Laure Buisson

Vous oublierez. Par expérience, je sais que notre mémoire est docile.Elle ne veut pas nous faire souffrir.Elle va ranger un certain épisode dans un de ses tiroirs et le temps détruira la clef.

Une belle surprise que ce récit original de l'adolescence finissante d'une jeune fille de dix-sept ans pendant l'occupation, qui oscille entre bonnes et mauvaises résolutions, entre attachement aux reliquats de l'enfance et besoin d'assouvir ses pulsions, entre idéalisation de l'amour familial et rejet de son incarnation, entre jouissance du confort d'un quotidien sécurisant et fascination pour briser les conventions et gouter aux interdits. Mais il existe certaines barrières qu'on ne peut franchir , qui seront impardonnables même à une jeunesse frivole qui s'est égarée dans un amour impossible dans cette période tourmentée.
Avec une écriture rafraichissante, c'est un beau roman qui interpelle aussi sur des sombres pratiques de nos patriotes de la dernière heure....

La grande ambition des femmes est d'inspirer l'amour.

Molière

Laissez les gens à leur mesquinerie. Vous et moi savons que c'est faux.L'opinion des autres? On s'en fiche.N'essayez pas de démentir.Cela ne servirait à rien.La race humaine a besoin de porter un jugement sur son prochain.Surtout si ce dernier est irréprochable.

Un jeu bien dangereux. Posez une entrecôte frites devant un enfant du tiers-monde et empêchez-le d'y goûter, vous aurez un aperçu de mes sensations.

C’est jour de chance. À l’horizon, un pavillon bleu fleurdelysé émerge de la brume matinale. À la poupe du navire, la Lionne sanglante, d’un signe bref, enjoint le silence à son équipage. Massés derrière elle, les hommes se taisent, s’immobilisent, mais ne peuvent s’empêcher de sourire à l’imprudence ou à la naïveté de ce bâtiment de la flotte royale qui s’approche de la terre. Leur terre. Si l’océan est dangereux pour un bateau voyageant en solitaire, la côte l’est plus encore. La complexité de ses ondes de marée emportant, selon les heures, vers le nord ou l’ouest, et l’extravagance de ses vents conduisent fatalement les bateaux vers un champ de récifs abrupts. Qui surgissent, offensifs, au creux d’une vague, ou pointent sournoisement à la surface de l’eau. Ce rivage, qui tend ses bras paisibles et généreux aux marins loin de leur famille, est un labyrinthe de couloirs s’étrécissant et de chenaux s’élargissant où se cachent des bas-fonds félons. Les barreurs doivent manœuvrer, tourner à gauche puis à droite pour naviguer entre les éperons rocheux, ralentir et sonder pour éviter les bancs de sable. Seul un homme du pays ou un navigateur aguerri peut affronter les caprices de cette côte. Qu’en est-il du commandant du bâtiment militaire arrivant droit devant ? À l’abri des falaises, la Lionne sanglante patiente, confiante : la Bretagne protège ses enfants, déploie ses doigts de granit pour leur offrir des refuges.

Soudain, tu t'intéressais à moi, je n'étais plus un flacon de teinture d'iode pour plaies ouvertes.J'étais une femme.

- C'est drôle comme à cet endroit on se sent petit et supérieur à la fois. Nous sommes minuscules mais la nature est vicieuse. Elle nous souffle que nous sommes les maîtres du monde et elle nous méprise. Essayez de voir la cime d'un sapin et vous comprendrez le dénuement de la nature humaine. L'arbre s'élève et crève les nuages. L'homme se courbe et creuse la terre. Vous aimez la nature ?

Je suis entrée dans l'amour comme dans la Résistance. Par conviction. J'ai signé le 3 juin 1944, le jour de mes dix-sept ans.

- Existe-t-il un jeune homme qui te pousserait à prendre l'avion ?
- Non, papa.
Elle me regardait pour prévenir qu'elle allait me meurtrir.
- Tu es l'homme de ma vie. Tu le sais bien.
Touchée. Coulée.

Cette crétine avait accolé son nom de jeune fille à celui de son mari. La baudruche aurait mieux fait de veiller à être moins cocue !

Une péronnelle qui lui a fait perdre l’opportunité de gagner plus d’argent et de pouvoir. Une ingrate qui a osé désobéir à son propre père. Une folle qui pense avec son cœur comme si la vie était un roman. À cinquante-six ans, il connaît la vie, elle ne ressemble en rien aux histoires des troubadours. Depuis deux siècles, ses ancêtres et lui ont conquis les terres de Rais et de Machecoul à la force de l’épée et de la ruse. Que se passerait-il s’il disparaissait maintenant alors que Girard, seul héritier mâle, dernier espoir de postérité et d’unité du patrimoine familial, est encore mineur ? Qu’adviendrait-il si sa fourbe de fille, devenue majeure, revendiquait l’héritage ou même une partie ? Ces terres que lui et ses ancêtres ont mis trois siècles à réunir tomberaient entre les mains des de la Muce. Il doit agir vite, s’en remettre une fois encore à la loi et faire renouveler l’acte d’abandon de Jeanne afin que son petit-fils hérite de tous ses biens et de ceux de sa femme.

Ce que Dieu a uni, l’homme ne peut le défaire, mais la loi permet d’éviter les catastrophes. Profitant de la minorité de sa fille, il lui fait signer un acte de renonciation à toute succession issue de ses père et mère, lui octroie une dot minimale et la déclare émancipée devant notaire.

Cet illustre établissement n’accepte que les filles d’excellente famille sachant lire, écrire et chanter. Instruite, veuve de ton frère avec qui elle a partagé la vie et la gestion de Belleville, sœur Béatrix n’est pas une oie blanche, elle n’a nullement l’intention de se laisser spolier.

L’amour prend sa source dans des zones parfois curieuses. On tombe amoureux de la beauté, de l’intelligence, du pouvoir mais aussi de la puissance qu’il nous insuffle et du refuge qu’il nous propose. D’un pas sûr, tu vas rejoindre Olivier dans votre appartement, au premier étage du logis seigneurial. Tu arpentes les couloirs au rythme des clés des chambres, cabinets, pièces et salles se balançant à ta ceinture. Tes clés. Ton château. Ta cité. Tes remparts. Ton monde. Le reste peut s’écrouler, Clisson restera debout.

Se débarrasser d’un fils encombrant n’est pas plus difficile que de supprimer un mari gênant. Edouard la hait en silence. Avec le sourire, il l’observe le priver de son autorité, lui donne même parfois le plaisir de l’humilier. Elle, affairée à négocier avec la France, lui fiche la paix.

Asseoir un Anglais sur le trône de France ? Qui plus est un enfant sous l’influence d’une femme adultérine soupçonnée d’avoir commandité l’assassinat de son mari ? Cela semble totalement inacceptable. Certes, il parle français, a pour épouse la petite-fille d’un Capétien et possède, selon le droit canon et civil, les qualités requises pour gouverner la France. On se tourne vers les juristes pour qu’ils se penchent sur le bien-fondé des droits d’Edouard III. Sont-ils légitimes, étant donné qu’ils lui viennent de sa mère, qui, elle-même, n’en a pas, selon la loi de « la primogéniture masculine » ?

À vingt-six ans, tu t’achemines vers les derniers mois de ta jeunesse. Mais les onguents à base de saindoux, d’huile d’olive ou de lait d’amande, ainsi que les lotions à la violette ou à la fleur de sauge prescrites dans L’Ornement des dames (18) , ont su préserver ton teint clair et la douceur de ta peau. Tu es encore désirable et tes sorties publiques sont l’occasion de te le prouver. Les veufs et des pères à la recherche d’une femme pour leur fils te regardent avec intérêt, les parents et les filles en quête de gendres et d’époux s’inquiètent de te voir t’immiscer dans leurs projets d’alliance. Adolescente en âge de te marier, on t’examinait, on te jugeait, on s’interrogeait. Veuve, en âge de te remarier, on t’examine, on te juge, on s’interroge.

Chacune de tes larmes, chacun de tes soupirs sont une pierre à l’édifice de ton nouveau statut et du respect qu’il impose. Magnifique baronne de Châteaubriant ! Pleure, Jeanne, pleure. Les recettes de fards de Chirurgie(16) feront des miracles si tu as les joues trop pâles. Un baume à base de camomille dégonflera tes yeux fatigués. L’herbe de lycium les rendra brillants.

La vie. Tu penses à celle de l’enfant endormi dans le berceau à côté de ton lit. Geoffroy, comme son père. Il crie, se débat tandis qu’on l’emmaillote. Les poings serrés, les pieds recroquevillés comme des coquillages renfermant des secrets que nul ne doit connaître. Agitant les bras, jouant avec les anges, les rappelant lorsqu’ils s’en vont, les suppliant de l’emmener avec eux, peu convaincu par le monde qu’on lui propose. Geoffroy. Tu le caresses en l’allaitant. Geoffroy. Tu le rassures. Le sein que tu lui donnes lui distille les qualités de ta famille, comme le sang qui l’a nourri dans ton ventre durant neuf mois.