Abigail Assor, Hélène Coutard, Souad Labbize au sommaire de MOE 5 mars 2021
D’abord
ils ont coupé
le cordon ombilical
pour des raisons naturelles
Ensuite
ils ont coupé
le prépuce
pour des raisons d’hygiène
Enfin
ils ont coupé
la langue
pour des raisons de sécurité
Grammaire amoureuse
dans je pense à toi
je ne suis pas
le sujet de la phrase
Une passante s'éloigne
enfonce les mains dans les poches
quand elle aura disparu
j'oublierai tes dernières paroles
je ne sais plus
si tu m'as dit
à bientôt ou adieu
ou les deux à la fois
toi tu sais si bien dire
des formules gigognes
faciles à emboîter
tu n'as peut-être rien dit
d'aussi important
Toi Cosette moi Gavroche
aux jeux de récréation
les Misérables c'était nous
en classe de français
nous ânonnions ton nom
Liberté
sur le cahier d'écolière
hum
ni Hugo ni Eluard
n'ont écrit un seul mot
pour nous autres
poussières de colonisées
Des pas
Dans la grotte sombre
à quelques pas
existe
un trou béant
nous y tomberons tous
sans un cri
nous rirons croyant
que ce courant d'air
vient d'une ouverture proche
et non d'une chute dans l'abîme
Amina Aljaddani
J’AI PISTÉ TES TRACES…
J’ai pisté tes traces
quelques indices
sur la neige d’une nuit
le désir courait plus vite
que mes jambes
mon haleine fiévreuse
faisait fondre
l’empreinte de tes pas
Rien de grave n’est arrivé depuis que ma mère a hurlé. Mon récit balbutiant a buté contre l’écho de sa voix. Mes paroles se sont recroquevillées autour de leur noyau, d’autres moins souples ont implosé, semant un arbre à grenades dans les plis de la gorge. Chaque floraison renforce les racines du grenadier tenace, les fruits non cueillis se rabougrissent, encombrent ma poitrine. Quels mots d’enfant allaient relater ce que je venais de subir ? Je suis rarement revenue, depuis l’été soixante-quatorze, vers ces paroles enfermées dans mon cachot intime, le plus éloigné de ma vue quand je descends dans les caves de l’enfance.
Affligée, humiliée d’entendre parler de moi en ma présence, comme si j’étais un objet
Qu’ont-ils tous vécus pour être aussi fragile face au désarroi d’une enfant abusée ?
J'ai des rêves de mailles serrées
d'un tapis noué main
qu'on oublie de secouer