"Je l’ai tuée au petit matin."
Eve avait vingt ans. Eve était heureuse avec sa petite amie Emilie. Sa première fois avec une femme. Eve a été sauvagement assassinée après avoir été violée. Son assassin s’est débarrassé de son corps en le jetant dans une mare. Son assassin c’est l’ami d’un ami. Il s’appelle Jean et l’a raccompagné chez elle après une soirée.
Eve a-t-elle été tuée parce qu’elle est homosexuelle ? En tous les cas, Jean passe très vite aux aveux.
Corps défendus, c’est l’histoire de ce meurtre racontée du point de vue de l’avocate de la famille d’Eve. Les Willaert.
"Il dit ma fille est morte. Il dit assassin. Il dit qu’on lui a conseillé de m’appeler, qu’il ne sait pas s’il prononce bien mon nom, qu’il peut me voir demain. Il pleure par intermittence, il y a des mots de répit. Il dit enfin qu’il viendra avec son ex-femme, ex-épouse depuis longtemps, ex-mère depuis un instant."
Laure Heinich, l’auteure est elle-même avocate et cela se ressent. Le texte est précis, le déroulement du roman est ordonné, de l’appel du père au verdict lors du procès, en passant par l’audition de Jean, ses aveux, et la reconstitution des faits. La narratrice décortique et analyse tout. C’est rigoureux et détaillé.
L’avocate raconte aussi ses entretiens avec les proches d’Eve. Et particulièrement ceux avec son père et sa petite amie Emilie. Ses échanges, plus ou moins réguliers, plus ou moins prévus, plus ou moins agréables au fil des mois précédant le passage au tribunal rendent l’affaire plus humaine et plus touchante encore.
Le récit est entrecoupé de moments de la vie de l’avocate. On ressent alors la tension qu’elle porte sur elle quand elle rentre chez elle et qu’elle retrouve sa compagne et son fils. Il est difficile de laisser le travail au cabinet. Ce genre de dossier n’est justement pas qu’un dossier parmi d’autres. Il s’immisce sous la carapace de l’avocate.
"Ils savent bien que je n’ai pas fait que mon métier, qu’avocat est tout sauf un métier."
Dans le même temps, la narratrice aborde aussi le sujet des avocats de la défense. Peut-on, doit-on défendre un assassin ? Parce que oui, quand on est avocat, on doit défendre son client, qu’il soit coupable, ou innocent, ou assassin. Il ne faut pas déshumaniser l’accusé. (Cela m’a rappelé la lecture par Charles Berling de Même les monstres de Thierry Illouz à laquelle j’avais eue la chance d’assister.)
"[…]les avocats ont « l’honneur de défendre », une formule qui fait vivement réagir quand nous la prononçons. Toutes les défenses ne seraient-elles pas honorables ?"
Corps défendus est le premier roman de Laure Heinich. C’est un peu froid et très pesant. Et en même temps le sujet traité est tellement grave, lourd et sombre. Le style est acéré et cela rend l’ensemble très poignant. On vit le déroulement de cette affaire du début à la fin, à ses côtés. Jusqu’au procès relaté comme un match de tennis. Le service tour à tour à la défense, puis à l’accusation ou encore aux témoins. On vit même le choix des jurés par les deux parties.
En bref, Corps défendus est un roman qu’on lit sans trop prendre le temps de respirer. On est dans la peau de l’avocate. C’est très perturbant, bouleversant : défendre un corps.
Lien :
https://ellemlire.com/2021/0..