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Citations de Karine Silla (80)


Il a fallu plusieurs années d’expérience parmi les indigènes pour comprendre les techniques qu’il fallait mettre en œuvre pour obtenir les meilleurs résultats. Un savant mélange d’autorité et de considération de leurs tâches quand elles sont bien accomplies. La récompense est une chose qui fonctionne bien, la flatterie aussi, et tout ce qui brille. L’homme noir est comme la pie, fidèle à son nid, bavard et chapardeur. La queue longue aussi, de laquelle il tire un certain orgueil. Un sourire narquois se dessine, sur ses lèvres charnues, quand il voit les blancs passer avec leurs dames. Il faut éviter à tout prix la familiarité, trouver la bonne distance. Beaucoup d’agents coloniaux ont des relations intimes avec des femmes indigènes qui sont forcément vouées à l’échec. Deux cultures si opposées ne peuvent pas s’assembler. Les enfants métis sont des êtres égarés qui renient les noirs et jalousent les blancs. Souvent délaissés par leurs pères, ils appellent tous les blancs « papa ». Heureusement l’administration a construit une école à Saint-Louis pour les former à des métiers inaccessibles aux noirs, postiers ou infirmiers.
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— Notre plus grand ennemi… c’est la peur qui est en nous. Il ne faut pas seulement combattre l’ennemi du dehors il faut aussi chasser l’ennemi du dedans.
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— Je ne comprends pas le sens de tout ça. On ne peut plus cultiver notre riz en quantité suffisante pour se nourrir, alors les paysans sont contraints d’agrandir leurs champs pour pouvoir payer l’impôt et avoir suffisamment d’argent pour acheter du riz qui vient d’ailleurs ! Mais Diacamoune, c’est pas logique, on ne peut pas continuer comme ça. Il faudrait pouvoir dire non.
— C’est fini ma petite, le système est enclenché. C’est la modernité… il faut s’habituer et chaque chose a ses bienfaits.
— Je ne sais pas si on doit s’habituer aux mauvaises habitudes… Il n’est jamais trop tard pour dire non.
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Les divisions populaires parmi les noirs sont assez subtiles, voire compliquées, pour qui se contentent de ne se fier qu’à la couleur de peau. Avec évidence, il y a sur le haut de la pyramide, les blancs, les indigènes nous surnomment les toubabs ! Partout on entend les enfants chanter, toubab, toubab ! Ensuite, il y a ce qu’on appelle les blancs-noirs, petits fonctionnaires de bureau, on les reconnaît à leurs habits et leurs airs enjoués par leur ascension dans l’échelle sociale, ensuite les nègres qui travaillent pour les toubabs et les blancs-noirs et tout en bas les noirs-noirs, ceux qui nous regardent avec méfiance et qui peuvent être dangereux.
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Depuis quelques mois ils ont installé un grand espace pour décortiquer les arachides sur place et réduire le volume des quantités à transporter. Avec les coques ils font de la lumière. C’est magique. Dans le quartier des blancs la lumière existe même la nuit. Diacamoune ne s’était pas trompé, des tout petits globes en verre avec des fragments de soleil. Quand on monte sur la bute au-dessus du port, on aperçoit au loin les points lumineux qui scintillent comme si les étoiles s’étaient posées sur leurs maisons.
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— Dieu est bien moqueur, ce brave homme a survécu à la rude épreuve de la mer, aux bombes sur les champs de bataille, au chagrin dévorant de la perte de son épouse puis de ses fils et il a suffi d’un tout petit moustique, à peine visible dans la nuit, pour lui ôter la vie.
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L’autre jour il m’a parlé du peuple diola qui fait régner la terreur depuis la nuit des temps. Ces gens ne tarissent pas d’exploits et de légendes. Dès la première heure, ils ont refusé toute domination et toute collaboration avec les esclavagistes portugais. Les guerriers diolas ont empêché l’accès aux contrées forestières de la rive sud aux Européens. Pendant des années, personne n’y avait accès et le mystère y allait bon train. C’est très récent qu’on s’y aventure. Jean y est déjà allé plusieurs fois pour compléter une étude qui permet de comprendre les populations locales. Sa mission est par ailleurs beaucoup plus intéressante que la mienne. La prochaine fois je ferai de nouveau le voyage avec lui. J’éviterai de toute évidence la région qui pratique la magie noire. On parle de cérémonies qui invoquent les fantômes et les esprits maléfiques. Beaucoup de Français ont pris peur et ont préféré les laisser tranquilles. Ça fait des siècles que ce peuple évolue en toute indépendance. Comment veux-tu qu’on s’impose là-dedans ? D’après Jean, et je serais d’avis à l’écouter, ce peuple est inaliénable, non pas par pur esprit de rébellion, mais par leurs croyances qui sont la base de leur identité. Pour eux, le respect sacré des valeurs ancestrales est primordial ; l’égalité entre les êtres humains, la liberté des individus, la protection et le respect des personnes, des ancêtres et de la nature, l’interdiction d’exploiter l’être humain, l’interdiction de tuer son prochain, l’honnêteté, l’ardeur au travail, la persévérance individuelle et communautaire, l’honneur, le courage, la solidarité, la fraternité, l’indépendance, la paix, la cohésion sociale. Jean insiste sur leur sens aigu de la liberté d’égalité. Il a tenté de renseigner le nouvel administrateur en poste à Ziguinchor pour que les choses se passent mieux et qu’ils arrêtent de se mélanger les pinceaux avec les différentes tribus. Ils ont tendance à diriger les autochtones comme les chiens de berger dirigent les moutons ! D’après Jean, ceux qui dirigent nos colonies ont une méconnaissance complète du pays et imposent des chefs incapables de maîtriser leur population.
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Nous tentons d’imposer, avec force souvent, un régime foncier à des gens qui sont habitués au collectivisme. Chez eux le socialisme est un atavisme. L’individu, sorti de sa collectivité, n’a pas grande valeur. Ils fonctionnent en troupeaux, ignorant peut-être que la prise en charge de sa propre individualité est le tout début de la civilisation.
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On ne peut pas être contre l’évolution de l’homme. Le progrès demande des sacrifices. C’est une vraie révolution pour la population indigène mais il n’y a pas de révolution sans violence, sans dommages collatéraux, notre histoire nous l’a appris.
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Je préfère les observer sans croiser leur regard qui me rend souvent mal à l’aise. Je me sens parfois un peu comme un voleur, moi qui n’ai jamais rien volé, même si je sais pertinemment que la mission civilisatrice est essentielle pour l’évolution de l’humanité. Nous vivons en minorité comme des clandestins dans un pays emprunté. Une sensation de vivre dans une France usurpée sous le regard ahuri parfois méprisant d’une population qui retient sa colère. Je n’ai peut-être pas l’âme d’un conquérant et préfère juste profiter du système sans pour autant m’en sentir responsable.
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Nous nous devons d’être semblable à une mère protectrice qui doit nourrir, soigner, enseigner la vie à ses petits pour qu’ils puissent devenir des hommes respectables. On se doit de faire franchir une étape, à ces Africains, vers une semi-civilisation. La nôtre comme dirait Jean mais je lui assure qu’elle est bien supérieure à celle qui était déjà en place toutefois que je lui reconnaisse qu’il en existait une. Nous sommes sur un immense réservoir de matières premières en grande partie inutilisées, et pour en profiter, je reconnais à Jean que nous n’y parviendrons pas sans les indigènes. Ils doivent rester forts, bien nourris, aptes à se servir des nouveaux outils que nous leur fournissons, avec un bon esprit à la tâche pour que nous tirions le maximum de leur force de travail.
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La vie coloniale avilit doucement, pernicieusement, c’est un réel danger je pense. Ce n’est pas toujours évident de s’adapter dans ces contrées et de vivre en minorité parmi les sauvages. (Jean n’aime pas du tout que j’emploie ce terme, il prétend que ce sont nous les sauvages et que nous aurions piétiné des siècles de civilisation !) Nous restons une toute petite poignée de blancs dans une gigantesque marée noire !
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Pour se savoir deux ou plusieurs, dans ce bateau chancelant de la vie, il fallait être heureux.
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Commerce, christianisme et civilisation. Ce sont les mots d’ordre. La mission. La grande ambition. L’Afrique est la nuit qu’il faut éclairer. Enraciner l’Église, encourager une autre idée du couple et de la famille. L’idée est simple, renoncer aux codes des familles traditionnelles africaines, la famille et le clan ne doivent pas intervenir et se mettre en travers du progrès. Sur le papier on vend aux Africains la culture de l’Occident, un pacte de mariage devant l’Église qui n’implique que deux personnes, l’idée d’un choix libre et réciproque de deux êtres qui se doivent fidélité jusqu’à ce que la mort les sépare. La France c’est la liberté d’aimer. L’ode aux sentiments, l’ivresse des poètes. Les indigènes animistes font les yeux rond, impossible d’intégrer, de taire les murmures incessants de leurs ancêtres : restez ensemble, méfiez-vous des travers de l’individu, dansez pour faire tomber la pluie, honorez vos arbres en guise d’églises. C’était à prévoir, il y a toujours les méfiants, les trouble-fête, ceux qui résistent au progrès. Mais la France entend, c’est un grand pays connu pour ses droits de l’Homme, elle n’est là que pour le mieux. Pour étouffer les rebellions, on accepte en guise de transition le code coranique plus proche des coutumes locales. À contre-cœur, on tolère l’islam pour les indigènes trop ancrés dans leur barbarie initiale. Certains sont ravis de cette nouvelle religion que leur offrent les Européens qui vient réveiller des fantasmes de plaisirs individuels et les détachent des contraintes du clan.
En s’agenouillant dans l’église, baptisant leurs nouveaux-nés et refusant l’autorité de leur chef de village, ils s’imaginent pouvoir échapper à toutes les obligations de l’indigénat. Ils n’ont rien compris, les indigènes restent des indigènes, il faut vite parer à ce malentendu, le christianisme ne doit surtout pas être l’arme de leur libération. L’égalité dans le système colonial est inenvisageable. Il faut que l’Église forme ses nouveaux chrétiens tout en gardant l’appui précieux des chefs conciliants pour pouvoir former les bons employés de l’administration sans perdre le pouvoir. Les nouveaux chrétiens lettrés doivent absolument rester dans le giron de la France pour qu’ils puissent la défendre avec acharnement. Ils doivent profondément comprendre et accepter la grandeur du projet colonial pour pouvoir la transmettre à leurs enfants.
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C’est rageant de vouloir aider des gens qui préfèrent se laisser mourir plutôt que d’accepter la main qu’on leur tend. Je m’efforce à leur répéter : aidez-vous, et le ciel vous aidera ! Il est si difficile de faire comprendre au nègre l’importance du travail. Il est désespérément lent, un rien le distrait, une mouche qui passe, un âne qui braille, une feuille qui s’envole, le bruit d’un tam-tam lui donne immédiatement un goût de fête et une envie de rire, c’est vraiment pénible. Aucune discipline, aucune régularité, parfois ce n’est pas méchant, comme des grands enfants qui s’amusent au fond de la classe au lieu d’écouter le professeur. On ne peut jamais baisser notre vigilance. Tout est prétexte au repos. Il essaie même de nous faire croire qu’il supporte moins la chaleur que nous pour pouvoir justifier son besoin de sieste. Tout le monde sait que le travail, même pour nous Européens, n’est pas une fin en soi. Personne ne conteste le plaisir de l’oisiveté, mais on s’active par ambition. Toujours désireux d’une vie meilleure, pour nous et pour celle de notre société. On travaille pour satisfaire ses besoins et en proportion de ces derniers. Or l’indigène, qui n’est pas toujours de mauvaise foi, voit la vie en petit. Il est incapable de se projeter ailleurs et ses besoins sont limités. Alors pourquoi travailler ? L’ambition nous devons l’avoir pour lui et lui imposer le travail forcé pour l’aider à l’emmener vers une évolution. Un jour, il verra les résultats et ne pourra que nous être redevable. C’est comme avec les enfants, si notre père ne nous avait pas forcé à prendre telle ou telle direction nous serions très certainement des ratés. Pour l’indigène africain tout n’est peut-être pas perdu parce que nous avons tout de même remarqué qu’il est sensible au profit. La cueillette du caoutchouc qui est bien rémunérée trouve main-d’œuvre plus facilement. C’est étonnant de voir aussi le progrès rapide de certaines tribus arriérées que nous avons, tant bien que mal, sauvées de l’esclavage. Les plus malins ont su profiter du système et sont devenus marchands, boutiquiers, commerçants, on voit même poindre des salons de coiffure ! Certains occupent des hautes situations dans l’administration et revêtent avec fierté un costume tout à fait respectable. Il ne faut pas oublier que c’est cette même génération d’hommes, ceux qu’on voit porter le chapeau haut de forme, qui sont nés dans la sauvagerie ! Je dois avouer que rien n’est plus grisant que le progrès et qu’au nom de la civilisation tout doit être permis.
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Chaque instant compte, remplis-le avec joie et courage parce que la vie, quelle que soit sa durée, doit être entreprise comme un long projet qui continuera au-delà de nous.
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N’oublie jamais qu’un homme qui veut te dominer, Aline, est tout simplement un homme qui a peur.
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— Je n’aime pas les traîtres.
— Il faut avoir pitié des gens qui ont peur… Leur vie est souvent misérable, ils rampent sur le sol comme des cafards et finissent toujours par se faire écraser.
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Elle voulait le mieux pour son pays. Elle leur a fait confiance, ignorant la voix qui la tenait en alerte, et très vite, malheureusement, ce fut terrible, comme chez nous, en Casamance. Les Anglais ont imposé l’impôt, ils leur ont confisqué leurs terres, interdit de pratiquer leurs rites traditionnels en les accusant de magie noire. Il fallait que le peuple accepte leur Christ mort sur la croix et toutes ces histoires de la mère miraculeuse mariée au menuisier auxquelles ils ne croyaient pas. La zizanie commence, son peuple se divise et la guerre éclate. Une grande rébellion armée, conduite par un prêtre traditionnel, s’organise pour chasser les Anglais. Nehanda sait maintenant qu’elle a eu tort de faire confiance à l’envahisseur parce qu’il n’existe pas de bons envahisseurs.
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— Les hommes, assis devant elle, n’avaient pas la figure de l’ennemi. Ils avaient l’air aimables, alors, malgré l’hostilité de son peuple, elle les invite pour partager son repas.
— Mais mon oncle, où étaient tous les autres blancs ?
— Il n’y en avait pas. Le Zimbabwe les avait refusés. Trois siècles auparavant les Portugais avaient tenté de s’introduire dans leur pays mais on les avait chassés.
— C’est dommage ! Nehanda n’aurait jamais dû les laisser rentrer.
— Elle aimait le mouvement et ces hommes avec leurs grandes idées pour développer le pays lui proposaient une nouvelle aventure. Ils promettaient de rester en retrait. Et que pouvaient bien faire une poignée d’hommes face à son immense armée ?
— Mais mon oncle, est-ce que des gazelles même si elles sont nombreuses peuvent faire confiance aux lions affamés ?
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