûlais !

Et je sentais alors ta foudroyante haleine
Qui passait dans la mienne et, tombant dans mon cœur,
Y redoublait la vie, en effaçait la peine,
Et pour quelques instants en ravivait l’ardeur !

Alors, Fille de Feu, maîtresse sans rivale,
J’aimais à me sentir incendié par toi
Et voulais m’endormir, l’air joyeux, le front pâle,
Sur un bûcher brillant, comme Sardanapale,
Et le bûcher était en moi !

« Ah ! du moins celle-là sait nous rester fidèle, ?
Me disais-je, ? et la main la retrouve toujours,
Toujours prête à qui l’aime et vit altéré d’elle,
Et veut dans son amour perdre tous ses amours ! »
Un jour elles s’en vont, nos plus chères maîtresses ;
Par elles, de l’Oubli nous buvons le poison,
Tandis que cette Rousse, indomptable aux caresses,
Peut nous tuer aussi, ? mais à force d’ivresses,
Et non pas par la trahison !

Et je la préférais, féroce, mais sincère,
A ces douces beautés, au sourire trompeur,
Payant les cœurs loyaux d’un amour de faussaire !…
Je savais sur quel cœur je dormais sur son cœur !

L’or qu’elle me versait et qui dorait ma vie,
Soleillant dans ma coupe, était un vrai trésor !
Aussi ce n’était pas pour le temps d’une orgie,
Mais pour l’éternité, que je l’avais choisie :
Ma compagne jusqu’à la mort !

Et toujours agrafée à moi comme une esclave,
Car le tyran se rive aux fers qu’il fait porter,
Je l’emportais partout dans son flacon de lave,
Ma topaze de feu, toujours près d’éclater !
Je ressentais pour elle un amour de corsaire,
Un amour de sauvage, effréné, fol, ardent !
Cet amour qu’Hégésippe avait, dans sa misère,
Qui nous tient lieu de tout, quand la vie est amère,
Et qui fit mourir Sheridan !

Et c’était un amour toujours plus implacable,
Toujours plus dévorant, toujours plus insensé !
C’était comme la soif, la soif inexorable
Qu’allumait autrefois le philtre de Circé.

Je te reconnaissais, voluptueux supplice !
Quand l’homme cherche, hélas ! dans ses maux oubliés,
De l’abrutissement le monstrueux délice…
Et n’est ? Circé ! ? jamais assez, à son caprice,
La Bête qui lèche tes pieds !

Pauvre amour, ? le dernier, ? que les heureux du monde,
Dans leur dégoût hautain, s’amusent à flétrir,
Mais que doit excuser toute âme un peu profonde
Et qu’un Dieu de bonté ne voudra point punir !
Pour bien apprécier sa douceur mensongère,
Il faudrait, quand tout brille au plafond du banquet,
Avoir caché ses yeux dans l’ombre de son verre
Et pleuré dans cette ombre, – et bu la larme amère
Qui tombait et qui s’y fondait !

Un soir je la buvais, cette larme, en silence…
Et, replongeant ma lèvre entre tes lèvres d’or,
Je venais de reprendre, ô ma sombre Démence !
L’ironie, et l’ivresse, et du courage encor !

L’Esprit ? l’Aigle vengeur qui plane sur la vie ?
Revenait à ma lèvre, à son sanglant perchoir…
J’allais recommencer mes accès de folie
Et rire de nouveau du rire qui défie…
Quand une femme, en corset noir,

Une femme… Je crus que c’était une femme,
Mais depuis… Ah ! j’ai vu combien je me trompais,
Et que c’était un Ange, et que c’était une âme,
De rafraîchissement, de lumière et de paix !
Au milieu de nous tous, charmante solitaire,
Elle avait les yeux pleins de toutes les pitiés.
Elle prit ses gants blancs et les mit dans mon verre,
Et me dit en riant, de sa voix douce et claire
« Je ne veux plus que vous buviez ! »

Et ce simple mot-là décida de ma vie,
Et fut le coup de Dieu qui changea mon destin.
Et quand elle le dit, sûre d’être obéie,
Sa main vint chastement s’appuyer sur ma main.

Et, depuis ce temps-là, j’allai chercher l’ivresse
Ailleurs… que dans la coupe où bouillait ton poison,
Sorcière abandonnée ! ô ma Rousse Maîtresse !!!
Bel exemple de plus que Dieu dans sa sagesse,
Mit l’ange au-dessus du démon !
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Je vivais sans cœur.

Je vivais sans cœur, tu vivais sans flamme,
Incomplets, mais faits pour un sort plus beau ;
Tu pris de mes sens, je pris de ton âme,
Et tous deux ainsi nous nous partageâme :
Mais c’est toi qui fis le meilleur cadeau !

Oui ! c’est toi, merci… C’est toi, sainte femme,
Qui m’as fait sentir le profond amour…
Je mis de ma nuit dans ta blancheur d’âme,
Mais toi, dans la mienne, as mis le grand jour !

Je tombais, tombais… Cet ange fidèle
Qui suit les cœurs purs ne me suivait pas…
Pour me soutenir me manquait son aile…
Mais Dieu m’entr’ouvrit ton cœur et tes bras !

Et j’aime tes bras… tes bras mieux qu’une aile ;
Car une aile, hélas ! sert à nous quitter :
L’ange ailé s’en va, lorsque Dieu l’appelle…
Tandis que des bras servent à rester !
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Les Nénuphars.

Nénuphars blancs, ô lys des eaux limpides,
Neige montant du fond de leur azur,
Qui, sommeillant sur vos tiges humides,
Avez besoin, pour dormir, d’un lit pur ;
Fleurs de pudeur, oui ! vous êtes trop fières
Pour vous laisser cueillir… et vivre après.
Nénuphars blanc, dormez sur vos rivières,
Je ne vous cueillerai jamais !

Nénuphars blancs, ô fleurs des eaux rêveuses,
Si vous rêvez, à quoi donc rêvez-vous ?…
Car pour rêver il faut être amoureuses,
Il faut avoir le cœur pris… ou jaloux ;
Mais vous, ô fleurs que l’eau baigne et protège,
Pour vous, rêver… c’est aspirer le frais !
Nénuphars blancs, dormez dans votre neige !
Je ne vous cueillerai jamais !

Nénuphars blancs, fleurs des eaux engourdies
Dont la blancheur fait froid aux cœurs ardents,
Qui vous plongez dans vos eaux détiédies
Quand le soleil y luit, Nénuphars blancs !
Restez cachés aux anses des rivières,
Dans les brouillards, sous les saules épais…
Des fleurs de Dieu vous êtes les dernières !
Je ne vous cueillerai jamais !
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Saigne, mon cœur !

Saigne, saigne, mon cœur… saigne ! je veux sourire.
Ton sang teindra ma lèvre et je cacherai mieux
Dans sa couleur de pourpre et dans ses plis joyeux
La torture qui me déchire.

Saigne, saigne, mon cœur, saigne plus lentement !
Prends garde ! on t’entendrait… saigne dans le silence
Comme un cœur épuisé qui déjà saigna tant,
A bout de sang et de souffrance !

Quand parmi les sans-cœur, pauvre cœur, je te traîne,
Sous mon froc étriqué, tu saignes dans ta nuit.
Les six lignes de chair de la poitrine humaine
Pourraient trahir ton faible bruit.

Mais je ne permets pas aux hommes de la foule,
Insolents curieux de tout cruel destin,
De t’approcher, cœur fier, pour entendre en mon sein
Dégoutter le sang qui s’écoule.

Saigne, saigne, mon cœur… J’étoufferai l’haleine
Qui pourrait, à l’odeur, révéler le martyr !
Saigne et meurs, cœur maudit… car la Samaritaine
Manque à jamais pour te guérir !
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À Roger de Beauvoir.

Poète de cape et d’épée
À qui n’a jamais résisté
Ni la Muse ni la Beauté,
Ni la Grâce désoccupée,
Thaumaturge d’amour, qui peux d’une poupée
Faire un démon de volupté !

Tu redemandes cette histoire
Qu’aux temps si fous de mon passé
J’écrivis, un soir, de mémoire,
Avec de l’encre rose et noire,
Et la gaieté d’un cœur brisé.

Revois ce portrait d’une femme
Dont le sourire était mortel,
Argile inaccessible aux chaleurs dé la flamme,
Corps charmant, mais vide d’une âme…
C’est de la vengeance… au pastel !

Une vengeance… faible chose !
Qui ne rachète rien des maux qu’on a soufferts !
Elle s’énerve dans ma prose…
Mais comme un fort poison dans des parfums de rose,
Elle enivrerait dans tes vers !
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Si j’avais, sous ma mantille.

Si j’avais, sous ma mantille,
Cet œil gris de lin,
Et cette svelte cheville
Dans mon svelte brodequin ;

Si j’avais ta morbidesse,
Tes cheveux dorés,
Retombant en double tresse
Jusque sur mes reins cambrés !

Si j’avais, ô ma pensée,
Dans mon corset blanc,
Ta blonde épaule irisée
D’un duvet étincelant !

Enfin si je semblais faite
Pour donner la loi,
Je serais une coquette
Plus coquette encor que toi !

Je voudrais être une reine
Fière comme un paon,
Dont on aurait grande peine
A baiser le bout du gant.

Je ne serais pas de celles,
Froides à moitié,
Qui, d’abord, font les cruelles,
Et puis après ont pitié.

Je serais une tigresse,
Rebelle aux amours,
Cachant la griffe traîtresse
Dans ma patte de velours !

Je ferais souffrir aux âmes
Mille bons tourments,
Et je vengerais les femmes
De tous leurs fripons d’amants ;

Et sans l’éventail qui cache
Deux beaux yeux moqueurs,
Je rirais, sur leur moustache,
De leur flamme et de leurs pleurs ;

Et je passerais ma vie
A les désoler,
Et je serais si jolie
Qu’il leur faudrait bien m’aimer !

Et puis, si d’aimer l’envie
Un jour me prenait,
Je n’aurais de fantaisie
Que pour celui qui dirait :

« Si comme toi j’étais faite
Pour donner la loi,
Je serais une coquette,
Plus coquette encor que toi ! »

Aime-moi donc, ma Paulette,
O mon blond trésor !
Aimer un fat ? toi, coquette !
Ce sera t’aimer encor !
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La Beauté.

Eh quoi ! vous vous plaignez, vous aussi, de la vie !
Vous avez des douleurs, des ennuis, des dégoûts !
Un dard sans force aux yeux, sur la lèvre une lie,
Et du mépris au cœur ! ? Hélas ! c’est comme nous !
Lie aux lèvres ? ? poison, reste brûlant du verre ;
Dard aux yeux ? ? rapporté mi-brisé des combats ;
Et dans le cœur mépris ? ? Éternel Sagittaire
Dont le carquois ne tarit pas !

Vous avez tout cela, ? comme nous, ô Madame !
En vain Dieu répandit ses sourires sur vous !
La Beauté n’est donc pas tout non plus pour la femme
Comme en la maudissant nous disions à genoux,

Et comme tant de fois, dans vos soirs de conquête,
Vous l’ont dit vos amants, en des transports perdus,
Et que, pâle d’ennui, vous détourniez la tête,
Ô Dieu ! n’y pensant déjà plus…

Ah ! non, tu n’es pas tout, Beauté, ? même pour celle
Qui se mirait avec le plus d’orgueil en toi,
Et qui, ne cachant pas sa fierté d’être belle,
Plongeait les plus grands cœurs dans l’amour et l’effroi !
Ah ! non, tu n’es pas tout… C’est affreux ; mais pardonne !
Si l’homme eût pu choisir, il n’eût rien pris après ;
Car il a cru longtemps, au bonheur que tu donne,
Beauté ! que tu lui suffirais !

Mais l’homme s’est trompé, je t’en atteste, Armance !
Qui t’enivrais de toi comme eût fait un amant,
Puisant à pleines mains dans ta propre existence,
Comme un homme qui boit l’eau d’un fleuve en plongeant.
Pour me convaincre, hélas ! montre-toi tout entière ;
Dis-moi ce que tu sais… l’amère vérité.
Ce n’est pas un manteau qui cache ta misère,
C’est la splendeur de la Beauté !

Dis-moi ce que tu sais… De ta pâleur livide,
Que des tempes jamais tes mains n’arracheront
Et qui semble couler d’une coupe homicide
Que le Destin railleur renversa sur ton front ;
De ton sourcil froncé, de l’effort de ton rire,
De ta voix qui nous ment, de ton œil qui se tait,
De tout ce qui nous trompe, hélas ! et qu’on admire,
Ah ! fais-moi jaillir ton secret.

Dis tout ce que tu sais… Rêves, douleur et honte,
Désirs inassouvis par des baisers cuisants,
Nuits, combats, voluptés, souillures qu’on affronte
Dans l’infâme fureur des échevèlements !
Couche qui n’est pas vide et qu’on fuit, ? fatale heure
De la coupable nuit dont même on ne veut plus,
Et qu’on s’en va finir au balcon, où l’on pleure,
Et qui transit les coudes nus !

Ah ! plutôt, ne dis rien ! car je sais tout, Madame !
Je sais que le Bonheur habite de beaux bras ;
Mais il ne passe pas toujours des bras dans l’âme…
On donne le bonheur, on ne le reçoit pas !

La coupe où nous buvons n’éprouve pas l’ivresse
Qu’elle verse à nos cœurs, brûlante volupté !
Vous avez la Beauté, ? mais un peu de tendresse,
Mais le bonheur senti de la moindre caresse,
Vaut encor mieux que la Beauté.
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L’Échanson.

Tu ne sais pas, Clary, quand, heureuse, ravie,
Tu me tends ton épaule et ton front tour à tour,
Que dans la double coupe où je puise la vie
Il est un autre goût que celui de l’amour…
Ô ma chère Clary, tu ne sais pas sans doute
Qu’il est derrière nous un funèbre Échanson
Dont la main doit verser d’abord, goutte par goutte,
Dans tout amour un froid poison.

Dès que nous nous aimons, cet Échanson terrible
Apparaît, ? et grandit, comme un spectre fatal ;
Il ne nous quitte plus… présent, quoique invisible,
De l’amour partagé mystérieux vassal.

Partout où nous allons, comme un sinistre Page,
Il s’attache à nos pas, il se tient à nos flancs,
Et l’horrible poison que d’abord il ménage
Bientôt il le verse à torrents !

Il le verse et l’on boit… Dans les yeux qu’on adore
Du poison répandu naissent, hélas ! des pleurs ;
Ils coulent ; on les boit ; ? mais lui, lui, verse encore,
Et le poison cruel a filtré dans nos cœurs !
Il verse ; ? et le baiser se glace aux lèvres pures ;
Il verse ; ? et tout périt des plus fraîches amours !
Mais, comme indifférent à tant de flétrissures,
L’Empoisonneur verse toujours !…

Ne l’as-tu jamais vu, ce pâle et noir Génie
Qui naît avec l’amour pour le faire mourir ?
N’as-tu jamais senti se glisser dans ta vie
Le poison qui, plus tard, doit si bien la flétrir ?
N’as-tu jamais senti, sur tes lèvres avides,
De l’Échanson de mort le philtre affreux passer ?…
Car le jour n’est pas loin peut-être où, les mains vides,
Il n’aura plus rien à verser !

Et quand ce jour-là vient tout est fini pour l’âme ;
Tous les regrets sont vains, tous les pleurs superflus !
L’amant n’est plus qu’un homme, et l’amante une femme,
Et ceux qui s’aimaient tant, hélas ! ne s’aiment plus !
Une clarté jaillit, une clarté cruelle,
Qui montre les débris du cœur brisé, vaincu ;
« Ce n’est plus toi ! » dit-il. ? « Ce n’est plus toi ! » dit-elle
Le masque tombe, et l’on s’est vu.

Ô ma pauvre Clary, ma fidèle maîtresse,
Nous verrons-nous un jour ainsi (destin jaloux ! ),
Sans ce masque divin que nous met la jeunesse,
Masque d’illusions, cent fois plus beau que nous ?
Verrons-nous, ma Clary, ? grand Dieu ! faut-il le croire ? ?
Le noir Empoisonneur entre nous quelque jour,
Tout prêt à nous verser, à nous tout prêts à boire,
L’effroyable ennui de l’amour ?

Hélas ! c’est déjà fait… j’ai bu du froid breuvage
Que l’Échanson de mort verse, ? et qu’il faut tarir ;
Et j’ai senti, Clary, chaque jour davantage,
Que je l’épuiserais sans pouvoir en mourir !

S’il t’est doux de m’aimer, préserve ta tendresse,
Ne bois pas que bien tard, bien longtemps après moi !
Et rêve encor l’amour du cœur qui te délaisse…
Du triste cœur qui fut à toi !
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Oh ! pourquoi voyager ?

« Oh ! pourquoi voyager ? » as-tu dit. C’est que l’âme
Se prend de longs ennuis et partout et toujours ;
C’est qu’il est un désir, ardent comme une flamme,
Qui, nos amours éteints, survit à nos amours !
C’est qu’on est mal ici ! ? Comme les hirondelles,
Un vague instinct d’aller nous dévore à mourir ;
C’est qu’à nos cœurs, mon Dieu ! vous avez mis des ailes.
Voilà pourquoi je veux partir !

C’est que le cœur hennit en pensant aux voyages,
Plus fort que le coursier qui sellé nous attend ;
C’est qu’il est dans le nom des plus lointains rivages
Des charmes sans pareils pour celui qui l’entend ;

Irrésistible appel, ranz des vaches pour l’âme
Qui cherche son pays perdu ? dans l’avenir ;
C’est fier comme un clairon, doux comme un chant de femme.
Voilà pourquoi je veux partir !

C’est que toi, pauvre enfant, et si jeune et si belle,
Qui vivais près de nous et couchais sur nos cœurs,
Tu n’as pas su dompter cette force rebelle
Qui nous jeta vers toi pour nous pousser ailleurs !
Tu n’as plus de mystère au fond de ton sourire,
Nous le connaissons trop pour jamais revenir ;
La chaîne des baisers se rompt, ? l’amour expire…
Voilà pourquoi je veux partir !

En vain, tout en pleurant, la femme qui nous aime
Viendrait à notre épaule agrafer nos manteaux,
Nous resterions glacés à cet instant suprême ;
A trop couler pour nous des pleurs ne sont plus beaux.
Nous n’entendrions plus cette voix qui répète :
« Oh ! pourquoi voyager ? » dans un tendre soupir,
Et nous dirions adieu sans retourner la tête.
Voilà pourquoi je veux partir !

Oh ! ne m’accuse pas ; accuse la nature,
Accuse Dieu plutôt, ? mais ne m’accuse pas !
Est-ce ma faute, à moi, si dans la vie obscure
Mes yeux ont soif de jour, mes pieds ont soif de pas ?
Si je n’ai pu rester à languir sur ta couche,
Si tes bras m’étouffaient sans me faire mourir,
S’il me fallait plus d’air qu’il n’en peut dans ta bouche…
Voilà pourquoi je veux partir !

Pourquoi ne pouvais-tu suffire à ma pensée
Et tes yeux n’être plus que mes seuls horizons ?
Pourquoi ne pas cacher ma tête reposée
Sous les abris d’or pur de tes longs cheveux blonds ?
Comme la jeune épouse endormie à l’aurore,
La fleur d’amour, comme elle, au soir va se rouvrir…
Mais si l’amour n’est plus, pourquoi de l’âme encore ?
Voilà pourquoi je veux partir !

Tu ne la connais pas, cette vie ennuyée,
Lasse de pendre au mât, avide d’ouragan.
Toi, tu restes toujours, sur ton coude appuyée,
A voir stagner la tienne ainsi qu’un bel étang.

Restes-y ! Mon amour fut l’ombre d’un nuage
Sur l’étang ; ? le soleil y reviendra frémir !
Tu ne garderas pas trace de mon passage…
Voilà pourquoi je veux partir !

Ô coupe de vermeil où j’ai puisé la vie,
Je ne t’emporte pas dans mon sein tout glacé !
Reste derrière moi, reste à demi remplie,
Offrande à l’avenir et débris du passé.
Je peux boire à présent, sans que trop il m’en coûte,
Un breuvage moins doux et moins prompt à tarir,
Dans le creux de mes mains, aux fossés de la route…
Voilà pourquoi je veux partir !

Mais, si c’est t’offenser que partir, oh ! pardonne ;
Quoique de ces douleurs dont tu n’eus point ta part,
Rien, hélas ! (et pourtant autrefois tu fus bonne !)
Ne saurait racheter le crime du départ.
Pourquoi t’associerais-je à mon triste voyage ?
Lorsque tu le pourrais, oserais-tu venir ?
Plus sombre que Lara, je n’aurai point de page…
Voilà pourquoi je veux partir !

Et qu’importe un pardon ! ? Innocent ou coupable,
On n’est jamais fidèle ou parjure à moitié ;
Le cœur, sans être dur, demeure inébranlable,
Et l’oubli lui vaut mieux qu’une vaine pitié.
Ah ! l’oubli ! quel repos quand notre âme est lassée !
Endors-toi dans ses bras, sans rêver ni souffrir…
Je ne veux rien de toi… pas même une pensée !
Voilà pourquoi je veux partir !

Car il est, tu le sais, ô femme abandonnée,
Un voyageur plus vieux, plus sans pitié que moi,
Et ce n’est pas un jour, quelques mois, une année,
Mais c’est tout qu’il doit prendre, aux autres comme à toi !
Tel que des épis d’or sciés d’un bras avide,
Il prend beauté, bonheur, et jusqu’au souvenir,
Fait sa gerbe et s’en va du champ qu’il laisse aride…
Voilà pourquoi je veux partir !

Oui ! partir avant lui, partir avant qu’il vienne !
Te laisser belle encor sous tes pleurs répandus,
Ne pas chercher ta main qui froidit dans la mienne,
Et, sous un front terni, tes yeux, astres perdus !

N’eût-on que le respect de celle qui fut belle
Il faudrait s’épargner de la voir se flétrir,
Puisque Dieu ne veut pas qu’elle soit immortelle !
Voilà pourquoi je veux partir !
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Oh ! les yeux adorés.

Oh ! les yeux adorés ne sont pas ceux qui virent
Qu’on les aimait, ? alors qu’on en mourait tout bas !
Les rêves les plus doux ne sont pas ceux que firent
Deux êtres, cœur à cœur et les bras dans les bras !
Les bonheurs les plus chers à notre âme assouvie
Ne sont pas ceux qu’on pleure après qu’ils sont partis ;
Mais les plus beaux amours que l’on eut dans la vie
Du cœur ne sont jamais sortis !

Ils sont là, vivent là, durent là. ? Les années
Tombent sur eux en vain. On les croit disparus,
Perdus, anéantis, au fond des destinées !…
Et le Destin, c’est eux, qui semblaient n’être plus !

On a dix fois aimé depuis eux. ? La jeunesse
A coulé, fastueuse et brûlante, ? et le Temps
Amène un soir d’hiver, par la main, la Vieillesse,
Qui nous prend, elle ! par les flancs !

Mais ces flancs terrassés qu’on croyait sans blessure
En ont une depuis qu’ils respirent, hélas !
D’un trait mal appuyé, légère égratignure,
Qui n’a jamais guéri, mais qui ne saignait pas !
Ce n’était rien… le pli de ces premières roses
Qu’on s’écrase au printemps sur le cœur, quand il bout…
Ah ! dans ce cœur combien il a passé de choses !
Mais ce rien resté… c’était tout !

On n’en parlait jamais… Jamais, jamais personne
N’a su que sous un pli de nos cœurs se cachait,
Comme une cantharide au fond d’une anémone,
Un sentiment sans nom que rien n’en détachait !
Ce n’était pas l’amour exprimé qui s’achève
Dans des bras qu’on adore et qu’on hait tour à tour.
Ce n’était pas l’amour, ce n’en était qu’un rêve…
Mais c’était bien mieux que l’amour !

Et sous tous ces amours qui fleurissent la vie,
Et sous tous les bonheurs qui peuvent l’enivrer,
Nous avons retrouvé toujours cette folie,
A laquelle le cœur n’a rien à comparer !
Et nous avons subi partout l’étrange empire
De ce rêve tenace, ? et vague, ? mais vainqueur,
Et jusque dans tes bras, Clara, ce doux Vampire
Est venu s’asseoir sur mon cœur.

Tu ne devinas pas ce que j’avais dans l’âme…
Tu faisais à mon front couronne de ton bras,
Et de ton autre main qui me versait sa flamme
Tu me tâtais ce cœur où, toi, tu n’étais pas !
Tu cherchais à t’y voir, chère fille égarée,
Tu disais : « Tu te tais, mon bien-aimé ; qu’as-tu ?… »
Je n’avais rien, Clara, ? mais, ma pauvre adorée,
C’est ce rien-là que j’avais vu !

Il se levait tout droit, ce rien, dans ma pensée.
Ce n’était qu’un fantôme… un visage incertain…
Mais des chers souvenirs de notre âme abusée
Le plus fort, c’est toujours, toujours le plus lointain !

Perspective du cœur ardent qui se dévore,
Le passé reculant brille plus à nos yeux…
Et le jour le plus beau n’est qu’un spectre d’aurore,
Qui revient rôder dans les cieux !

Et toi, tu l’as été, ce spectre d’une aurore,
Dont le rayon pour moi ne s’éteignit jamais !
Mais toi, jour de mes yeux, ma Clara que j’adore,
Tu n’as pas effacé cette autre que j’aimais !
Une étoile planant sur les mers débordées
Se mire dans leurs flots et rit de leurs combats…
Combien donc nous faut-il de femmes possédées
Pour valoir celle qu’on n’eut pas ?…
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Débouclez-les, vos longs cheveux.

Débouclez-les, vos longs cheveux de soie,
Passez vos mains sur leurs touffes d’anneaux,
Qui, réunis, empêchent qu’on ne voie
Vos longs cils bruns qui font vos yeux si beaux !
Lissez-les bien, puisque toutes pareilles
Négligemment deux boucles retombant
Roulent autour de vos blanches oreilles,
Comme autrefois, quand vous étiez enfant,
Quand vos seize ans ne vous avaient quittée
Pour s’en aller où tous nos ans s’en vont,
En nous laissant, dans la vie attristée,
Un cœur usé plus vite que le front !
Ah ! c’est alors que je vous imagine
Vous jetant toute aux bras de l’avenir,

Sans larme aux yeux et rien dans la poitrine…
Rien qui vous fît pleurer ou souvenir !

Ah ! de ce temps montrez-moi quelque chose
En vous coiffant comme alors vous étiez ;
Que je vous voie ainsi, que je repose
Sur vos seize ans mes yeux de pleurs mouillés…
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Le Vieux Goëland.

C’était un fier oiseau, farouche et solitaire,
Au bec crochu d’or pâle, aux pieds d’ambre, à l’œil clair,
Arraché tout vivant au rocher, son repaire,
Aux flots verts, à la nue, aux brisans, au grand air !
Ils l’avaient pris dans un de ces jours de tempête
Où Satan, sur les mers, déchaîne son Sabbat…
Un harpon lui cassa l’aile au lieu de la tête
Et ils en firent un forçat !

Dans le fond d’une cour aux quatre angles de pierre,
Ils l’avaient interné, ce sauvage reclus,
Qui restait, toujours l’œil rentré sous sa paupière,
Comme un rêveur qui songe à ce qu’il ne voit plus !

Oh ! lui, qui quand la mer se creusait en abîmes
Se plongeait dans sa courbe et remontait au jour,
Comme il a dû souffrir, ce fils des pics sublimes,
Des pierres plates de sa cour !

Comme il a dû souffrir sur la dalle poudreuse
Où son pied se séchait, encor trempé d’éther !
Comme il a dû souffrir de cette vie affreuse
Faite d’ennui du ciel et d’ennui de la mer !
Que je l’ai vu de fois, hérissé dans sa plume,
Le blême oiseau, — fait pierre aussi par la douleur !
Son aile grise était comme un manteau de brume
Pendant sur sa morne blancheur…

Il se tenait rigide en cette cour déserte,
Mais lorsque, par hasard, quelqu’un la traversait,
Alors les yeux ouverts, bec ouvert, aile ouverte,
Vers le passant, l’oiseau tout à coup s’en courait !
De son gosier sortait un cri strident et rauque,
Le cri sifflant du vent dans des agrès mouillés,
Et fixant ce passant d’un œil féroce et glauque
Il voulait lui percer les pieds !

Et si c’était les pieds de quelque jeune fille,
De ces pieds élégants, au souple brodequin,
Qui, sveltes et cambrés, moulés à la cheville,
Font craquer en marchant l’agaçant maroquin,
Alors… oh ! c’est alors que plus féroce encore
Le cruel se jetait sur ces pieds enivrants,
Comme si ces doux pieds divins, que l’homme adore,
Étaient l’horreur des Goëlands !

Que t’avaient-ils donc fait, ces pauvres pieds de femme,
Pour te mettre en fureur rien qu’à les voir passer ?…
Que te rappelaient-ils ?… Le branle de la lame
Sur laquelle autrefois tu pouvais te bercer ?
Mutilé du harpon, aux rancunes cruelles,
Tombé des airs, tombé des pics, tombé des mâts !
Ils te narguaient, ces pieds, — tu les croyais des ailes…
Goëland, tu ne rêvais pas !

O mon vieux Goëland, ce n’était pas un rêve,
Le rêve d’un captif que rend fou la douleur !
Vieux pirate échoué sur cette horrible grève,
Ces pieds, — ces pieds charmants qui passaient, — ces pieds d’Ève

Que l’on prend dans sa main et qu’on met sur son cœur,
Mais qui n’y restent pas, légers, prompts, infidèles,
Faits pour nous fuir après être venus à nous,
O mon vieux Goëland, c’étaient bien là des ailes !
Et toi, — tu t’en sentais jaloux !
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Le buste jaune.

Le Jour meurt, — et la Nuit met le pied sur sa tombe
Avec le noir orgueil d’avoir tué le Jour.
De la patère au sphinx l’épais rideau retombe,
Et le salon désert dans son vaste pourtour
A pris des airs de catacombe.

Et les volets fermés par-dessus le rideau
Ont fait comme un cercueil à ma sombre pensée…
Je suis seul comme un mort ; — et la lampe baissée
Sous son capuchon noir près de moi déposée
Semble un moine sur un tombeau.

Et les vases d’albâtre au fond des encoignures
Blêmissent vaporeux, mais paraissent encor.
Rien ne fait plus bouger les plis lourds des tentures…
Tout se tait, — excepté le vent du corridor
Qui pleure aussi sur les toitures !

Et par le capuchon de la lampe assombris
Les grands murs du salon semblent plus longs d’une aune…
Et dans le clair-obscur, oscillant, vague, atone,
On voit se détacher un buste, — un buste jaune
Bombant d’un angle de lambris.

C’est un beau buste blond, — d’un blond pâle, — en argile,
Moulé divinement avec un art charmant.
Aucun nom ne se lit sur son socle fragile.
Je l’ai toujours vu là, dans ce coin, y restant
Comme un rêve, — un rêve immobile.

C’est un buste de femme aux traits busqués et fins,
Aux cheveux relevés, aux tempes découvertes,
Et qui, — là, — de ce coin, voilé d’ombres discrètes,
Vous allonge, en trois quarts, les paupières ouvertes,
De hautains regards incertains.

Ce fut pour moi toujours une étrange figure
Que ce buste de femme, — et dès mes premiers ans,
Je la cherchais des yeux dans sa pénombre obscure…
Puis, lorsque j’en fus loin par l’espace et le temps,
Dans mon cœur, — cette autre encoignure !

Car ce buste, ce fut… oui ! mon premier amour,
Le premier amour fou de mon cœur solitaire !
La femme qu’il était est restée un mystère…
C’était — m’avait-on dit — la tante de ma mère,
Une dame de Chavincour

Morte vers les trente ans… Rien de plus. Sa toilette
En ce buste est très simple et celle de son temps.
Ses cheveux étages n’ont pas même une aigrette.
On dirait, mais alors sans nœuds et sans rubans,
La Reine Marie-Antoinette.

C’est bien là ce collier, — ce collier de sequins
Que les femmes serraient comme on fait sa ceinture,
La cravate du cou, bien plus que sa parure…
Et ce corsage aussi, dont la brusque échancrure
Descend jusqu’entre les deux seins.

O buste, idolâtré de mon enfance folie,
Buste mystérieux que je revois ce soir !…
Quand rien, rien dans mon cœur n’a plus une auréole,
Tu rayonnes toujours, jaune, dans ton coin noir,
O buste ! ma première idole !

Tous les bustes vivants que j’ai pris sur mon cœur
S’y sont brisés, usés, déformés par la vie…
Leur argile de chair s’est plus vite amollie
Que ton argile, ô buste ! immobile effigie
Et du temps inerte vainqueur !

Toi seul n’as pas bougé, buste ! forme et matière,
La vie, en s’écoulant, n’a pu rien t’enlever…
Mon rêve, auprès de toi, je le viens achever…
Je songerai de toi jusques au cimetière,
Mais, ô buste ! après moi, quel cœur fera rêver
Ton argile, — sur ma poussière ?…
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La haine du soleil.

Un soir, j’étais debout, auprès d’une fenêtre…
Contre la vitre en feu j’avais mon front songeur,
Et je voyais, là-bas, lentement disparaître
Un soleil embrumé qui mourait sans splendeur !
C’était un vieux soleil des derniers soirs d’automne,
Globe d’un rouge épais, de chaleur épuisé,
Qui ne faisait baisser le regard à personne,
Et qu’un aigle aurait méprisé !

Alors, je me disais, en une joie amère :
« Et toi, Soleil, aussi, j’aime à te voir sombrer !
Astre découronné comme un roi de la terre,
Tête de roi tondu que la nuit va cloîtrer ! »

Demain, je le sais bien, tu sortiras des ombres !
Tes cheveux d’or auront tout à coup repoussé !
Qu’importe ! j’aurai cru que tu meurs quand tu sombres !
Un moment je l’aurai pensé !

Un moment j’aurai dit : « C’en est fait, il succombe,
Le monstre lumineux qu’ils disaient éternel !
Il pâlit comme nous, il se meurt, et sa tombe
N’est qu’un brouillard sanglant dans quelque coin du ciel ! »
Grimace de mourir ! grimace funéraire !
Qu’en un ciel ennuité chaque jour il fait voir…
Eh bien, cela m’est doux de la sentir vulgaire,
Sa façon de mourir ce soir !

Car je te hais, Soleil, oh ! oui, je te hais comme
L’impassible témoin des douleurs d’ici-bas…
Chose de feu, sans cœur, je te hais comme un homme !
L’être que nous aimons passe et tu ne meurs pas !
L’œil bleu, le vrai soleil qui nous verse la vie,
Un jour perdra son feu, son azur, sa beauté,
Et tu l’éclaireras de ta lumière impie,
Insultant d’immortalité !

Et voilà, vieux Soleil, pourquoi mon cœur t’abhorre !
Voilà pourquoi je t’ai toujours haï, Soleil !
Pourquoi je dis, le soir, quand le jour s’évapore :
« Ah ! si c’était sa mort et non plus son sommeil ! »
Voilà pourquoi je dis, quand tu sors d’un ciel sombre :
« Bravo ! ses six mille ans l’ont enfin achevé !
L’œil du cyclope a donc enfin trouvé dans l’ombre
La poutre qui l’aura crevé ! »

Et que le sang en pleuve et sur nos fronts ruisselle,
A la place où tombaient tes insolents rayons !
Et que la plaie aussi nous paraisse éternelle
Et mette six mille ans à saigner sur nos fronts !
Nous n’aurons plus alors que la nuit et ses voiles,
Plus de jour lumineux dans un ciel de saphir !
Mais n’est-ce pas assez que le feu des étoiles
Pour voir ce qu’on aime mourir ?…

Pour voir la bouche en feu par nos lèvres usée
Nous dire froidement : « C’est fini, laisse-moi !! »
Et s’éteindre l’amour qui, dans notre pensée,
Allumait un soleil plus éclatant que toi !

Pour voir errer parmi les spectres de la terre
Le spectre aimé qui semble et vivant et joyeux,
La nuit, la sombre nuit est encore trop claire…
Et je l’arracherais des cieux !
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Dans son égoïsme atroce, l'"amour qui souffre n'a pas plus de pitié pour qui souffre comme lui que les pestiférés n'ont de pitié les uns pour les autres.



"Le bon Dieu ! où est-il le bon Dieu ? Ah ! je le méprisais déjà comme une idée fausse, mais, s'il pouvait exister - à présent je le haïrais comme un bourreau ! ... "
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Elle avait les cheveux de la Nuit, – reprit Ravila, – mais sur le visage de l’Aurore, car son visage resplendissait de cette fraîcheur incarnadine, éblouissante et rare, qui avait résisté à tout dans cette vie nocturne de Paris dont elle vivait depuis des années, et qui brûle tant de roses à la flamme de ses candélabres. Il semblait que les siennes s’y fussent seulement embrasées, tant sur ses joues et sur ses lèvres le carmin en était presque lumineux !
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Elle avait les cheveux de la Nuit, – reprit Ravila, – mais sur le visage de l’Aurore, car son visage resplendissait de cette fraîcheur incarnadine, éblouissante et rare, qui avait résisté à tout dans cette vie nocturne de Paris dont elle vivait depuis des années, et qui brûle tant de roses à la flamme de ses candélabres. Il semblait que les siennes s’y fussent seulement embrasées, tant sur ses joues et sur ses lèvres le carmin en était presque lumineux !
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Lui, il eut, ce soir-là, la volupté repue, souveraine, nonchalante, dégustatrice du confesseur de nonnes et du sultan. Assis comme un roi – comme le maître – au milieu de la table, en face de la comtesse de Chiffrevas, dans ce boudoir fleur de pêcher ou de… péché (on n’a jamais bien su l’orthographe de la couleur de ce boudoir), le comte de Ravila embrassait de ses yeux, bleu d’enfer, que tant de pauvres créatures avaient pris pour le bleu du ciel, ce cercle rayonnant de douze femmes, mises avec génie, et qui, à cette table, chargée de cristaux, de bougies allumées et de fleurs, étalaient, depuis le vermillon de la rose ouverte jusqu’à l’or adouci de la grappe ambrée, toutes les nuances de la maturité.
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Une nuit de février 183…, le vent sifflait et jetait la pluie contre les vitres d’un appartement, situé rue de Varenne, et meublé avec toutes les mignardes élégances de ce temps d’égoïsme sans grandeur. Cet appartement, boudoir dessiné en forme de tente, était gris de lin et rose pâle, et il était aussi chaud, aussi odorant, aussi ouaté que l’intérieur d’un manchon.
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