Augustin Trapenard accueille également
Justine Augier pour "
Croire : Sur les pouvoirs de la littérature". Véritable hommage à sa mère, qui l'a fortement encouragée à l'écrire juste avant son décès et édité chez
Actes Sud, c'est aussi une ode à la littérature. À mi-chemin entre le récit intime, le manifeste de lectrice et la réflexion. Ce dernier est également un écho direct à l'essai "
De l'ardeur", publié il y a six ans dans lequel le portrait d'une dissidente syrienne Razan Zaitouneh, figure de l'engagement pour les Droits de l'Homme et de la démocratie dans son pays, était dressée.
Retrouvez l'intégralité de l'interview ci-dessous : https://www.france.tv/france-5/la-grande-librairie/
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Au centre de L’Espèce humaine, la volonté de parler et d’être entendu, la volonté d’explorer et de connaître, débouche sur cette confiance illimitée dans le langage et dans l’écriture qui fonde toute littérature.
(Robert Antelme)
J’accordais alors beaucoup d’importance aux livres comme objets, les traitais avec respect quand ma mère les cornait et n’en prenait aucun soin. J’ai ce souvenir : nous sommes dans un avion, je dois avoir une douzaine d’années, ma mère a emporté avec elle l’un de ces gros romans policiers de Patricia Cornwell dont j’ai commencé à lire quelques pages alors qu’elle l’avait posé un instant. Quand elle le récupère, sans rien dire, sourire en coin, bien consciente de mon air ébahi mais n’en montrant rien, elle arrache le premier chapitre pour que je puisse continuer de lire et nous poursuivons ainsi, lisant côte à côte le même livre qu’elle déchire peu à peu.
Quand l'orientaliste allemande lui demande s'il ira le lendemain à la conférence sur les traités dans l'islam qui doit se traiter au Wiko, il se met bien à l'aise sur sa chaise pour expliquer qu'il est rarement impressionné par ces occidentaux qui font de la recherche sur l'islam......Il essaie de m'expliquer, de s'expliquer qu'il ne supporte pas cette façon de figer le monde arabe dans l'époque du Prophète, qu'il y voit une façon de nier aux Arabes un droit à l'histoire, qu'il ne supporte pas l'idée que parce qu'il vient du Moyen-Orient il devrait s'intéresser à tout ce qui touche à l'Islam.
Il a voulu écrire sur la Syrie parce qu'il y avait un manque de connaissances terrible, humiliant même. Il s'agissait d'en finir avec une approche purement géopolitique ( les présidents, les capitales), avec les concepts forgés par les Occidentaux ( le monde arabe, le tiers-monde, le Moyen-Orient), d'en finir avec le prisme culturaliste (le sunnisme, le chiisme, la mentalité arabe, l'islam) , d'en finir avec une Syrie dépeuplée et de parvenir à représenter le pays comme objet de réflexion dans sa singularité, de l'appréhender comme on appréhende toutes les autres sociétés de la planète.
Au début d’un article sur Yahya, Razan met son lecteur en garde, admet que cette histoire de révolutionnaires qui offrent des roses aux soldats peut sembler d’un idéalisme forcené et candide. Mais le geste est partout repris et imité, partout commenté, sans ironie ni commisération. Le régime ne supporte pas ce geste, ne supporte pas ces jeunes hommes qui avancent vers les forces de l’ordre, désarmés, torse exposé, tentant de capter le regard des soldats d’Al-Assad qu’ils considèrent comme des victimes –ils expriment leur empathie à l’égard de ces jeunes des classes populaires qui n’ont pas vingt ans, font leur service, gagnent une misère, vivent sous le regard inquisiteur des officiers et loin de leurs familles depuis des mois parce qu’il vaut mieux déraciner les soldats quand on veut qu’ils puissent tirer sur la foule, qu’ils n’aient pas besoin de s’en prendre au fils du voisin.
L’État islamique est né de la violence déployée en Syrie, en Irak, et avant cela en Afghanistan, mais aussi du langage que l’on a épuisé et qui finit par tourner à vide. Face aux mots qui n’accrochent plus, on pourrait faire le choix de s’en remettre à un autre langage, plus incarné, et pourquoi pas même à une parole révélée.
Yassin me fait remarquer que les deux parlent maintenant arabe "comme des libanais", ne peuvent s'empêcher de ponctuer leurs phrases de mots anglais.
......on raconte que Sarkozy aurait dit du jeune président : On peut lui faire confiance, vous avez vu sa montre et sa femme ?
( le jeune président est Bashar al-Assad )
C’est dans cette place laissée en soi à l’autre que naît la possibilité d’une conversation intérieure, ressort même de la pensée selon Arendt qui évoque la banalité du mal dans ses textes sur le procès d’Eichmann, comme une inaptitude à penser qui relève d’un manque d’imagination, une inaptitude à entretenir un dialogue entre soi et soi, une façon de faire tourner sa conscience dans un espace clos, sans jamais plus la confronter à l’autre.
Il a fallu encore cinquante ans après cette double adoption [celle de la Convention ONU pour la prévention et la répression du crime de génocide et celle de la Déclaration universelle des droits de l'homme] pour que soit créée la Cour pénale internationale. La même année, en 1998, Pinochet a été arrêté à Londres suite à un mandat d'arrêt émis par un juge espagnol pour génocide, terrorisme et torture. Un autre recours se mettait en place comme si, déjà, on commençait à douter du système qu'on avait mis des décennies à construire. Ce recours permettrait de contourner les inerties de l'institution internationale en se tournant vers les juridictions nationales, en faisant appel au principe de compétence universelle.