AccueilMes livresAjouter des livres
Découvrir
LivresAuteursLecteursCritiquesCitationsListesQuizGroupesQuestionsPrix BabelioRencontresLe Carnet
Critiques de Souad Labbize (26)
Classer par:   Titre   Date   Les plus appréciées


J'aurais voulu être un escargot

J’ai glissé lentement dans ce livre comme dans un bain chaud aux effluves entêtants et ensorcelants.

J’ai dû m’accrocher un peu au début, car chaque page est d’une densité extrême, mais n’ai pu résister à la séduction d’un style rare, magnifique, à vrai dire qui ne ressemble guère à ce que j’ai pu lire jusqu’ici.

L’histoire centrale est celle d’une petite fille née et grandissant à Tounjaz Miracle, une terre « née d’une magnifique bourrasque des temps immémoriaux », tentant de s’affranchir de nombreuses prisons, culturelles, religieuses, à la conquête de sa vérité de femme, de son corps, ses désirs, avide de vérité et de liberté dans un environnement paradoxal d’amour et de tradition.

Roman initiatique oui, mais bien plus que cela. Plus qu’un livre, il s’agit d’un voyage, d’une traversée à la fois onirique et crue dans la vie d’une femme en devenir.

La richesse et la singularité du roman tiennent au fait de ce perpétuel basculement entre conte et confession, tradition et modernité, douceur et violence. Souad Labbize transcende les faits et les émotions en les enveloppant d’une langue foisonnante et subtile, nous entraînant dans des mondes de sons, de senteurs, de couleurs qui nous font tourner la tête et nous hypnotisent.

Le roman est découpé en courts chapitres, alternant les lieux et les scènes, mais jamais l’on ne perd le fil conducteur car l’ensemble est admirablement bien construit. La maîtrise du récit est remarquable tant les mots nous charment, nous caressent, ou nous frappent de plein fouet, charriant des blessures intimes dont le sang coule dans un silence assourdissant.

Ce qui m’a le plus touchée dans ce récit, outre ce beau et sensible portrait de femme, est la déclaration d’amour que fait Souad Labbize à la langue, langue arabe comme française. Ce rapport à la langue irrigue son style, le fertilise, et constitue à mes yeux son essence d’auteur. Je me suis reconnue, peut-être parce que méditerranéenne (d’une autre tradition mais dont il me fallut aussi m’affranchir), de la même génération. Mais plus encore dans mon propre rapport à l’écriture qui me fait m’interroger sur toutes les langues qui me constituent, y compris certaines que je ne parle pas mais que je peux entendre, si, pour emprunter à David Grossman, autre auteur méditerranéen, « j’écoute avec mon corps ».

Ce roman mérite de nombreux lecteurs, car sa qualité dépasse largement la moyenne des romans que l’on trouve en nombre dans les lieux dits de culture.

Pour ma part, se lecture m’a été une divine surprise et je vous encourage à le découvrir.

Commenter  J’apprécie          220
Enjamber la flaque où se reflète l'enfer

Beau témoignage écrit quarante ans après sur un viol subi. Et ceux qui l'ont suivi. La plume est trempée dans le sang, on imagine le tremblement de terre que ce travail de réminiscence a suscité chez l'auteure. Une violence inouïe faite à une enfant de neuf ans, confirmée et amplifiée encore, s'il était possible, par une autre violence infligée à postériori : le manque d'empathie (c'est un euphémisme), voire la cruauté, consciente ou non, d'une mère et de son cercle proche, ont accru la solitude et la déréliction de la petite fille, mettant en danger la femme future. Ce sont les réactions de l'entourage qui bouclent la boucle et font peser le stigmate, non sur les criminels mais bien sur leurs proies. Qui ensuite se taisent. Massivement.

Industrie des hymens reconstitués, parfois chez de toutes petites filles, de minuscules puces déjà chosifiées par les prédateurs. Qui sont souvent dans l'entourage : oncles, pères de camarades de classe.... Qui sont partout : dans les vestiaires des femmes, dans la rue, sur les marchés, dans les maisons...

Les victimes dérangent, c'est un fait. Les victimes sont les seules coupables. Les victimes, si l'on écoutait leur discours muet et recroquevillé par la douleur, remettraient gravement en cause l'ordre établi. Le féminin porte la culpabilité en lui : le corps féminin doit être puni.

Le style est beau, très beau. Efficace, très efficace.

Bonne idée aussi, bien que je ne comprenne pas l'arabe, d'avoir également édité le témoignage dans la langue du pays où eut lieu les agressions. Non que ce pays ait le monopole des violences aux enfants, mais bien pour dénoncer ce crime dans les deux pays de l'auteure : son pays natal et celui où elle vit.
Commenter  J’apprécie          170
Je franchis les barbelés

c'est court

percutant

le déchirement de l'exil

la langue sur les 2 rives

de la méditerranée

qui se heurtent

qui s'affrontent

dieu a disparu

est mort

pas enterré toujours

sanctifié par les pires



c'est une femme

entre deux rives

ne sait plus où se mettre

cherche à se recoller

sa liberté

une langue efficace

des images fulgurantes

la voix des sans voix



Merci à Babelio et aux éditions Bruno Doucey
Commenter  J’apprécie          140
Je franchis les barbelés

Dans un très belle collection de la maison d'édition Bruno Doucey, Souad Labbize nous offre d'une plume sensible, des poèmes aux couleurs de l'exil, aux cris de femmes soumises qui d'une seule voix crient leur liberté !

Merci Babelio et Masse critique qui m'a permis cette lecture.
Commenter  J’apprécie          110
Enjamber la flaque où se reflète l'enfer

À cinquante ans, Souad Labbize ose enfin raconter son viol, confiné jusqu’alors dans ses pensées et ses peurs, tenues secrètes pendant plus de quarante ans dans ce “cachot intime” de l’enfance, où se sont fossilisés les mots pour dire son drame. Enjamber la flaque où se reflète l’enfer, est le récit intime de l’auteur de ce roman , qui fait appel à de douloureuses bribes de souvenirs de cette fatidique année 1974, année de son viol année de son viol, alors qu’elle n’a que 9 ans. par un adulte alors qu’elle était sortie en cachette de la maison. Ce témoignage devient une “marque de compassion” pour la petite fille qu’elle était, puisque ni sa mère, ni son père, ni ses tantes et encore moins les voisins ne lui ont témoigné, après son viol, la moindre compassion ni tendresse, si ce n’est les humiliations répétitives de la mère, les moqueries innocentes des petites cousines et “l’indolence” du père. Ce père qui “rougit” à l’annonce faite par son épouse de la “tentative” de viol que venait de subir sa fille. Au drame du viol, à la difficulté de le comprendre et de le dire, s’est érigé un autre enfer, celui du dégoût de la mère, qui ébruitera le déshonneur que venait de subir la chair de sa chair auprès de la famille et des voisins, voyant en elle l’unique responsable. “Ma mère a continué à ébruiter mon malheur avec mépris, elle se plaignait d’avoir une fille stupide. Aucune des femmes informées n’a eu le mouvement vers la petite fille figée sous la pluie acide des mots maternels. Je m’habituais au manque de tact de ma mère, à l’absence d’affection, au silence de mon père.” La cruauté de la mère, censée pourtant la soutenir et la consoler, finit par faire de la petite fille une enfant sans repères, sans joie, murée dans un mutisme et une peur perpétuelles. Le rejet de la mère mènera la jeune Souad à ne plus oser parler des autres viols et agressions sexuelles qu’elle subira les années suivantes et à l’âge adulte, puisque, dans les sociétés maghrébines, l’opprobre est porté sur la victime, non le violeur, et l’actualité le démontre. Ainsi sont passés sous silence les abus du moniteur de la piscine, père de deux enfants du même âge qu’elle, ceux des gamins du quartier, amassés autour d’elle à l’entrée de l’immeuble, ceux de Hassan le voisin, ni Elyas, le cousin violeur, qui abusait d’elle dans la terrasse en haut de la maison à El-Harrach.

Stratifiés, ces traumatismes successifs finissent par se ressembler pour la petite fille et la femme qu’elle deviendra, puisque le silence et la culpabilité qu’on lui a imposés à chaque viol vécu ont fini par happer la douleur ressentie et le deuil de son honneur souillé.

Les paroles d’enfant rejoignent les pensées d’adulte de Labbize, qui use d’un langage cru et naïf à la fois. Arrachés du fond de sa mémoire, ces mots viennent-ils, se demande-t-on, panser une blessure que personne n’a su regarder, encore moins soigner, quarante ans après les faits ?

Commenter  J’apprécie          100
Je franchis les barbelés

La poésie de Souad Labbize est celle « d’une femme libre et insoumise » comme l’affirme son éditeur Bruno Doucey.

Dans « Je franchis les barbelés », elle nous raconte l’exil et ses blessures. Cet exil, elle l’a voulu pour se libérer d’un pays qui impose sa loi et ses diktats religieux aux femmes. Mais même choisi, l’exil est cruel, il écartèle.



« Jouer à pile

exil

face

terre natale

marcher

pieds joints

sur le listel

ligne d’horizon striée

entre ici

et là-bas. »



Dans les textes qui composent « Le baluchon d’exil », il y a deux langues qui s’entrecroisent, deux alphabets tissés. Il faut pourtant quitter le pays natal, lui tourner le dos sans espoir de retour, c’est le prix à payer pour retrouver la liberté confisquée.



« Je suis la frontière

dès lors que je franchis

les barbelés

sans projet de retour »



Les évocations du pays perdu jalonnent le poèmes, moments heureux comme « l’appel parfumé des couscoussiers brûlants » mais il faut vivre avec ses peurs.



« La liste de mes peurs

est une amulette

collée sur le calendrier »



Dans la seconde partie, « Berceuse pour le dieu de la guerre », Souad Labbize part en guerre contre ce dieu vorace et belliqueux



« Á qui cette guerre sainte

lâchée sans collier

ses hurlements couvrent

tous les bruits »



Elle ironise aussi sur ce dieu fainéant



« …je reste assise

à ne rien faire

comme tous les hommes

qui ont créé Allah

à leur image

en restant assis

à ne rien faire »



La langue de Souad Labbize est sobre, percutante mais elle sait aussi manier l’ironie pour appuyer son propos.

Une poésie-choc qui ne peut laisser indifférent.

Merci aux éditions Bruno Doucey et à Babelio





Commenter  J’apprécie          90
Brouillons amoureux

Lorsqu'on a envie de mettre en citation chaque poème du recueil, lorsqu'on a envie de relire et relire encore - pas parce qu'on n'a pas compris la langue compliquée du poète contemporain, simplement pour le plaisir de réentendre la mélodie, la chanson de l'instant qui nous amène un souvenir ou un rêve, lorsqu'on aime tenir ce bel objet livre (format, papier, mise en forme, couverture) à la fois sobre et vivant des Éditions des Lisières, lorsqu'on s'exclame "il y a du Prévert dans ces mots !" et que c'est réjouissant de retrouver cela au détour d'une poésie "de nos jours", on ne peut que mettre cinq étoiles et rêver de convaincre des lectrices / lecteurs d'aller découvrir ces Brouillons amoureux, instantanés de l'amour*(désir, fêlure, rencontre, joie).

*Un amour de femme à femme mais écrit si discrètement qu'un autre imaginaire, une autre attirance, est possible. Un amour écrit en français et traduit en arabe.
Commenter  J’apprécie          80
Enfiler la chemise de l’aïeule

Recueil de poésie courte bilingue arabe/français traduit en arabe par Dhia Bousselmi.



Souad Labbize évoque l'Algérie, son pays natal, ses souvenirs d'enfance, sa mère.

Mais aussi la langue, sa langue maternelle et l'avenir, long chemin vers l'émancipation.



La linogravure de la couverture faite par Maud Leroy est superbe et complète parfaitement les mots de la poétesse.
Commenter  J’apprécie          70
Glisser nue sur la rampe du temps

D'abord on pense que l'écriture n'est pas très fouillée, travaillée, saccadée, cependant c'est pour comprendre l'urgence. Nous ne sommes pas dans le besoin d'une démonstration littéraire mais bien dans la peur, le public doit être aussi mortifié que ces deux femmes qui marchent dans le noir de la nuit. Pays, on ne sait pas, on sait qu'il y a la guerre, ces putains de colons, la forêt prête à nous dévorer, tout comme les chiens. On court avec elles à travers les fouillis de la nature, le cœur battant, dangers à tout instant.

On finit la lecture à bout de souffle, comme les protagonistes. On croit a peine à ce qui vient de se passer sous nos yeux de lecteur, le cœur battant, le souffle court. Seulement étonnés et sans voix.



Les rapides poèmes en début de chapitres sont extrêmement beaux, ils révèlent la part de mystère, de mystique, de cette réalité tragique et crasse que nous livre les nouvelles.



Deuxième nouvelle, dans l'urgence et le déchirement d'une famille. Une violence, d'abord incomprise et qui prend tout son sens. Famille à la mode occidental... Un peu... Un membre de la famille embrouillé par des groupes terroristes... et l'explosion. Le lecteur arrive dans cette explosion, ne comprends pas tout, d'abord, et puis... L'angoisse.



Ce sont toutes des histoires, de très courtes nouvelles traumatiques de femmes. On palpite avec elles, avec les risques qu'elles prennent, violences... Violence... Seul ce mot résonne au fil des pages. On prie pour elles, on tremble surtout.



On pense à la réalité de toutes ces femmes, bien au delà du livre, dont les horreurs et la peur sont le quotidien.



Un beau livre dont les vers en début de chapitre enchantent qui a le mérite, dans ses histoires courtes et pleines d'adrénaline, de rendre, quelque part dans l'urgence, la chose supportable au lecteur. Des récits très durs, réellement affreux, mais toujours dans la sous-entente, ce qui rend les choses lisible. Tout est dit, sans vraiment l'être, et c'est le moment où le lecteur comprend, ce moment où le cœur se décroche, qui paraît réellement intenable tant il est intense mais bref.



Beaucoup de peurs dans ce livre mais beaucoup d'espoir aussi, dans une actualité ligotée, malmenée.



On pourrait pensé qu'un livre de 80 pages est court mais il est tant intense qu'il est soulageant qu'il ne soit pas plus long.



Ce sont des histoires de femmes que je ne detailleraient pas plus que ci-dessus, des histoires de (re)conquête de l'espace public, de l'espace intime aussi.



Un très beau livre, réellement.



Je ne peux vous révéler la fin, ces derniers mots qui closent le livre, de toutes ces nouvelles qui se lient entre elles, de cette dernière nouvelle qui lit l'éternité au présent.

Commenter  J’apprécie          60
Enjamber la flaque où se reflète l'enfer

Témoignage poignant de Souad Labbize.

Edition bilingue français/arabe.



Elle dévoile les viols qu'elle a subis enfant à partir de ses 9 ans. La colère de sa mère en apprenant qu'elle est partie de la maison durant sa sieste et qu'elle a parlé à un inconnu, cette colère à laquelle ne s'attendait pas l'enfant, va transformer la vérité en mensonge, va transformer son viol en "failli" être violée.

A partir de ce moment, Souad Labbize n'osera jamais avouer que le drame s'est réellement produit.

Terrée dans son mutisme, sa peur et sa solitude, personne à qui en parler, elle gardera chaque autre viol pour elle, de peur de susciter à nouveau la colère de sa mère.



J'ai été bouleversée par ce témoignage.

Le 9 novembre 2021, j'ai assisté à la lecture de ce texte à la Librairie Floury Frères de Toulouse par Souad Labbize et Audrey Boissey.

Cette lecture était très émouvante, d'ailleurs le titre de ce livre est à la fois tragique mais aussi poétique.





Commenter  J’apprécie          40
Glisser nue sur la rampe du temps

7 portraits of resilience. These short stories offer glimpses into the lives of 7 women, all fighting in different ways for their independence, for their children, for their right to speak up for themselves. Revolt is sometimes silent, happening during the night, away from the public eye. Souad Labbize focuses on decisive turning points in the lives of these women, moments when the tension is palpable. Traveling to another country to get an abortion, helping a Syrian refugee so she does not face deportation, leaving a toxic marriage, living under the double threat of war and the patriarchy, these women are real warriors. They have to sacrifice parts of themselves to survive, to restore their dignity.



I was deeply immersed in this collection of short stories. I didn't want it to end. The language is delicious, very poetic. Each fragment opens with a relevant poem that sets the tone.



Highly recommend!
Commenter  J’apprécie          40
Glisser nue sur la rampe du temps

« Glisser nue sur la rampe du temps » est un moment suspendu sous la forme de sept fragments de la vie de sept femmes, sept récits d'émancipation. Sept récits ayant pour titre une couleur : blanche, charbon, verte, jaune, bleue, pourpre, lila. Sept récits introduits par quelques vers de poésie. Sept récits empreints de sororité, comme des mains tendues, des ponts jetés entre les femmes.



Ce livre est comme une musique dont on ne souhaite pas voir arriver la fin. La brièveté de chaque histoire n'enlève rien à la puissance de leurs mots, leur atmosphère et leur urgence rendue palpable par le style de Souad Labbize. Envoûtant.
Commenter  J’apprécie          40
Enjamber la flaque où se reflète l'enfer

Merci à Babelio, aux éditions iXe et surtout à l'auteure pour ce petit récit à nul autre pareil.



Dans la littérature actuelle, on voit beaucoup des livres racontant violences, viols et autres horreurs. On se retrouve ici avec le même sujet, mais traité d'une toute autre manière. Ici, la protagoniste est une femme réduite au statut d'objet sexué. Elle a vécu des horreurs, tout simplement. Et elle les décrit, plusieurs décennies plus tard, tout simplement également. Entre ces deux moments, un mensonge, seul solution pour survivre quand on est une femme dans un monde où le respect a disparu...



« Ces paroles errent sans corps, inconsolables. Si je pouvais leur coudre des vêtements pudiques pour qu'elles acceptent de sortir. Qu'elles expriment ce qui n'a pas été dit quand un mensonge a pris le relais pour faire cesser les cris de ma mère. »



Tout petit livre lu en une grosse demie heure, mais qui me laissera longtemps une sensation de désarroi intense. Dans quel monde vivons-nous ? Comment peut-on encore se nommer « être humain » ? Les vérités dites ici à mots plus ou moins couverts sont tout bonnement injustes.



« Étais-je à ce point coupable pour qu'aucun adulte ne m'interroge jamais sur l'identité de l'homme ? »



Une autre particularité de ce livre est sa mise en page… En le lisant de gauche à droite, nous avons la version française, et quand on le commence par l'autre face, de droite à gauche, nous avons la version écrite en arabe. Je l'ai lu lors de ma pause midi, je reprends mes consultations et le dépose « face cachée » sur mon bureau pour réfléchir à la critique après mon après-midi de travail. Mon premier patient entre et me demande, pratiquement de suite, si je lis l'arabe. Je n'avais pas fait attention que « face cachée », pour moi, serait « face visible » pour quelqu'un qui lit l'arabe… Je décris en deux mots le livre au patient, et lui tend spontanément. Suite lors de la prochaine consultation…
Commenter  J’apprécie          40
Enjamber la flaque où se reflète l'enfer

Rien n’est arrivé de grave depuis que ma mère a hurlé



« Préambule. L’évocation de l’épisode fondateur de mes prisons intérieures ne se fera pas sans la traversée des sanglots. Ecrire ne me donnera pas la force de m’exprimer de pleine voix, les mots inconnus de ce drame se sont fossilisés depuis une quarantaine d’années »



Une phrase répétée, une phrase de plomb, « Rien n’est arrivé de grave depuis que ma mère a hurlé ». Un été au milieu des années 70, une enfant, un lieu (mais cela pourrait-être des milieux de lieux, des milliers d’autres fillettes. En vérité ce sont des milliers de fillettes dans des milliers de lieux).



Des paroles enfermées dans le cachot de l’intimité, des paroles murées, impossibles à approcher, impossible à visiter. « Tant que je n’aurai pas réussi à les convaincre de m’accompagner vers la lumière, ces paroles m’exposent à la toute-puissance de ma mère, à sa colère inattendue, toujours aussi terrifiante ».



L’impuissance devant ces paroles prononcées ou ravalées. Ce qui n’a pas été dit et le mensonge qui prit le relais. La victime rendue coupable, une fois encore, comme dans le refus habituel de saisir le sens social et politique de la violence. Le regard en arrière, tenter de revenir sur des lieux et des faits dans sa tête, « Immobile, je refaisais le trajet, modifiant des bribes cruciales des faits ». Une enfant, une fillette de 9 ans, la mémoire en deux langues qui « jouent ensemble à saute-mouton », les mots qui ajoutent à la violence subie, les mots maternels, et ce « violet », « Ce mot était la première clé de la trappe que j’avais camouflée avec un mensonge ». L’enfance n’est pas ici celui des contes et des merveilles (il en est de même de millions d’enfances dans des milliers de lieux, des enfances fracassées…), « L’enfance est un empire régi par des matons qui savent tout de l’adulte que tu deviendras ».



La respiration, le désespoir, les suffocations, les puissants sanglots – et des pleurs quarante ans après pour un détail échappé -, la liste de ces gestes agressions et de ces lieux « où la seule présence d’une fille était une autorisation en règle pour la palper, l’embrasser, lui pincer un sein ou les fesses », l’appropriation collective des corps des femmes avant leur appropriation privative, le refuge sous le lit, les mot – « sous la pluie acide des mots maternels » – publiquement répétés, « Affligée, humiliée d’entendre parler de moi en ma présence, comme si j’étais un objet », la nausée, la traître solitude, cet oncle qui cloitrait les femmes de sa tribu, « Qu’ont-ils tous vécus pour être aussi fragile face au désarroi d’une enfant abusée ? »



Des mots qui ne figuraient pas encore dans les armoires à mots de l’autrice, des actions déniées par le vocabulaire mensonger, le mot safoune de la broche brulante en pénétration d’une jeune mariée, les mots appris en obstétrique…



Des autres gestes, d’autres hommes, d’autres violences sexuelles. Et cette gifle reçue, la violence ciblant plus les filles que les garçons, un épisode appartenant à « la liste noire que je suis seule à connaitre », un souvenir comme un autre « où nous servions de poupées sexuelle au jeune homme », le fleuve creusé par le mensonge « entre ma mère et moi », l’espace extérieur et le mot viol…



Un tissu opaque revêt et couvre de mensonges une (des) enfance(s). « Rien n’est arrivé de grave depuis que ma mère a hurlé ». Nous saisissons alors tous les sens possibles du beau titre de cet ouvrage.




Lien : https://entreleslignesentrel..
Commenter  J’apprécie          40
J'aurais voulu être un escargot

J’avoue que j’ai été très impressionné. Aussi bien par la forme du texte que par son fond. Une réelle surprise par rapport à ce que je suis habitué par des auteurs algériens. Un texte mêlant subtilité et sensualité, sacré et sacrilège. Un mariage surprenant de poésie, de courage et de lutte. Le personnage principal de ce roman est une petite fille qui essaie de
Lien : http://djbeltounes.wordpress..
Commenter  J’apprécie          40
Enfiler la chemise de l’aïeule

J'ai moins accroché qu'avec Brouillons amoureux, mais j'ai eu un plaisir immense à retrouver la poésie de Souad Labbize. Et cette édition bilingue est aussi d'une beauté !



Encore en pleine découverte de son univers.



Il faut faire les 250 caractères nécessaires pour que cette critique soit publiable. Mais je n'ai pas beaucoup plus à dire.
Commenter  J’apprécie          20
Enjamber la flaque où se reflète l'enfer

Un récit bouleversant et poignant, la poétesse Souad Labbize nous livre le calvaire qu'elle a vécu à l'âge de 9 ans quand elle a été violée et ce qui s'est passé après cette terrible épreuve.

La douleur ajoutée à la rudesse de la mère et l'insolence du père. Un livre écrit pour briser le silence et soutenir toutes les femmes et filles victimes d'agressions sexuelles.

J'ai eu la chance de rencontrer avant hier Souad Labbize, une femme forte malgré la tragédie et qui veut rester libre et indépendante pour faire face au malheur. Une femme qui force le respect et l'admiration.
Commenter  J’apprécie          20
Enjamber la flaque où se reflète l'enfer

#machronique



Enjamber la flaque où se reflète l’enfer

Souad Labbize

Editions Ixe



Quatrième de couverture



“Rien de grave n’est arrivé depuis que ma mère a hurlé. Mon récit balbutiant a buté contre l’écho de sa voix. Mes paroles se sont recroquevillées autour de leur noyau, d’autres moins souples ont implosé, semant un arbre à grenades dans les plis de la gorge. Chaque floraison renforce les racines du grenadier tenace, les fruits non cueillis se rabougrissent, encombrent ma poitrine. Quels mots d’enfant allaient relater ce que je venais de subir ? Je suis rarement revenue, depuis l’été soixante-quatorze, vers ces paroles enfermées dans mon cachot intime, le plus éloigné de ma vue quand je descends dans les caves de l’enfance.”

Des décennies plus tard, Souad Labbize trouve enfin les mots pour dire, au-delà de l’effroi et de la douleur du viol, la violence du déni. En rompant le silence, elle ouvre la faille profonde où s’est abîmée l’enfance.



Mon avis



Je viens de lire un livre si court. Un livre si terrible. Un livre marquant.



Les mots utilisés sont tellement empreints de poésie pour nommer l’innommable.



Les mots qui délivrent ne veulent pas franchir ses lèvres enfoncés dans l’enfance et trop difficiles à saisir tant ils sont profondément ancrés, donc utiliser l’écriture. Qui marque le papier comme il marque l’âme de celle qui les lit.



Pour effacer cet acte horrible, le plus pratique est d’utiliser le mensonge. Comment se reconstruire de cette manière ?



La vie lui enseigne malheureusement que le confident le plus sûr est le silence. Et elle s’habitue au silence qui devient son nouvel habitat qui la serre, l’enserre et l’étouffe. Parler. Mais à qui ? Comment ? Quand ? Pourquoi ? Pour quoi ?



Ce sentiment d’insécurité permanent est presque incroyable à lire. Alors à vivre ? Le silence serait donc le meilleur des remparts ? Mais quel prix à payer ??



Alors après avoir écrit, Souad Labbize raconte. Lors de rencontres et de conférences.



Merci aux Éditions iXe pour leur confiance !



Suivez son parcours sur la page des Éditions Ixe. https://www.facebook.com/iXeditions/



Citations



« Ces paroles errent sans corps, inconsolables. Si je pouvais leur coudre des vêtements pudiques pour qu’elles acceptent de sortir. »



« Rien de grave n’est arrivé depuis que ma mère a hurlé. »
Commenter  J’apprécie          20
Brouillons amoureux

Qui connaît Souad Labbize, retrouvera la délicatesse de ces mots qui disent tant.

Qui ne la connaît pas (encore) aimera la découvrir à travers ces fragments délicats.



Bref, tout le monde aime Souad Labbize ❤



L'objet est superbe - une mention très très spéciale aux Editions des Lisères pour ce travail - ce qui ne gâte rien à la beauté du texte. On picore une page après l'autre ou on lit tout d'une traite... on y revient... on apprend par coeur et on récite, on partage (à son amour ou à quiconque d'autre).

Parce que c'est beau et que ça dit le manque, l'absence, les retrouvailles, la plénitude, et la surprise de se sentir si vivant parce qu'épris.e de quelqu'un.



La large palette du sentiment amoureux est formidablement bien contenu dans ces 28 courts poèmes, dans une présentation bilingue arabe-français.



"Brouillons amoureux" est un livre à s'offrir, offrir, se faire offrir. Il est sur mon chevet depuis des semaines, à la place des ouvrages qui marquent et que l'on a envie de garder à proximité pour s'y replonger facilement dès que l'envie nous en prend.



   《La phrase à retenir》

"Grammaire amoureuse

Dans je pense à toi

Je ne suis pas

Le sujet de la phrase."
Commenter  J’apprécie          10
Glisser nue sur la rampe du temps

Une écriture simple et percutante, parfois même drôle, jamais anodine.



Et des courts poèmes qui nous rappellent que Labbize sait faire beaucoup avec peu de mots.



Un super texte à glisser dans un sac de voyage, ou à offrir à quelqu'un·e qui n'a plus le temps de lire.



Plus je lis Labbize, plus son oeuvre m'interpelle.
Commenter  J’apprécie          10




Acheter les livres de cet auteur sur
Fnac
Amazon
Decitre
Cultura
Rakuten

Lecteurs de Souad Labbize (62)Voir plus

Quiz Voir plus

Adjectifs qui n'en font qu'à leur tête😋

Un bâtiment qui n'est plus une école

Une ancienne école
Une école ancienne

12 questions
112 lecteurs ont répondu
Thèmes : culture générale , adjectif , sensCréer un quiz sur cet auteur

{* *}