Vanessa Springora et Laurent Bénégui présentent "Retour à Cuba"
Sur les murs voisinaient, pêle-mêle, un poster du Che, une photo jaunie de Fidel Castro, un cadre à ampoules clignotantes avec une image de la vierge Marie et une multitude de vignettes colorées et naïves d’orishas, les principales divinités de la santería.
(page 224)
Les Cubains sont amicaux, chaleureux. Beaucoup plus qu’ici, où les gens sont agités et paraissent toujours malheureux. À Cuba, les gens veillent les uns sur les autres.
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Les laboureurs le savent, les pierres et les objets enfouis remontent à la surface. En fait, c’est la terre qui s’enfonce autour d’eux sous l’effet de la pluie, de l’incessant labeur des lombrics et de la succession des périodes de gel . Il n’en va pas autrement des souvenirs, qui ressurgissent à la suite de répétitives décantations.
À présent, je comprenais que mon oncle se soit félicité du départ de Batista, qui avait transformé Cuba en lupanar à ciel ouvert, en avait fait une terre d’asile pour les casinos maffieux, où les banques d’État blanchissaient l’argent des trafics.
Dans cet état de quasi-absence à moi-même, une récapitulation des destins s’effectuait de manière automatique dans mon esprit. Des existences surgies de ces séries d’entretiens s’entremêlaient, se chassaient, comme des gouttes de pluie sur un pare-brise, drossées par la vitesse.
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Passèrent alors deux militaires cubains que mon père cadra furtivement, car il était interdit de filmer ce qui était lié à l’armée ou à toute installation gouvernementale – c’est-à-dire, huit ans à peine après la révolution, la quasi-totalité des bâtiments de l’île.
Les livres servent d’écrin aux vies, ils les tiennent à l’écart de l’amnésie, de la violence et de la désorganisation du monde.
Toute ma vie, cet enfant m’a portée sans le savoir. Sans imaginer à quel point son existence était mon plus solide soutien. Et maintenant le voilà qui continue, lesté de quelques centaines de grammes au fond d’un panier à commissions, dont il se demande visiblement ce qu’il va faire. Cela n’a aucune importance de mon point de vue. Nos cendres et nos ossements ne racontent rien, ils ne font que créer un lien artificiel avec un territoire, une obligation pour ceux qui ont encore leur temps à effectuer. Et je refuse d’être plus embarrassante disparue que présente.
Si ces champs avaient été le théâtre de combats durant la première Guerre mondiale, cela signifiait qu’ils avaient subi des bombardements à l’ypérite, un gaz neurotoxique surnommé gaz moutarde à cause de son odeur et de sa couleur. Et voilà qu’un siècle plus tard, ironie cruelle des activités humaines, on y cultivait de la moutarde.
L’absence de son favorise le tête-à-tête avec les séquences, on reste libre de les interpréter en fonction de son imaginaire et de ses références, comme avec un livre, dans lequel on peut être mille à se plonger, mais qui atteint chacun d’une façon unique.