Les Attentives - Karima Berger
Lorsqu'elle vivait à Amsterdam, Etty Hillesum avait accroché la photographie d'une jeune Marocaine au-dessus de sa table de travail. Elle s'adressait parfois...
Mon visage de ‘Noiraude’ et ton visage de ‘Tartare’ se reflètent par-delà le fouillis de ton bureau. Marocaine et Kirghize, Noiraude et Tartare, Arabe et Juive, j’aime quand se mêlent nos origines et qu’elles nous révèlent notre immensité
«Celui qui ne brûle pas derrière lui son bateau et reste les yeux rivés sur le pays perdu, risque de brûler ce qui est devant lui. Plutôt que de gagner le large de sa nouvelle terre et aller voir ce qui l'attend, il ne cesse de revendiquer son origine par une série de signes qui émergent comme des épaves à la surface d'une mer gelée... Il demeurera à l'âge où il a quitté son pays»
J'étais persuadé que le métier de femme était de faire jubiler l'atmosphère, l'emplir de mots, chants, senteurs, bijoux, couleurs, enfants et parfums.
Christine : La pensée de l’altérité, comment l’exprimer autrement qu’en poème, en inachevé, en enlacement, en exil, en souffle, à plusieurs voix ? Rêvons que d’autres voix se mêlent aux nôtres.
Karima :Et nous deux, femmes qui avons traversé la mer, vigies aussi, nous résistons, nous avons fait œuvre de re- connaissance. J’ai goûté l’empathie avec laquelle nous avons médité toutes deux, c’était entre nous comme un « état d’esprit, comme un outil de travail, une démarche » , elle a été l’âme de notre écriture, nous guidant avec une grande douceur dans cette tâche, rude il faut le dire. Ce fut un apprentissage de l’écart, constant ; nous avons été exposées à une vérité qui m’a plus d’une fois étourdie lorsque je voyais monter devant mes yeux, un à un, les paliers de Babel heureuse. J’ai été tourmentée, interpellée, de cette construction ; j’en sors encore plus moi, encore plus autre. Cette écriture a été comme une forme de prière et ton sel était étrange et bon.
«Les religons ont transmis les textes, les saints, les récits de ceux qui ont cherché Dieu. Mais elles ont aussi accaparé le divin, enchaîné les esprits au lieu de les libérer. C'est un tout, mauvaises herbes et bon grain mêlés. La foi s'y fraye un petit sentier»
Je suis le corps de l'Algérie, je veux transmettre mais tout est gangrené.
Il ne dit plus rien, il écoute la femme lire en silence puis à haute voix. Elle a un regard grave, sévère presque, elle sourit peu, elle l’intimide, il attend, mais il ne sait plus ce qu’il attend, des révélations ou que la femme cesse de lire et lève de nouveau les yeux vers lui, que se reproduise le miracle de son regard ou de saisir l’occasion de détailler ses lèvres (Langues sans Frontières, ce nom d’Association, c’était de la provocation… !), des lèvres qu’elle avait charnues, épaisses et plissées
«Libération, c'est tellement beau pourtant ! Dans Libération, on est dans le plaisir, dans Indépendance, on est dans l'après-coup... Indépendance appartient aux politiques, Libération appartient au peuple»
…cet autre étrangeait mon être, le fécondait d’une sève inconnue.