Senia avait appris plus jeune que cette guerre entre les deux familles était aussi vieille que le pays d’Ermera lui-même. Cela l’avait d’abord étonnée, puis la logique s’était imposée : les Élémentaires étaient souvent des combattants, voire même des conquérants, là où les Corporels, beaucoup plus empathiques, étaient des médecins ou des liseurs à la recherche de la vérité. Les uns tuaient, les autres soignaient. Bien sûr, tout cela avait évolué au fil du temps : les Terres étaient devenus des bâtisseurs, les Flammes des Forgerons. Même les Vagues avaient réussi le prodige de détourner un fleuve pour le faire couler aux abords d’Imwin, la Cité des Sang-Pur. Mais qu’importait : la rancune restait et traversait les siècles.
Tu dois te battre pour ce que tu penses juste, Oria, et assumer tes choix.
Ils étaient reconnaissables à leur physique, les Lumières étant particulièrement pâles, voire diaphanes, sans cheveux ni poils, et les Ombres possédant un teint plus bronzé, presque cuivré, et une chevelure noir de jais. C’était une lignée capable de modifier les particules de lumière, ou d’ombre, pour se cacher aux yeux du monde. Ce pouvoir particulièrement puissant leur permettait d’éliminer leurs concurrents sans aucun effort. Leur puissance était telle que, des siècles auparavant, les autres lignées s’étaient réunies et alliées pour qu’au moindre geste suspect, les Invisibles se fassent éliminer. Sans accord, la guerre semblait inévitable puisque les tensions s’accumulaient entre eux. Ainsi, le Conseil des Douze fut créé, et une alliance fut signée entre les différentes lignées pour fonder un pays paisible. Pour éviter que la lignée des Invisibles ne soit trop puissante, elle devait se soumettre aux ordres du Conseil des Douze, dont trois de leurs membres faisaient partie. Ils étaient aujourd’hui considérés comme des soldats d’élite et des espions du Conseil, ne se mêlant jamais aux autres lignées, même jeunes.
Le fait qu’un Ombre, aussi juvénile soit-il, quitte le palais, était donc de mauvais augure. Personne ne le considérait comme un adolescent allant sagement en cours[…]
Il était, de toute façon, très dur de s'entendre dire à l'adolescence que la vie ne tiendrati jamais qu'à un fil, à de la chance et à beaucoup, beaucoup de trahisons. Que l'amour que l'on portait à quelqu'un d'autre était impossible, qu'il pourrait devenir à tout moment une arme mortelle si cette personne faisait partie d'une famille ennemie.
« Sa promise… J’avais presque oublié que, s’il me rejette, c’est parce qu’il est déjà fiancé. Pourquoi est-ce que rien que cette idée me fait si mal ? »
Il s'approcha d'elle, le regard plus ardent que jamais. Elle se perdit dans les flammes de ses prunelles, le cœur cavalant dans sa poitrine.
Vois-tu, égoïstes comme nous étions, nous n’avons pas remarqué sa... Fragilité. Elle était si forte et lumineuse ! Qui aurait pu deviner qu’à l’intérieur, elle était aussi délicate que du verre ?
Ackis acquiesça.
— C’est vrai que les Ombres se portent mieux en l’évitant. On ne le voit jamais pour des choses agréables. S’il a pris le risque de t’avouer tout ça, je pense que l’on peut effectivement le compter dans nos alliés, au besoin.
Ces nouvelles les rassérénèrent légèrement. Ils comprenaient enfin qu’ils n’étaient plus sans ressource et qu’il y avait encore de l’espoir. Miodanscelle ne cessait de regarder Senia, un sourire éblouissant aux lèvres, ravie de savoir qu’elles étaient liées par le sang. Ackis avait retrouvé sa posture flegmatique et espiègle et Niowlella s’était redressée, le regard déterminé.
— Bon, reprit Senia. Que savons-nous de leur plan ?
— Pour faire court, nous savons qu’ils vont utiliser les souterrains pour attaquer le palais et le Conseil des Douze, commença Niowlella. Nous pensons qu’ils vont faire s’élever une plateforme sur laquelle seront placés de nombreux Privilégiés pour arriver dans la salle du Conseil et attaquer les nobles. Ils n’auront ensuite qu’à accuser un soulèvement des castes inférieures contre leurs maîtres. Un vote sera organisé au plus vite pour élire un nouveau Conseil, probablement constitué de la majorité d’entre eux.
— Ils attaqueront surement le matin, continua Miodanscelle. C’est à ce moment-là que[…] »
Le savoir est la plus puissante des armes.
Tu sais tout. Tu me vois désormais tel que je suis: un monstre
Mais parfois, la mort est plus douce que la vie.
Je la sens à chacun de mes pas, à chacune de mes inspirations.
Comment peut-il être aussi froid et me donner aussi chaud ?
Au jeu de la vengeance, tout le monde est perdant.
La voilà, la pomme empoisonnée. Prononcée à demi-mots, enrobée de sucre pour cacher le parfum de la trahison.
À quoi bon régner, si c’est pour être assujettis à sa propre cour ?
Personne ne peut se dérober à Edmond Cadbury.
On n’échappe pas au roi des vampires.
— Si nous employons les méthodes de nos ennemis, nous ne valons guère mieux qu’eux, me tance-t-elle.
— Je me fiche de valoir mieux ou moins bien.
Ils voulaient me voir tomber ?
Qu’ils m’observent bien.
La couronne a un prix. Celui de ma vie.