Il n’y a rien de plus intime, de plus chargé qu’un silence partagé.
Quand on n'a pas les moyens de prendre le dessus sur ceux qui vous dictent votre conduite, on se réfugie dans l'indifférence.
J'ai remarqué que finalement, quoi que nous fassions, elle s'écoule jour par jour. La vie. On ne vit qu'un jour à la fois. Et un matin tu te lèves et tu constates que tu es terriblement vieux. Voilà tout.
Je n'avais aucun appétit pour la guerre, a continué Aaro en écartant théâtralement les bras. Ni pour celle ci ni pour aucune autre. Je ne voulais pas être soldat. J'avais besoin d'argent, mais ce que j'espérais vraiment, c'était autre chose. Je voulais voir les torrents dévaler les montagnes. Chasser le cerf à courre dans des forêts de hêtres. Tu peux rire, mais voilà comme j'étais puéril. Je n'imaginais pas les chevaux gelés, les jambes amputées, le froid, la souffrance.
Mais au fond de lui, il ne peut s’empêcher de penser qu’il ne s’agit après tout que de plantes. De végétaux prédestinés à une courte existence vite fauchée par le gel.
Il en va autrement des garçons. Avec eux, il peut et il doit y avoir des surprises qui en fin de compte les stupéfient autant que le reste du monde.
Parfois.
L’homme ressent une angoisse mêlée de joie en songeant à la responsabilité qui lui a été confiée. Quand il pense aux méthodes par lesquelles il fait surgir des garçons l’humanité qui est en eux.
-Alors ? C'était comment ?
La femme s'assied, ramène ses jupes sur ses jambes nues, remet de l'ordre dans sa coiffure tout en prenant bien garde de s'essuyer les yeux.
-Un coup de bite est un coup de bite, dit elle d'un ton neutre.
Qui peut dire, finalement, ce qui met fin à l'enfance ? Un filet de sang chaud ou un jaillissement de sperme sur un drap dans la moiteur de petit matin ? Le premier soutien gorge ? La première cigarette fumée en cachette derrière la clôture de la gare de triage ? Ou l'image soudain brisée, dont personne ne pourra plus jamais recoller les morceaux, de ses parents debout main dans la main sur les marches d'une mission baignée de soleil....
Un homme rentre chez lui tard le soir, après avoir fait des heures supplémentaires, marche dans la rue déserte, quand une voiture s'arrête : catholique ou protestant ? Tu ne sais pas qu'elle est la bonne réponse cette fois ci. Tu ne sais jamais. Mais tout dépend maintenant de ce que tu vas répondre. .... Du nom que tu donnes. De ce que tu es. De la manière dont tu récites le notre père. Cela te sauve, ou pas : la mauvaise réponse signifie des heures, des jours, des semaines de torture.
Les stèles n'ont pas d'autre réponse à offrir que le nom des défunts et le nombre d'années pendant lesquelles ils ont pu prendre des décisions, bonnes ou mauvaises, mais elles montrent aussi que ce sont souvent ceux qui se croient les plus solides qui partent en premier, tandis que les faibles trouvent en eux la force de continuer.
Les gens changent, dit elle d'un ton mélancolique. Mais on ne s'en souvient pas toujours soi même. On a un choc quand on se voit dans un miroir, est ce déjà de cela que j'ai l'air, au fond de soi, vois tu, on a toujours vingt ans à peine passés... Le corps est si pressé de vieillir, l'âme suit loin derrière....