Citations de Laurent Jullier (16)
Or, de ces pauvres têtes mal conformées, le premier tort est à la nature sans doute, le second à l'éducation. La nature a mal ébauché, l'éducation a mal retouché l'ébauche.
p.94-5.
Certains de ses rôles, pourtant, donnent matière à réfléchir à la guerre de sexes. Ne joue-t-elle pas dans Les 4 Fantastiques, la Femme Invisible qui a la fâcheuse habitude de redevenir visible surtout quand elle est nue ? « Une métaphore superbe du rôle que tiennent les femmes au sein d'une famille. Elles se préoccupent tellement des autres qu'elles finissent par ne plus exister, par disparaître.
L'importance accordée à ce que les films racontent n'a rien d'étonnant.
"Être d'humeur" (in the mood), c'est chercher une opportunité d'exprimer une émotion particulière. L'humeur est aux émotions ce que l'attention est à la perception.
De nos jours encore, sur les écrans, et même si les proportions s'équilibrent lentement, notamment grâce aux séries télé américaines, les coups d'oeil masculins sur des corps féminins appétissants sont bien plus nombreux que les coups d'oeil sur des corps masculins toutes attirances égales par ailleurs.
SW3 : l’exécution des deux grands maîtres que sont Yoda et Obi-Wan est menée avec un dilettantisme inconcevable (des gardes balourds pour le premier, un vague coup de canon pour le second).
Parfois je suis devant le film, parfois je suis dedans - il m'emporte, me fait voyager (on parle de transport, d'élan , de ravissement, etc.). Et même, il me prend.
[Au sujet du jugement de goût de Kant, les quatre idées exposées dans la Critique de la faculté de juger, appliquées à la critique de cinéma ; il est question de sens commun : ]
1 La faculté esthétique de juger est universelle ; elle ‘mériterait le nom de sens commun à tous’. Si le critique kantien trouve le film génial, nous aussi (par essence commune).
2 Cette faculté est intuitive ; elle ne s’apprend pas à l’école [ ]. Le critique kantien peut se dispenser de d’expliquer en quoi le film est génial
3 Cette faculté [ ] n’a rien à faire avec le corps [c’est-à-dire avec le plaisir des sens ou l’émotion]. Le critique kantien pourra sortir de la projection les yeux rougis d’avoir pleuré et déclarer qu’il vient de voir le navet de l’année.
4 Juger une œuvre belle doit être un acte désintéresse. Le critique kantien [ ] n’espère aucun oh ! admiratif lorsqu’il cite au cours d’un dîner l’imprononçable titre d’un court-métrage coréen muet en guise de réponse à la question du film de chevet. [ ] p54
Peut-on analyser un film en quelques pages ? Certainement pas. En produire une critique ou une interprétation ? Oui, bien sûr : quelques lignes même y suffiraient. Mais pas l'analyser. En la matière, qui trop embrasse, mal étreint. Dans la limite de quelques pages, cependant, on peut analyser un petit extrait, ou, plus intéressant, se contenter d'en aborder un aspect.
Réputées pour leur poitrine démesurée, les héroïnes de Russ Meyer, elles, étaient politiquement moins faciles à appréhender. On pouvait aisément les prendre pour des femmes-objets :
- Qui se soucie du développement des personnages quand ils ont des seins qui se voient sur des photos de satellite ?
Mais à mesure que les années qui passaient montraient que leurs films se prêtaient à une lecture postféministe, les Meyers Girls refusèrent de plus en plus ouvertement de se cantonner au rôle d'objets-phénomènes :
- Vous pouvez à la fois être féminine et en avoir dans le pantalon, résuma Tura Satana
p.78.
Dans En cas de malheur, Gabin succombait évidemment à ses charmes, mais son jeune amant finissait par la tuer à cause de sa propension à « aimer trop » (c'est-à-dire à aimer d'autres hommes que lui). De même dans La Vérité, le poids d'une société masculine argentée, représentée à la fois par Sami Frey (le jeune amant, encore) et Paul Meurisse (le bien-nommé avocat général Maître Éparvier) la poussait au suicide. De pareilles velléités, même circonscrites au terrain du cinéma, « empiétaient sur le terrain jusque-là interdit aux femmes, de l'autonomie sexuelle et morale », créant « le scandale des scandales : la rébellion contre les impératifs du patriarcat ».
p.32.
À l'époque, le personnage joué par Jean Harlow apparaissait clairement comme la bad girl qui choisit un homme, le manipule et s'en sépare une fois qu'il ne veut plus jouer. De nos jours, on remarque surtout que la good girl en face sacrifie son intelligence et son indépendance à son amoureux, lui offrant sur un plateau aussi bien les idées (pour la pièce de théâtre qu'il n'arrive pas à écrire), que les repas qu'elle lui prépare sans discuter.
p.6.
A priori, tout est simple : une jolie fille pose pour des messieurs, qui accrochent son image au mur. Trompeuse simplicité. Faut-il absolument que la fille soit « jolie » ?, narcissique ?, exhibitionniste ? La disponibilité sexuelle à laquelle renvoie le sens XVIIIe siècle du mot « fille » est-elle forcément de mise ? Le mâle hétérosexuel est-il toujours supposé réagir en chien de Pavlov voyeur ? Ne peut-on faire la pin-up, pour son propre plaisir ? Entre filles ?... etc. Le cinéma, depuis plus d'un siècle, soulève des questions de ce genre, ne serait-ce qu'en donnant vie, par le mouvement, à la créature figée sur papier accrochée au mur.
SW2 : comment un chasseur de primes aussi réputé que Jango Fett peut-il abattre une subalterne trop bavarde en utilisant un projectile qui porte de manière précise la marque de sa provenance ? Comment peut-il se hasarder à retourner chez son commanditaire, sur Geonosis, alors qu’il se sait menacé par Obi-Wan ?
Ainsi la séquence de la construction de la maison des jeunes mariés dans Witness (Peter Weir, 1985) est-elle nappée d'une musique néoromantique de Maurice Jarre, avec un souffle indéniablement comparable à celui qui anime tous les membres de la communauté amish. Ceux-ci , selon la tradition construisent en effet cette maison pour le nouveau couple en une seule journée.
Le récit médiatise les événements de l'histoire : le narrateur nous les distribue comme on partage des cartes à jouer.