Citations de Luce d`Eramo (54)
Il était difficile de différencier les volontaires de la masse des civils déportés et pris dans des rafles. Car les volontaires, dès qu’ils avaient jeté un coup d’œil autour d’eux, avait tendance à nier leur volontariat.
Tous ces yeux, injectés de sang par la fureur de l’humiliation et le désir de vengeance, débordent de tant de haine que les nazis, si seulement ils s’en apercevaient, n’évolueraient pas avec ce calme et cette froideur insensible. Ils vivraient dans l’angoisse de leur sort. Mais non, ils se rendent bien compte, mais notre rage les caresse et notre haine glisse sur leur impassibilité comme la pluie sur leur imperméable de première qualité et de bonne facture.
Moi, j’avais appris à temps qui j’étais : quelqu’un qui s’était toujours raconté des histoires imaginaires.
J’avais toujours vénéré jalousement l’amour, comme un mystère. Il valait mieux renoncer, même au risque de perdre la dernière opportunité, plutôt que de ternir l’idée douce, intense et secrète que je m’en faisais.
Il était alors évident que même mon nouveau départ de Vérone ne pouvait tarder à m'apparaître. En fait, dès que j'eus l'esprit un peu désencombré, cet épisode s'imposa avec tant de violence qu'il m'absorba complètement. Tous les évènements refoulés, depuis la prison de Francfort, étaient là devant moi, nets, précis, sans problèmes: non seulement mon rapatriement et mes journées véronaises, mais peut être encore davantage ces douze semaines d'ébahissement continu devant la "normalité" de Dachau.
Et j'affrontai "la distorsion".
A présent, au contraire, j'étais brisée, non plus rebelle mais anxieuse. Et mes nouveaux compagnons étaient détruits en dedans. Mon lot, désormais, c'est d'être avec ceux qui souffrent, pensais-je. (p. 209)
La brutalité était tellement voyante qu’elle devenait innocente.
La stupéfaction a peut-être été le sentiment le plus fortement ressenti à mon arrivée à Dachau. Au point parfois de ne pas croire à ce que je voyais de mes propres yeux au moment même où je le voyais. C’est peut-être pour ça aussi que, de retour dans le monde civil, ces abîmes se sont enfouis pendant plusieurs décennies, se déchaînant seulement dans mon sommeil quand une scène du passé se glissait dans mon cerveau comme une pieuvre, en un grouillement d’apparences fantasmatiques redevenues irréelles.
Lecteur, me revoilà. Je t’ai quitté à la page précédente, il y a maintenant six mois. Tout ce temps, je l’ai passé à tenter de répondre à la question « Mais après ? », dans laquelle, une fois de plus, je m’étais enlisée.
Les bords des nuages diffusent une dernière lueur de flamme. Je deviens soudain aboulique et toute la joie d'il y a un instant glisse à mes pieds comme une tunique trop large.
Il faut retourner à une vie simple et solitaire au milieu des près, des bois, des travaux des champs et des livres. Tout le reste n’est qu’agitation vaine, vaine expérience.
Je demande quel jour on est. Encore huit et ce sera Pâques. La nouvelle me bouleverse. Moi aussi j’avais oublié le Christ. Je ne lui en veux pas comme à Dieu le père parce qu’il a souffert et moi, je sais plus que jamais maintenant ce que ça veut dire. Je crois distinguer des voix d’ivrognes et des rires éraillés provenant du parc de l’hôpital. Pâques approche et personne n’y fait attention. Sa Solitude, la gratuité de Son Sacrifice me serrent le cœur.
Désormais, je ne vivais plus que pour tenir compagnie à la mort des autres et cette activité m’absorbait tellement qu’elle multipliait mes forces.
Il peut arriver à n’importe qui, c’est même courant, je dirais inévitable, de repenser son passé à la lumière du présent.