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Citations de Maren Uthaug (50)


Les rêves ne se soucient pas de ce que nous trouvons convenable, hélas. Ils se fichent complètement des barrières que la société met au désir et de ce qui peut faire déferler les orgasmes.
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Les médecins ne savaient à quel saint se vouer. Ils tentaient de recourir aux classiques saignées, sans constater d’effet sur les malades, leur frottaient le corps avec des linges imbibés de camphre et d’huile de térébenthine, leur appliquaient des ventouses, leur posaient des sangsues sur les tempes. Ils torturaient leurs patients en leur faisant subir des séances de sudation, des cures d’opium ou de sel. Ils les enveloppaient de couvertures et les faisaient asseoir au-dessus de pierres chauffées que l’on arrosait de vinaigre, ou encore, suivant les conseils de leurs confrères anglais, leur administraient des préparations à base de mercure et leur prescrivaient des bains de vapeur, des vomitifs et des laxatifs.
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Au fil des années, on avait fini par interdire les inhumations en dehors du cimetière. Désormais, les enfants non baptisés, les suicidés et les criminels avaient tous droit à leurs trois poignées de terre à l’intérieur de l’enclos. Mais ce n’était pas du ressort du pasteur. Ce genre de petites cérémonies miteuses était en principe le lot du sacristain. Même si les malheureux qui avaient renoncé à vivre étaient admis en terre sacrée, l’image du Dieu vengeur avait la vie dure, ce Dieu qui punirait tout le monde si l’on faisait entrer au cimetière, en grande pompe, les gens indignes.
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L’école le rongeait. S’il était auparavant un enfant malingre et pâlichon, ces années-là le rendirent presque évanescent.
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Même si on avait fait appel au jeune homme pour s’assurer que le mort, simplement, était mort, Christian IV considérait comme son devoir d’aider ce dernier à comprendre ce qu’il en était. Il n’avait pas beaucoup de temps devant lui, car contrairement aux gens des époques antérieures, ceux de maintenant souhaitaient qu’on les débarrasse du corps et qu’on le dépose à la chapelle le plus vite possible. À mesure que s’enchaînaient les révélations de la médecine sur les potentielles sources de contamination, l’idée d’avoir un mort au milieu du salon devenait plus déplaisante. Ce qu’on ressentait autrefois comme intime et festif n’était plus qu’effrayant et macabre.
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La grippe espagnole était vicieuse : elle laissait tous les membres d’une famille se réveiller au matin frais, dispos et pleins d’espoir, pour les éliminer ensuite jusqu’au dernier avant le coucher du soleil. Ou bien elle en épargnait un seul, de préférence une mère ou un père épuisé et misérable, qui devait user de ses maigres forces pour enterrer un à un tous ceux qu’il avait aimés.
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Les humains, comme on le sait, ont besoin dans l’existence d’une certaine dose de danger pour pouvoir être heureux, faute de quoi ils s’inventent des névroses, des phobies et autres fantaisies dont leur esprit se divertit pour éviter les affres de l’ennui.
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En regardant ma mère fourrer une quantité insolente de poulet dans sa bouche, je me suis demandé si elle avait toujours été aussi méchante, ou si ça avait empiré avec les années. Je n’arrivais pas à savoir. Enfant, on est capable de trouver tout normal.
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La polio fut la dernière épidémie qui poussa les Danois à s’enfermer chez eux et à garder leurs distances. Durant les années 50 et 60, la mort se confronta de nouveau à la science qui ne cessait d’inventer des vaccins. Anéantir plusieurs personnes en même temps ne s’avérait plus aussi facile qu’autrefois, mais la mort ne fut pas désarmée bien longtemps. Ironiquement, l’homme faisait toujours des trouvailles qui décuplaient ses possibilités.
À cette époque, il n’y avait pas encore beaucoup de voitures dans les rues. Chaque mois, les accidents de la route faisaient pourtant trois fois plus de victimes qu’aujourd’hui. Non pas parce que les véhicules étaient moins sûrs et les gens de piètres conducteurs, mais parce que beaucoup avalaient dix bières avant de prendre le volant. Pratique que personne ne remettait en cause.
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Elle n’était pas bonne cuisinière, mais ça ne faisait rien, car dans les années 60, les plats préparés étaient en pleine popularisation. Tout pouvait s’acheter en boite. Elle servait donc des quenelles, du pot-au-feu, des boulettes de viandes et autres plats en mettant simplement les boites dans l’eau chaude, avant de les ouvrir et de verser leur contenu dans les assiettes.
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Isak descend de la voiture. Il frotte son gákti* bleu foncé pour ôter quelques
peluches, rajuste sa ceinture et pousse un soupir. Aujourd’hui, il va enterrer
sa sœur. Sa Rihtta, qu’il ne reverra plus jamais. Car elle finira ailleurs que
lui. Y penser lui occasionne une douleur à la poitrine, un nœud dans la
gorge. Parce que ç’a toujours été eux deux. Elle et lui contre les autres.
Ensemble, ligués. Ils étaient plus forts, plus intelligents. Ils n’étaient pas
frappés, eux, par la folie familiale. À l’inverse des deux autres. Et
maintenant Risten l’attend dans la cuisine. Elle lui rappelle Rihtta. Il n’a pas
pu supporter d’être près d’elle les jours derniers. Il sait bien que ce n’est pas
gentil de sa part de l’avoir laissée comme ça, toute seule, dans la panade. Il
a prié Dieu pour qu’Il lui accorde Son pardon. Il a prévenu Risten
uniquement parce que Rihtta le lui avait demandé. Mais papoter dans la
cuisine avec une autre personne que sa sœur, non, il en est incapable.
Rihtta et lui se sont fait leurs adieux devant la maison. Depuis, il n’y a
plus remis les pieds hormis pour y conduire Risten, le jour de son arrivée.
Rien que ça, c’était au-dessus de ses forces. Depuis, il est resté chez lui, au
fond de son lit. À pleurer. À sangloter pour se débarrasser de son chagrin.
Sa peine en songeant qu’il ne reverrait plus jamais son épouvantable sœur.
Elle qui n’avait de cesse de salir Dieu et Læstadius. Il a la sensation que la
vie ne vaut plus le coup d’être vécue maintenant que Rihtta est partie.
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— Et ton père ?
— Il est mort longtemps avant ma mère. C’était un Same, d’ailleurs.
— Mais tu ne parles pas same ?
— Oh, je comprends un peu. Mais ma mère estimait que ce n’était pas
une bonne idée de l’apprendre, donc elle m’a toujours parlé en norvégien.
La langue same n’avait pas d’avenir, prétendait-elle. Et elle ne voulait pas
que je devienne un souffre-douleur à l’école à cause de ça.
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Elle encastre des rires préenregistrés entre elle-même et son angoisse.
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— Læstadius est et a été l’un de nos plus grands prédicateurs. Il a créé un
tout nouveau culte chrétien, le læstadianisme. Cela fait maintenant plus de
cent ans qu’il est mort, mais ses paroles vivent toujours en nous. Je suis en
train d’écrire un livre sur lui. Je veux montrer à quel point la société same
aurait péri sans lui. J’ai obtenu une bourse de soutien de la part du Fonds
culturel du Parlement same.
Il hoche la tête en signe de fierté.
— Pff ! fait Rihtta. Nous, les Sames, on s’est contentés de se cramponner
à sa foi. En fait, c’étaient les Kvènes qu’il préférait.
Elle regarde son frère avec des yeux mutins et impatients.
— Mais cesse de raconter des âneries ! Ça n’a aucun fondement, ce que
tu dis. Et tu le sais parfaitement.
Isak a l’air furieux. Rihtta continue de plus belle, toujours sur le ton de la
moquerie :
— Eh oui, Risten, c’est comme ça que ça se passe. Autant que tu
l’apprennes tout de suite. Ici, dans le Nord, il y a une hiérarchie particulière.
En haut tu as les Norvégiens, en dessous tu as les Kvènes, encore en
dessous tu as les Sames, et tout en bas tu as les chiens.
— Arrête de lui bourrer le crâne avec tout ça, Rihtta, dit Isak, d’une voix
fatiguée.
— Oui, pardon. Je sais que ça ne fonctionne plus comme ça de nos jours.
Après l’arrivée de tous ces immigrés à la peau foncée, les Sames ne se
situent plus au bas de la hiérarchie. Mais tu me donneras raison sur un
point, Isak : autrefois, nous, les Sames, on n’avait que les clébards à qui
donner un coup de pied !

[...]
— Pourquoi est-ce que Rihtta ne croit pas en Dieu, en fait ? Dans la
mesure où autant Áhkku que toi avez toujours été aussi religieux ?
Kirsten aurait préféré employer le mot “maman”.
— Rihtta a toujours protesté. Contre Dieu. Contre la société norvégienne.
Contre la société same. Contre sa mère en se mariant avec un Norvégien.
Elle a toujours été comme ça, depuis son enfance. Querelleuse, entêtée,
batailleuse, jusqu’au bout des ongles. Demande à ton père, il est bien placé
pour en parler.
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__Pourquoi est-ce que Rihtta ne croit pas en Dieu, en fait ? Dans la
mesure où autant Áhkku que toi avez toujours été aussi religieux ?
Kirsten aurait préféré employer le mot “maman”.
— Rihtta a toujours protesté. Contre Dieu. Contre la société norvégienne.
Contre la société same. Contre sa mère en se mariant avec un Norvégien.
Elle a toujours été comme ça, depuis son enfance. Querelleuse, entêtée,
batailleuse, jusqu’au bout des ongles. Demande à ton père, il est bien placé
pour en parler.
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Sinon, oui, bien sûr qu’elle aurait pu renouer le contact après la mort
d’Aslak, d’autant qu’à ce moment-là Ravna ne représentait plus un danger.
Mais les années s’étaient écoulées, donc bon. Voilà tout. Elle se disait :
Risten viendra bien un jour, si elle a besoin de moi. Parfois, elle se
surprenait à observer une fille inconnue, du même âge que Risten. Elle
essayait de s’imaginer à quoi elle ressemblait désormais. Aussi, quand elle
lui a téléphoné, Rihtta n’a pas eu envie de rouvrir les vieilles plaies. Sans
pour autant avoir eu le courage de dire non. Même si c’était trop tard. Elle
était quand même curieuse de voir ce qu’était devenue la petite.
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À ces mots elle prend la valise par la poignée, la roule jusqu’à l’arrière de
la voiture, ouvre le coffre et la fourre entre des cannes et des cuillères à
pêche, des couteaux, des bottes et des pulls en polaire. Rod grimpe à
l’arrière, Kirsten boucle sa ceinture de sécurité. En inspirant le plus
profondément possible, elle remplit ses poumons de cet air frais et sec aux
senteurs de l’enfance : la montagne et l’eau, les journées hors du temps.
Avec une sensation de paix momentanée, elle referme la portière puis
s’assied à l’avant. L’instant d’après, elle sent les roues s’actionner sous ses
pieds.
Ils roulent en silence. Le paysage automnal insiste pour qu’on lui prête
attention. Avec leurs troncs blancs et leurs branches noires, les bouleaux
arctiques le long de cette route asphaltée qui semble conduire à la fin du
monde lui souhaitent à leur tour la bienvenue, mais eux, surtout, un bon
retour à la maison. Des buissons couleur rouille lui font bonjour dans le
vent, en compagnie d’autres, rouge foncé, et de ceux qui ont abandonné la
lutte pour qui sera le plus rouge : ils sont devenus jaunes. Kirsten a la gorge
serrée, elle avait oublié la beauté de ces lieux. Pleure, lui chuchote-t-on de
toutes parts, tu aurais dû être là il y a deux semaines, quand les arbres
brûlaient de concert avec les fourrés qui n’ont pas perdu leur splendeur
d’automne.
Kirsten ferme les yeux. C’est dur de rentrer chez soi quand ce foyer n’est
plus le sien.
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Kirsten décrocha son bac avec une note nettement supérieure aux efforts
fournis. Et suffisante pour intégrer la faculté d’architecture, à laquelle tout
le monde estimait qu’elle devait s’inscrire. Elle qui était si douée en dessin.
Qu’elle ait rarement dessiné une maison et ne se soit jamais intéressée à la
construction d’un bâtiment était manifestement un détail. À cet égard,
Grethe partait dans de grandes envolées oratoires. Voyant déjà le monde
ouvrir ses portes à sa fille pour peu qu’elle leur présente un diplôme
prestigieux, elle poussa Kirsten à envoyer sa demande. Quant à l’intéressée,
elle n’avait qu’un désir : se tirer de là le plus vite possible.
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L’automne s’infiltrait par les interstices du cabanon. Dès le début du mois
d’octobre, Kirsten dormait sous sa couette avec deux couches de vêtements
et des chaussettes en laine. À partir de novembre, Ghita ne la quitta plus
dans son lit : Kirsten se collait à son corps boudiné de graisse dont elle
aspirait la chaleur. En décembre, un épais tapis de neige se déposa sur le
cabanon et enferma Kirsten dans une capsule de froid. Et pourtant elle n’en
bougea pas. Elle cramponnait de ses doigts glacés les crayons à papier
quand elle dessinait Niels et les visages qu’elle ne connaissait plus.
Juste avant les vacances de Noël, elle eut de la fièvre. Ce qui ne
l’empêcha pas d’aller à l’école. Au moins il faisait chaud dans la classe. Le
professeur se rendit compte de ses yeux brillants et la renvoya chez elle.
Elle fila directement dans le cabanon et se coucha sur le matelas.
Il ne leur fallut pas longtemps pour fondre sur elle. Elle n’avait pas assez
d’argent. Et ils étaient trop nombreux. Elle tenta bien de psalmodier ses
prières kvènes, mais ils lui maintenaient la bouche fermée. Massés autour
d’elle, ils ne cessaient de la titiller avec leurs longues queues, leurs griffes,
leurs regards froids et leurs sons enjôleurs. Kirsten appelait à l’aide et leur
donnait des coups de pied. Elle se sentit glisser dans le trou. Ils la traînèrent
dans leurs galeries souterraines. Elle hurla. Elle n’entendait pas ses propres
cris. Son visage, désolidarisé du corps, gisait à même le sol. Les différentes
parties qui le composaient étaient démembrées. Elle essaya de les rattraper,
mais ils furent plus rapides qu’elle. Ils partirent dans toutes les directions,
qui avec les yeux, qui avec les oreilles, le nez, la bouche. Le monde
tournoyait comme une toupie. Elle fut aspirée avec lui tout au fond du trou.
Ils l’y attendaient en bas, bras tendus. Ils la réceptionnèrent dans sa chute.
“Enfin ! Enfin ! Enfin !” chantaient-ils. Et voilà, ils la tenaient désormais.
Elle récita d’autres prières, donna de nouveaux coups de pied. Mais ils
étaient hors d’atteinte. Elle dut se déclarer perdue, vaincue. La conscience
l’emporta quand elle se fracassa au fond du trou.
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Jusqu’à la fin de ses jours, Kirsten se souviendra de ces grandes vacances
comme de l’été où elle perdit la faculté d’être joyeuse. Où le dernier reste
d’une enfance synonyme d’innocence fut étouffé au cours de nuits d’une
effroyable solitude. Des nuits jalonnées de prières kvènes et d’une marque
au creux de la paume à force de serrer la bague d’Áhkku. Des nuits où,
terrassée par l’angoisse, elle se vomissait dessus, sur le drap, sur Ghita, par
terre. Dans ces cas-là, elle s’allongeait à côté pour écrire son vrai prénom
dedans. Parfois, elle écrivait aussi celui de Kirsten.
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