Citations de Maggie Nelson (81)
Et si j'etais déjà là où j'avais besoin d'être? Avant toi, j'avais toujours considéré ce mantra comme une façon de faire la paix avec une situation de merde, voire une catastrophe. Je n'avais jamais imaginé que ça pouvait s'appliquer à la joie aussi.
Les stores vénitiens miteux laissaient passer le soleil, ils masquaient à peine les ouvriers en bâtiment qui martelaient à l'extérieur alors que nous nous exécutions. Tu faisais glisser ta ceinture de cuir en souriant, j'ai dit : Tant que tu me tues pas.
Je me souviens du jour où
mon premier amour a dit, Si la douleur
est si forte, pourquoi ne pas la calmer
avec un objet coupant ? Aujourd'hui j'en rêve - une lame
L'amour qui jamais n'afflue
ni ne reflue, juste un muscle impulsif qui tressaute
Hier nous avons trouvé quelque chose de très dur
au fond de nous, un noyau noir. Je ne sais pas
si nous sommes nés avec ou si la masse a simplement grossi
dans l'obscurité. Mais je sais que la lune
a de la compassion pour nous. De même que l'eau.
Mon désir est si
féroce, je suis sortie l'aérer
et encore je le sens déchiqueter l'espace
autour de moi.
Il ne nous est pas donné de choisir qui l’on aime, ai-je envie de dire. Nous n’avons pas le choix, voilà tout.
Tu ne me promets rien
Je contourne ce fait
en m'interrogeant sur l'étymologie
de promesse, me promets
de la chercher plus tard
Pour l'instant, il y a lieu à être chez soi ici
Dans cette tête baissée
Cette main dans les cheveux
Le monde a-t-il l'air plus bleu avec des yeux bleus ?
Apprendre tout
ce qu'il y avait à savoir
sur le fait d'aimer quelqu'un
puis t'en aller, froidement
Je n'ai pas honte
L'amour est immense et monstrueux
19. Des mois plus tôt, j'avais fait un rêve, et dans ce rêve apparaissait un ange qui disait : Tu dois passer plus de temps à réfléchir au divin et moins de temps à imaginer déboutonner la braguette du prince du bleu au Chelsea Hotel. Et si la braguette du prince du bleu était le divin, plaidais-je. Soit, dit l'ange, qui me laissa seule à sangloter, le visage contre les lattes bleues du parquer.
Il n'en reste pas moins, et Billie Holiday était bien placée pour le savoir, qu'à voir des teintes de bleu toujours plus foncées, on finit par s'enfoncer dans les ténèbres.
74. Qui, de nos jours, regarde la lumière traverser les cloisons de sa "chambre noire" en compagnie d'un assistant fantasmagorique, se frappe les yeux pour reproduire les sensations de couleurs perdues, ou reste éveillé la nuit pour regarder les ombres colorées dérivées sur les murs ? J'ai déjà fait tout cela, alors que je n'étais au service ni de la science ni de la philosophie, ni même de la poésie.
75. J'ai surtout l'impression de me transformer en servante de la tristesse. Je continue de chercher de la beauté là-dedans.
44. Cette conversation avec le spécialiste de la ménopause des guppies a lieu le jour où, plus tard dans l'après-midi, une thérapeute me dira : S'il n'avait pas menti, ça n'aurait pas été lui. Elle veut me montrer que j'avais beau croire aimer cet homme très profondément et très exactement pour la personne qu'il était, je ne voyais pas qui il était, qui il est.
Pourquoi le bleu ? Les gens me posent souvent cette question. Je ne sais jamais comment y répondre. Il ne nous est pas donné de choisir qui l'on aime, ai-je envie de dire. Nous n'avons pas le choix, voilà tout.
Parfois je l’imagine morte (sa mère) et je sais que son corps, jusque dans ses moindres détails, va m’engloutir. Je ne sais pas comment j’y survivrai.
179. Quand j’imagine un homme chaste – et plus particulièrement celui qui ne se branle même pas –, je me demande quel rapport il entretient avec sa bite : que fait-il d’autre avec, comment la manipule-t-il, comment la perçoit-il ? En y regardant vite, cette même question adressée à une femme pourrait sembler plus “rangée” (la-chatte-comme-absence, la-chatte-comme-manque : invisible, impensée). Mais j’ai tendance à croire que quiconque parle ou pense de cette manière n’a simplement jamais senti palpiter une chatte en grave carence de sexe – une palpitation qui ne communique rien de moins que les suçotements et les éjaculations du cœur.
134. Considérer le bleu comme la couleur de la mort me calme. Depuis longtemps je me figure l’approche de la mort sous la forme d’une vague qui enfle – un imposant mur bleu. Tu te noieras, me dit le monde, m’a toujours dit le monde. Tu descendras dans un enfer bleu, bleu à force de fantômes affamés, bleu Krishna, bleus, les visages de ceux que tu as aimés. Eux aussi se sont noyés. Respirer sous l’eau : cette pensée provoque-t-elle de la panique ou de l’excitation ? Amoureux du rouge, on se taille les veines ou on se tire une balle. Amoureux du bleu, on remplit ses poches de cailloux bons à sucer et on se dirige vers la rivière. N’importe laquelle fera l’affaire.
100. Il nous arrive souvent de compter les jours, à croire que cette mesure du temps nous promet quelque chose. Alors que cela revient plutôt à harnacher un cheval invisible. “Il est tout bonnement impossible que dans un an vous vous sentiez comme aujourd’hui”, m’a dit un autre thérapeute l’année dernière à cette même période. Mais j’ai beau avoir appris à me comporter comme si je me sentais autrement, mes sentiments n’ont en réalité pas vraiment changé.
99. Après quelques mois à l’hôpital, mon amie accidentée a reçu la visite d’un autre tétraplégique dans le cadre d’un programme de soutien et d’information. De son lit, elle lui a demandé : Si je reste paralysée, combien de temps me faudra-t-il pour que j’envisage ma blessure comme un pan normal de ma vie ? Au moins cinq ans, a-t-il répondu. Le mois prochain, cela fera trois ans.