Citations de Marc Bernard (51)
- Dabit en visite-
il est des gens qu'on voit d'en bas, ou d'en haut; on a l'impression qu'il faudra crier pour qu'ils vous entendent, ou parler à mi-voix, bref, qu'on ne pourra pas être en face d'eux tout à fait naturel. Avec Eugène Dabit, rien de pareil; il était juste à hauteur d'homme, à votre hauteur.(p. 35)
Mais elle m’échappe trop souvent ; mes recherches sont longues, douloureuses dans cette nuit qui tend sans cesse à s’épaissir ; et il faut bien alors que je frappe avec violence pour briser la carapace d’habitude, d’indifférence, qui se forme à chaque heure autour de nous.
Mais elle ne comprend pas cela, malheureusement ; elle s’abandonne et permet au malheur de fondre sur nous par son peu de clairvoyance. Elle vit trop souvent dans des ténèbres beaucoup plus denses que les miennes ; je suis obligé, sans répit, d’aller la chercher là-dedans, à tâtons, de la ramener à chaque instant à la lumière, de la serrer étroitement par la main si je ne veux pas la perdre, de lui réapprendre sans fin l’héroïsme joyeux de notre amour.
Pas une ombre ne m'empêche de voir jusqu'au fond d'elle-même. Elle n'a plus besoin de parler, mes questions deviennent inutiles. Elle n’est plus qu’un espace frais où souffle le vent, où je peux me pencher sans crainte car, à perte de vue, je sais bien que je ne découvrirai rien d’autre que clarté.
V.--On remet ça
Tout d'abord, je ne savais que penser.Fallait- il rire ou pleurer ? La ligne de l' histoire passait- elle vraiment par Berlin et Moscou, allions- nous vers une unification de l'Europe sous les emblèmes liés de la faucille, du marteau et de la croix gammée, étions- nous dans une époque révolutionnaire qui allait changer le monde ? J'étais prêt à le croire.
Pourtant, c'est à partir de cette date que ma confiance dans l'homme, jusque-là si totale, a commencé à fléchir. À vrai dire, je ne m'en suis pas encore remis.Pire encore, ma défiance n'a cessé de croitre. Je ne crois plus en l'amitié ; je ne vois que des rapports de puissance. Du naufrage une seule planche demeure : l'amour.Lui seul, me semble-t-il, peut avoir un peu d'absolu, lier deux êtres dans la même aventure jusque dans la mort.Sans doute ma dernière illusion.
( Imaginaire, 2004, p.103)
V-- On remet ça
Ma carrière militaire une fois de plus était terminée ; je revins dans les deux deux-pièces de la rue Rancueil.Nous entrions dans l'ère du rutabaga et de la méditation.
(p.102)
Souvenirs de l'occupation
Mes troisièmes vacances ont été les plus longues, et elles m'ont mené loin.En Haute- Silésie, à Gleiwitz exactement. Elles ont duré près de deux ans.J 'étais soldat, en 1921.
( Imaginaire,2004, p.53)
La mort est une vieille histoire, mais il arrive qu’elle soit aussi neuve que si elle n’avait jamais servi.
C est le moment où la mer rosit dans l immense cuve où fermente la vendange du soir.
Quelque chose s epanouit en moi comme une rosace de vitrail et m inonde de lumiere de l intérieur comme je le suis du dehors ;tout eclaboussé de clarté, silencieux et bafouillant, je me sens soulevé par un elan de joie, une frénésie d admiration, d adoration devant le tableau gigantesque qui m entoure, où les couleurs vibrent et retentissent. Debout, à genoux, priant, délirant, je ne sais plus où je suis, si sur cette terre ou ailleurs.
Je ne la comprenais que trop soudain, et jamais je ne l'avais aimée autant. Elle était la chair de ma chair, que m'importait sa religion. Mais elle avait raison, c'est à cause d'elle qu'elle était menacée. Pourtant j'étais sûr, instinctivement, qu'on ne pourrait lui faire du mal, que nous étions protégés, que je la sauverais si besoin était.
Si elle voulait, si elle pouvait être une meilleur alliée, si elle comprenait dans quel sens nous devons aller, si elle secondait mieux mes efforts, si elle tenait sur ses gardes avec autant de vigilance que moi, si elle se méfiait davantage d’elle-même, si elle consentait enfin à sacrifier des plaisirs de passage pour ne vouloir que l’essentiel, je ne désespérerais pas de prolonger ces heures autant qu’il est possible à l’homme de le faire.