Le système marchand repose, depuis son origine, sur le désir et sur la privation. Il se développe, se maintient et se renforce là où les communautés humaines ne peuvent être autosuffisantes.
Les peuples amérindiens furent tout aussi étonnés d’observer l’acharnement au travail de leurs envahisseurs, leur fébrilité industrieuse d’insectes, et surtout leur inébranlable détermination à inculquer au monde entier cette extravagante folie : « Vous nous dites que pour vivre il faut travailler…Vous autres, hommes blancs, vous pouvez travailler si vous le voulez, nous ne vous gênons nullement ; mais à nouveau vous nous dites : « Pourquoi ne devenez-vous pas civilisés ? » Nous ne voulons pas de votre civilisation ! » Et encore : « Mes jeunes gens ne travailleront jamais, les hommes qui travaillent ne peuvent rêver, et la sagesse nous vient des rêves ».
Quel psychiatre se souciera du fait qu’aujourd’hui tant de gens continuent d’acheter et d’accumuler chez eux des objets totalement inutiles comme garde-fou contre le vide de leur propre vie ? Et surtout que fantasmeurs invétérés, la plupart de nos contemporains s’identifient à des rôles sociaux qu’ils estiment nobles et valorisants, mais qu’ils doivent pourtant renouveler sans cesse pour compenser illusoirement leur complète soumission à un système d’oppression devenu universel.
La nouvelle divinité protectrice n’est plus dans le ciel, mais dans les réserves monétaires. Le donjon fortifié et le temple font place désormais aux banques internationales et aux bourses du travail.
Dans la mesure où l’univers n’était plus qu’une source de matières premières à exploiter sans restriction, où l’animal lui-même était considéré comme une simple machine vis-à-vis de laquelle tout était permis, rien ne s’opposait à ce que la plus grande partie des hommes soit traitée et exploitée de la même manière par ceux qui les gouvernaient.
Ceux qui souffrent de leur étrangeté dans un monde qui ne peut se réformer qu'en se renforçant doivent donc admettre que la cause de leur souffrance est en eux, comme une tare qui les rend inaptes au bonheur.
C'est cette "conscience contre soi" qui pousse tant de gens au suicide, à la drogue, au désir de dormir. C'est elle encore qui permet que se maintiennent les conditions d'organisation actuelle.
Même les guerres et les cyclones sont profitables (à la civilisation industrielle-marchande). Toute une économie de reconstruction, de restauration de maintenance et d’ « aide humanitaire » fleurit sur les cimetières de Bagdad, de Djakarta, de la nouvelle Orléans. Au point qu’avant même le premier coup de feu en Irak, les entreprises internationales se disputaient les marchés de la reconstruction du pays auprès des dirigeants qui avaient décidé d’en détruire les infrastructures.
En ce qui concerne les malheurs et l’inconfort de la vie primitive, comparés aux délices de la vie « civilisée », il faut remarquer que la confrontation des peuples primitifs avec les européens na pas donné lieu à un tel engouement de la part des premiers, et qu’il a fallut les massacrer un peu pour en finir avec leur résistance opiniâtre.
Au cours de cette descente vers la mort, c'est-à-dire dès maintenant, les dirigeants mafieux de notre monde moderne vont devoir se maintenir face à des populations de plus en plus nombreuses dont les conditions de vie sont de moins en moins tolérables, et sans illusions sur la nature de leurs gouvernants - alors que le terrorisme moderne prouve que cette illusion est nécessaire à la conservation du pouvoir actuel. Voilà qui promet des affrontements confus et de longue durée, mais où la victoire est impossible pour qui détruit ses propres bases à chacun de ses succès.
Dans l'autre camp, au contraire, pourront se faire, à chaque instant de cette longue guerre, les choix décisifs entre la servitude, le découragement, l'impuissance argumentée, qui conduisent de plus en plus vite à la mort, et le rejet d'un ordre du monde qui ne doit son maintien actuel qu'aux entreprises criminelles de gestionnaires mafieux.
(A la question de savoir pourquoi la civilisation européenne industrielle-marchande a supplanté les civilisations antérieures l’auteur répond)
Le darwinisme social donnait à cette question une réponse digne de la société qui l’a produit : la « lutte pour la vie » entraîne toujours la survie des plus doués et la disparition des inaptes et des incapables. L’observation attentive de cette évolution montre qu’il en est tout autrement et qu’au contraire, dans certaines conditions historiques ou environnementales, ce sont les consciences les plus étroites et les plus déficientes, les individus les plus infirmes intellectuellement qui doivent toujours triompher des plus aptes et leur imposer leur domination.