Marcel Scipion

-Té, venez vous asseoir près du feu.Le père Scipion, avé son assent qui traîne, vous entraîne et qui n'en finit pas, va nous conter ses souvenirs, peuchère.





Le Maurice (avec ses guêtres ruisselantes de rosée sur ses gros souliers de cuir) et son "escabouo", troupeau transhumant sont là, depuis 3 jours. D'autres bergers aussi!





On va s'attabler autour de l'immense table de mélèze. Une casserole de 5 litres de lait fume, le cousin a apporté une de ces énormes miches (non, il n'y a pas de jolie bergère!) comme seuls, savent le faire les bergers des montagnes.





On va parler du lièvre bleu du Ventoux, des sangliers des Baumes et du Clos du roi, au creux des grandes Alpes...





Ce lièvre était énorme, tellement gros qu'on le confondait de loin, avec les chiens." Il arrivait comme sur des pantoufles, par derrière les chasseurs, sans faire crisser le moindre gravier."

Il se permettait de leur frôler les talons, en passant, le Fada...

Et c'est pas des galéjades, encore un godet d'eau de vie?

-Je m'en souviens de son "elissir", comme d'hier, con!





"Voyageur de la nuit, moi qui en ribambelle

Ai franchi des pays sans les voir

J'ai hâte de trouver sous mes pas

Ce monde émerveillé qui rit et m'interpelle..." Gilbert Bécaud.

Né dans les années 20 dans les Basses Alpes, Marcel Scipion nous raconte quelques épisodes de son enfance : sa naïveté quand sa mère lui dit qu'il est né dans un nid sur un saule est touchante. Plus grand, il raconte ses aventures quand il accompagne les adultes dans les montagnes pour les chèvres, quand il se prend une cuite encore jeune minot ou la fameuse ribotte de leur tante Lilette. C'est raconté dans la langue du pays, traduit pour le lecteur non provençal. Très savoureux, on pense un peu à La gloire de notre père pour les souvenirs mais c'est vraiment différent car il se retrouve souvent avec des adultes. Il y a presque un goût de trop peu, mais c'est un récit autobiographie délectable.

Un livre composé d'une trentaine de récits évoquant la vie des habitants des villages de Haute-Provence dans la première moitié du 20 ème siècle. L'auteur y raconte ses souvenirs de petit berger. Cet ouvrage est assez proche par le ton des souvenirs d'enfance de Marcel Pagnol... cependant, du fait de la proximité des montagnes, implantés dans cette Provence, Marcel Scipion parle beaucoup de troupeaux de moutons ou de chèvres, mais aussi de chasse, aux sangliers et aussi aux lièvres, et de braconnage.

Il apporte des témoignages importants concernant la vie des gens à cette époque, leurs habitudes alimentaires, la fabrication du pain, celle du vin, l'entretien du linge. Il évoque les saisons, les foires, la récolte du miel... Le jeu de chat et souris entre braconniers et gendarmes... Le récit qui m'a semblé le plus émouvant s'intitule "Des champs de pature aux champs de bataille" dans lequel un vieux berger lui raconte un combat mené en Alsace, en 1915, baïonnette au canon... Le plus drôle est certainement "Ma première danse"... Ce livre étant constitué de chapitres sérieux et de récits plus légers... alternance que nous connaissons dans toute existence...

C'est un livre à lire à haute voix,à raconter avec l'accent et expressions de cette Provence si chaude,embaumant le thym,le romarin ,la lavande ,au son des cigales.

Une page de vie au début du XXe siècle, un roman de terroir,calme ,apaisant plein de fraîcheur écrit par un merveilleux conteur.Un roman,délassant,ressourçant ,où les mots vie et nature prennent tout leur sens.🌟🌟🌟

C'est en participant à la fabrication des ruches avec son grand-père, en hiver, qu'est sans doute née la vocation de Marcel. Mais il dit aussi que sa passion des abeilles lui est venue naturellement parce qu'il raffole du miel !

Avec amour, avec bonheur, avec du soleil dans la voix, avec des étincelles dans les yeux, Marcel nous raconte comment il a pu, au fil des années devenir un apiculteur à part entière. C'est à la fois dans les livres (le tout premier, celui de l'abbé Sigolas) et dans ses belles rencontres qu'il a appris son métier. En janvier 1946 il n'a pas hésité à traverser la France pour aller acheter des colonies d'abeilles bretonnes à la foire de Vannes!

C'est un livre qui fourmille d'anecdotes autour des passions, des épreuves avec leurs lots de réussites et d'échecs inévitables, des souffrances, de bonnes surprises, mais aussi des mauvaises, des espoirs, des déceptions. Des sourires, de l'humour, du bonheur.

C'est aussi un livre pour satisfaire tous les sens : les couleurs, les parfums, les musiques, celles des bruissements d'ailes, "pour le grand ballet de la vie", les chansons du vent dans la plaine et celle des mots, ceux qui chantent la Provence avec cet accent qui sent le soleil, la mer et le ciel bleu, et surtout la saveur à nulle autre pareille du miel. Sans oublier cependant les douleurs des piqûres qui parfois peuvent rendre fou ou même tuer.

C'est enfin un livre sur la vie d'un berger des abeilles qui a su très tôt que sa destinée était liée aux fleurs et à ces hyménoptères et qui savait déjà que le sort de l'humanité était étroitement lié à celui des pollinisateur.

" Si l’abeille venait à disparaître de la surface du globe, l’homme n’aurait plus que 5 années à vivre." On attribue faussement cette déclaration à Einstein mais je pense qu'elle n'est pas très éloignée de la vérité...

-

note du site INA sur cette rencontre avec J Chancel :



"Marcel SCIPION, invité pour parler de sa profession d'apiculteur et celle de berger : le métier d'apiculteur, qu'il exerce depuis 25 ans en Haute-Provence ; ses méthodes de travail. Il habite à Moustiers Sainte Marie. L'accident de voiture qui l'a immobilisé, le livre qu'il a écrit pendant sa convalescence : "Le Clos du Roi". La vie dans sa jeunesse qui témoigne d'un goût de l'effort. Comment la nature humaine a changé. La beauté de la montagne ; la flore ; la population. Sa famille. Les abeilles. Son nom et son prénom. La lecture. Son regret de ne pas avoir suivi des études scientifiques. Comment il a modernisé la ferme de son enfance qu'il a rachetée. La "colonisation" du pays par les touristes. La chasse aux sangliers, anecdote à ce sujet. Sa femme d'origine francomtoise. La sieste. Paris et les Parisiens. La désertification de la montagne ; la disparition des hameaux. Ses enfants. "Le Clos du roi : mémoires d'un berger des Alpes de Haute-Provence" ; explication du titre. La solitude enrichissante du berger, qui facilite la vie intérieure. Ses moments de désespoir. France VERNILLAT lui a révélé ses dons de conteur. Le contact avec la nature ; les saisons. Ses expériences de radiesthésie. Son accident de voiture. Il est catholique mais anti clérical. La mort de sa mère, événement majeur de sa vie. Souvenir de sa première communion. Le braconnage."

(Entretien avec Jacques CHANCEL - 56'42") en 1978 site INA

Un Clos dit "du Roi", un vallon où emmener les moutons l'été à transhumer. Faire son pain mais pas pour rigoler (50 kilos de farine, 15 jours de miches pour la dizaine de personnes d'une famille élargie), faire ses patates, ses choux, son miel, sa médecine même avec les limites qu'on sait, son vin, distiller son marc en fraude, braconner les sangliers, le lièvre les nuits glacées de pleine lune malgré les gendarmes... Et tout ça conté presque au coin du feu... Oh c'est rustique, presque un cliché pour citadin mal à l'aise, rêvant d'un retour impossible à la nature...



Pourtant cette prise de conscience ne date pas d'hier. Il y a bien 50 ans qu'elle s'est formée. Une extravagance de nantis au début mais qui petit à petit devient une obligation sans quoi nous allons à la catastrophe de plus en plus annoncée. De timide, le changement de cap devrait se préciser avec moins de bagnole, moins de produits, finie l'obsolescence programmée, des circuits courts et le bonheur de manger ce que donne un jardin sain... On ne parle de sa vie que parce qu'il y a eu rupture ; Marcel Scipion et bien des auteurs bêtement traités de régionalistes ont pris conscience de la mise en danger du planétaire, de l'universel, déjà avant 1980.



Mais l'homme ne vit pas que de nourriture terrestre. Aussi au risque de passer pour un ethnocentré (je m'en fous c'est moins grave que le nombrilisme jacobin), je me laisse aller à apprécier notre penchant méditerranéen. Le littoral oui mais l'arrière-pays surtout, qui aborde vite l'altitude, chez nous, Corbières, Pyrénées, Montagne Noire, Espinouse, Cévennes, Monts de Vaucluse, Préalpes de Digne ou de Castellane avec une végétation qui rompt avec les garrigues et maquis.



Gabachs ou gavots, partout des montagnards de quand la montagne était belle. Et ces mots, cette langue qui se doit de résister tant qu'une domination d'un autre âge n'a de cesse que de l'effacer pour ne pas qu'il soit dit qu'elle a été soumise...

"Dijous ma finestro i a un ametlièr que fa de flours blancos coumo de papièr"...

Et ce n'est pas parce qu'entre la science, le réchauffement climatique et l'épuisement des nappes phréatiques, l'amandier pousse plus au nord qu'il en a perdu pour autant sa portée symbolique.

Mémoires d'un berger d'abeilles, publié en 1984, est l'un des cinq ouvrages écrits par Marcel Scipion. L'auteur est " berger d'abeilles", comme il se définit avec poésie, issu d'une famille de bergers. I l s'est mis à l'écriture suite à un accident qui l'immobilisa pendant plus d'un an. Né dans le hameau de Vénascle, à Moustiers-Sainte-Marie, il est devenu apiculteur par passion. Il a été assez médiatique en 1978, lorsque Jacques Chancel lui a consacré une Radioscopie et que Bernard Pivot l'a reçu à Apostrophes, la même année.

Mémoires d'un berger d'abeilles compte quatre textes assez courts. Le premier relate avec beaucoup d'émotion un terrible incendie qui a marqué son enfance. Le deuxième raconte, quelques années plus tard, la conscription de l'auteur, en 1942, sous le régime de Vichy. Grâce aux abeilles, il échappe aux camps de travail en Allemagne. Le troisième récit se rapporte aux tout-débuts d'apiculture de l'auteur. Il se rend en terre bretonne, ou on le prend pour un italien, pour acheter des essaims. Enfin, le quatrième , le plus bref, décrit l'expérience étrange à laquelle le convie un ami : le bal des reines.



L'écriture de Marcel Scipion se caractérise par son authenticité. Ce sont des récits autobiographiques chargés d'émotion, à la fois simples et précis. Ils sont riches en informations sur un sujet qu'il maîtrise pour l'avoir abordé de façon empirique. Malgré le peu de moyens dont il disposait, Marcel Scipion a su développer un talent qui s'est manifesté dès l'enfance. L'écriture est truffée de vocabulaire qui appartient au patois local. Le ton est souvent drôle et malicieux, avec un humour teinté d'autodérision. Chacun des textes exprime un attachement au terroir, sincère, mêlé de fierté. On comprend que l'auteur est un homme de caractère, libre et indépendant. Et s'il fallait s'en convaincre, on pourra écouter la Radioscopie de Jacques Chancel. (https://open.spotify.com/track/0RrUlJdVQMWaKDJIJRTwJX#_=_ )

Chroniques de la vie d'un berger des alpes de Hautes-provence, cela peut se lire en plusieurs "nature" et pourrait ressembler à du Pagnol, avec une écriture beaucoup plus simple. Cela pourrait être lu à des enfants qui veulent connaître la vie d'autrefois.