La vie à bord était rude, il le savait, en revanche, il découvrait combien elle était solitaire, en dépit de la forte densité de marins au mètre carré. Chacun avait ses propres tâches et il songea alors qu'il n'y avait pas pire isolement que celui que l'on éprouve au milieu des autres.
Des fois, j'en fais des cauchemars : je me vois rentrer dans la classe de CM2, vieux comme un adulte. Tout le monde croit que je suis le maître, mais non, j'ai juste redoublé pour la vingt-cinquième fois...
Je préfère ne pas imaginer ce que deviendrait le monde si ne subsistaient que des écrits autorisés par l'Église.
- Cela ne serait guère mieux s'il revenait au roi de décider de ce qui peut être lu ou non, contra le copiste las des attaques répétées du Collectionneur à l'encontre de la religion.
- C'est juste. Je remettais en cause la censure en elle-même, indépendamment de qui la met en place.
Il était comme un homme qui s'était réveillé trop tôt dans les ténèbres; alors que tous les autres dormaient encore.
Cette embrassade symbolisait également celle qui lui avait cruellement fait défaut sept ans plus tôt lors du sac de Béziers. A travers ses adieux à Théodore, elle faisait, enfin, le deuil de son propre père.
(...) il craignait tant de mourir seul qu’il s’était accroché à elle avec l’espoir qu’elle serait près de lui pour l’accompagner lors de ses derniers instants. En définitive, si quelqu’un était à blâmer, c’était bien lui, qui n’était mû que par l’égoïsme.
Chapitre XXX
Si la façade fatiguée de l'établissement, haute demeure à colombages s'adossant de guingois contre le mur d'enceinte, ne présageait pas un intérieur fastueux, elle ne laissait pas non plus imaginer un tel délabrement. À l'étage, les pièces étaient exiguës et misérables. La pourriture rongeait l'ossature de bois qui servait à présent de terreau à une colonie de minuscules champignons. Le hourdage en torchis partait en lambeaux, érodé par les suintements continus d'eau et de salpêtre. Dans une chambre en soupente, assise en tailleur sur une paillasse jetée à même le sol, se tenait une jeune femme prostrée. Ses pensées, elles, gambadaient bien loin de cette mansarde insalubre, bien loin même de Carcassonne, dans ce qui lui semblait être alors un autre monde. Un songe.
Je crois aussi que l'imminence de la mort donne la pleine conscience de la valeur de la vie.
« Théodore, dernier descendant d’une longue et riche lignée d’apothicaires, avait réussi l’incroyable tour de force d’engloutir la fortune familiale dans une collection d’ouvrages hors du commun. De la cave aux combles, il ne se trouvait point de pièce dont l’un des murs ne disparût pas derrière un enchevêtrement de rayonnages ployant sous leur fardeau. Les livres jonchaient même le sol en une anarchique succession d’empilements, qui s’interrompait par endroits pour permettre le passage, à la manière des eaux s’ouvrant devant Moïse. Un bon millier de manuscrits s’entassaient donc pêle-mêle, et il eût été impossible à quiconque d’en retrouver un seul sans se référer au Grand Cahier, sorte de codex d’apothicaire dans lequel Théodore consignait toute nouvelle acquisition. Car derrière le chaos apparent régnait un ordre certes très personnel, mais qui n’en était pas moins rigoureux. Chaque pièce de la demeure n’abritait que des recueils traitant d’un même thème – ainsi par exemple, tout ce qui concernait la théologie se trouvait sous les combles, tandis que les ouvrages de médecine étaient consignés au rez-de-chaussée – et le mur de chaque pièce permettait une subdivision supplémentaire. Quant aux livres restant à terre, il s’agissait pour la plupart d’écrits inclassables ou, il fallait bien le reconnaître, en attente d’agencement. Depuis bientôt quarante ans, Théodore achetait donc et lisait, poursuivant inlassablement une chimère tout aussi insaisissable que la pierre philosophale des alchimistes ou le Saint-Graal des chrétiens. Peut-être même davantage encore, puisque cette chimère était insaisissable jusque dans sa nature même. Elle se réduisait à un vague idéal ayant naguère jailli dans le cerveau d’un jeune étudiant parisien empli d’exaltation. »
Chapitre III
Ce qu’il ignorait et qu’il avait escompté trouver dans la bibliothèque, c’était un indice lui permettant de localiser l’objet de sa quête, car longs et nombreux étaient ces saints sentiers, et innombrables les reliques qui les bordaient. Il ignorait aussi la nature exacte de ce qu’il cherchait. Il savait seulement qu’il s𠆚gissait d’une chose plus sacrée encore que la sainte Croix, le saint suaire ou le Saint-Graal. Inimaginable !
Chapitre XXI