Il y a des livres qui arrivent au bon moment, celui-ci en fait partie. Étant dans une période assez stressante, j’avais besoin d’une lecture détente afin de faire une pause avec le quotidien, mais pas forcément avec la réalité. Et c’est exactement ce que j’ai trouvé dans ce roman que je ne pensais pas autant aimer.
Alice, presque trentenaire, en mission à New-York pour son travail rentre en France où sa sœur Margaux, son aînée de douze ans, a besoin d’elle. Un prétexte permettant à la jeune femme de fuir une situation qui remet en cause son éthique professionnelle ainsi que sa vie amoureuse, son supérieur étant également son petit ami. Les deux sœurs ne sauraient être plus différentes : Alice semble fragile, peu sûre d’elle et toujours en quête de l’approbation et/ou de la protection de quelqu’un, même si c’est de manière inconsciente. Margaux est son opposée, c’est une boule de vie et d’énergie qui croque la vie à pleines dents même quand celle-ci lui joue un méchant tour. À cet égard, si l’autrice aborde le thème du handicap, j’ai trouvé qu’elle le faisait avec justesse, ne niant pas les ajustements que cela demande à Margaux, mais ne tombant pas dans certaines postures validistes faisant du handicap la fin de tout.
J’ai succombé à la personnalité tout en rondeur et bonne humeur de Margaux qui tranche avec celle plus réservée de sa cadette dont elle a toujours pris soin, jouant autant le rôle de modèle après la mort prématurée de leurs parents que de sœur… Plus prudente, Alice se révèle touchante dans ses interrogations quant à la direction à donner à sa vie, et les décisions à prendre pour mettre fin à ces choses qui l’empêchent d’être heureuse et de prendre son envol. Pour ce faire, elle pourra compter sur le soutien de sa grande sœur, sur ses bons petits plats, et surtout sur des recettes de famille qui vont régaler les deux sœurs en plus de leur offrir une belle occasion de remonter le temps.
Avec un talent de conteuse indéniable, Margaux raconte les histoires derrière les différentes recettes disséminées dans le roman, permettant au passé de s’éveiller et à l’arbre généalogique des deux sœurs de se dévoiler, du moins en partie, à nous. Au fil des pages, nous découvrons ainsi des personnalités fortes qui ont vécu des choses difficiles, des amours contrariés, de terribles revers de fortune, le deuil, l’antisémitisme, des tempêtes… Des personnalités qui ont néanmoins toutes réussi à reprendre les rênes de leur vie, s’accommodant de l’adversité sans jamais tomber dans la fatalité. Impossible de vous dire laquelle de ces figures du passé m’a le plus touchée ! Elles m’ont toutes beaucoup émue et impressionnée, la force de caractère semblant lier plus fort que n’importe quel lien du sang les membres de cette famille.
Venise, Naples, la Bretagne, Marseille et même l’Islande… Le voyage dans le passé sera mouvementé, les escales finement amorcées et détaillées, Magali Discours nous entrainant avec une force certaine dans des histoires incroyables que l’on a bien du mal à quitter. Des histoires qui inspireront Alice et qui amorceront chez elle un changement, la jeune femme réalisant petit à petit les dangers de l’immobilisme dans lequel elle a trop tendance à se plaire et se complaire. Et s’il suffisait de l’amour d’une sœur, des oreilles d’Haman de Yannah, de la cotriade de Yann, du limoncello de Teresa, et du pain sans pétrin de Martin pour permettre à Alice de capturer un peu de l’audace et de l’esprit d’aventure de ses ancêtres ?
Avec ce roman, l’autrice a pris une direction que je n’avais pas anticipée, mais qui m’a plu, beaucoup plus même. Alors j’ai peut-être regretté un certain déséquilibre entre le présent et le passé, le premier apparaissant presque fade au regard du second, mais les deux s’accordent à la perfection ! J’ai d’ailleurs adoré la subtilité et l’habilité avec lesquelles l’autrice utilise le passé de ses ancêtres pour améliorer le présent d’Alice. J’aurais seulement apprécié quelques pages de plus afin de continuer à côtoyer Alice et Margaux, deux sœurs très différentes l’une de l’autre, mais auxquelles on s’attache immédiatement et irrémédiablement. Cela tient peut-être de l’écriture tout en délicatesse de l’autrice qui permet de saisir aussi bien ce qui est dit par la cuisine que par les mots. Et puis, je reconnais avoir été sensible à la présence, entre ces pages, de personnes ayant réellement existé dont un célèbre peintre à l’esprit torturé… J’espère d’ailleurs qu’Alice retrouvera un jour son tableau !
En conclusion, Toutes les histoires commencent par une petite faim était le roman dont j’avais besoin en ce moment sans même le savoir. Grâce à un jeu subtil sur les saveurs qui, telle une madeleine de Proust, éveille la mémoire, Magali Discours nous raconte l’histoire d’Alice et de sa sœur, mais aussi celle de certain(e)s de leurs ancêtres. Une alternance passé/présent qui rendra vie aux disparus afin de permettre aux vivants d’avancer et à une jeune femme d’enfin se (re)trouver. Porté par une belle relation entre deux sœurs séparées par le poids des années, mais réunies par les caprices du destin, un roman doux, tendre, gourmand et lumineux qui fait du bien et qui rappelle l’importance de connaître ses racines pour tracer son propre chemin.
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