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Citations de Marie Chaix (77)


J'aime les gens qui n'osent
S'approprier les choses
Encore moins les gens
Ceux qui veulent bien n'être
Qu'une simple fenêtre
Pour les yeux des enfants
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Sa vieillesse, on ne l'avait pas vue venir. Un jour, elle était encore jeune, une chose qui était peut-être un trop grand chagrin, l'avait fait trébucher puis s'évanouir pour de longs jours. La médecine appelle "coma" ce voyage silencieux entre les brumes. Puis, contre toute attente, l'endormie s'en était revenue, ouvrant les yeux sur une vie qu'elle ne reconnaissait pas : elle ne marcherait plus qu'avec une canne, ne laisserait plus courir ses mains sur un clavier... oh, d'un coup d'oeil elle ne pouvait évaluer tout ce qui désormais lui manquerait. Elle avait le temps d'y penser, elle était vieille, à présent.
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"Je me souviens, disais-tu, les cerisiers étaient en fleur. C'était un beau et lumineux printemps comme il en éclate parfois en Alsace après des hivers glacials. On nous laissait jouer dehors et nous levions souvent la tête vers le ciel, guettant les battements d'ailes et les cris d'oiseaux. Nous attendions le retour des cigognes. Il y avait un nid en haut du clocher de l'église. Dès qu'un vol d'oiseaux pointait à l'horizon, loin au-dessus des prés moutonnant de pétales blancs et roses, tous les enfants du village se retrouvaient sur la place de l'église. Ils agitaient les bras, poussaient des cris joyeux pour appeler les gracieuses bêtes qui tournoyaient autour du clocher, claquant du bec et déployant leurs larges ailes bordées de noir dans un lent balancement. Le jour où l'une d'elles toucherait le nid et s'y arrêterait au terme de son voyage, appelant peut-être un compagnon de quelques claquettements perçants mais tendres, les enfants en liesse se donneraient la main pour une ronde folle.
J'avais cinq ans alors et je sens encore le parfum frais de l'air bleu et des premières jacinthes dans les minuscules jardins si propres, si clairement dessinés devant chaque maison de la place.
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A gauche le salon beige et brun, à droite la salle à manger, tous deux lambrissés de bouleau de Norvège, donnant sur le hall par de larges ouvertures symétriques, coupées de portillons chromés aux arabesques ajourées que l'on retrouve, identique, sur la rampe d'escalier. Le même motif décore la mosaïque du sol et le tapis vieux rose qui la recouvre. Alice foule les quinze mètres de tapis jusqu'à l'escalier de marbre blanc, revêtu d'une moquette rouge, qui mène aux chambres du dernier étage. D'un œil lugubre recompte les Cariffa, seul peintre qui ait eu les honneurs du château. Pas un mur n'est épargné.
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Les souvenirs de son enfance étaient ceux auxquels elle semblait le plus tenir, comme si la petite fille de 1914, enfant de la grande guerre, avait détenu sous la masse de ses cheveux bruns et derrière ses yeux d'eau tous les secrets de la femme qu'elle deviendrait. L'Alsace était son paradis perdu, la terre nostalgique où plongeaient les racines qu'elle avait coupées un jour pour suivre l'homme de sa vie.
L'âge, dit-on, lorsqu'il touche à ces confins tremblants de la vieillesse, perturbe les mécanismes de la mémoire et la rend plus sélective : les images lointaines resurgissent avec netteté alors que le passé plus immédiat a tendance à s'estomper dans cette zone de grisaille qui souvent succède à l'âge mûr et introduit à un âge que l'on dit avancé précisément parce qu'il n'avance plus. Elle n'était pas encore vieille mais la maladie en bousculant la marche de son cerveau avait accéléré le processus de l'inconscient retour à l'enfance.
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Jean, mon petit Jean. Fini. Envolé dans les nuages sur les ailes d'un manège en feu. Et la grande maison grise résonnais de ses cris, atroce ritournelle, des entrailles de l'escalier sombre jusqu'à l'extrémité frémissante des branches de marronniers. Elle ne voulait pas, ne voulait pas qu'il parte. N'avait rien dit, n'était pas tombée. Hurle maintenant. Paul lui tenait la main, maman tu n'es pas seule, maman fais venir tes larmes, vide-toi de ce chagrin qui crie par ta bouche. Maman je suis là, ne me fais pas peur.
Elle s'était calmée, les sanglots de la tempête s'étaient défaits en petits ruisseaux qui s'écouleraient d'année en année au plus profond de ses clairières.
Elle s'était tue mais le cherchait partout. Dans les flammes des chapelles ardentes jusqu'à l'extase, dans le parfum de la terre humide, dans le vent des cyprès, le long des routes de France et d'Allemagne, au hasard des cimetières blancs et verts. Elle y marchait, chargée de fleurs, s'arrêtant devant les croix qui portaient l'inscription Unbekannt - inconnu - lançant froidement une fleur et continuant son pèlerinage de l'absurde. Disparu. Dispersé. Pourquoi là plutôt qu'ailleurs. Tous les Unbekannten de la terre étaient mes frères.
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Le coma est le dernier asile, l'ultime repaire de la somnambule. A l'abri sous ses paupières closes, elle divague. Sous les branches d'un arbre en fleur elle s'envole peut-être sur la balançoire que retient son père et secoue la tête en riant pour chasser les boucles qui entrent dans sa bouche. Tout à l'heure en courant dans les jambes larges de son pantalon blanc, elle descendra avec ses enfants le sentier bordé de mimosas qui tombe sur la plage et le sable tiède. Il y a une heure, peut-être voyait-elle arriver le cabriolet au bout de l'allée, un homme en descendre, marcher vers elle et l'entourer de ses bras. Demain, sait-on, elle entrera sur la scène d'un opéra doré et, "Prendi l'annel ti donno", chantera la Somnambula de Bellini, s'endormant doucement dans ses voiles.
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[Ma mère] essuie ses larmes contre mon rire et chante essouffl ée chante à mon oreille « à perpétuité à perpétuité il est sauvé à perpétuité » et nous tournoyons sous le plafond de nacre bleu le soleil bourdonne dans le Palais et nous valsons sur l’air des travaux forcés à perpétuité.
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Les premiers souvenirs de la vie, bulles de rosée le long d'un fil de la vierge, sont suspendus entre un marronnier rose et une haie de troènes.
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Je suis née en 42.

D’autres sont les enfants de la guerre, on leur a fait absorber du calcium et des vitamines pour que leurs dents de lait ne tombent pas.

Moi je suis un enfant de la collaboration, du maréchal, de Doriot, de la Wehrmacht et de l’antisémitisme.
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(...) je crois que nous nous sommes blotties l'une contre l'autre à l'intérieur d'un amour vital, énorme et bizarre dont nous n'avions aucune idée. Un amour indispensable pour remplacer le corps de la mère devenu demeure dévastée.
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Je l'ai rencontrée un jour par hasard dans la salle nue d'un musée et l'ai immédiatement reconnue. Je ne fus pas surprise. Elle était là, immobile dans son décor sombre, semblant m'attendre depuis des années. Je m'approchai. Peu à peu les murs blancs s'effacèrent autour de nous et je la vis sous l'éclairage falot du lampadaire posé à côté d'elle.
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Aime-moi, amour, mon amour, tu ne peux que m’aimer.
Amo, amas, maman, mamour, mourir, le verbe aimer tu l’apprendras, en même temps que mes larmes, la ritournelle, toi aussi tu la chanteras, amour, amour, pour guérir de mourir.

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Chez toutes les veuves qui vieillissent on retrouve, en bonne place, les images de ceux qui s'en sont allés avant elles.
Ils ont parfois des moustaches. On rencontre leurs portraits au-dessus des pianos, entre deux vases de Chine ou sur la dentelle d'une table de nuit. Ils y sont le plus souvent représentés dans la force de l'âge, le menton fier souligné d'un col blanc ou d'une cravate stricte. Il n'est pas rare qu'une chaîne de montre en or souligne la distinction de leur mise. Le regard sûr, parfois dominateur, exceptionnellement teinté de mélancolie, ils contemplent sérieusement et vainement du fond de leur néant cartonné le monde qu'ils ont quitté un jour semblable aux autres jours, dans la souffrance ou sans s'en apercevoir, à regret ou sereinement, conscients en tout cas d'avoir accompli leur tâche, leur devoir et leur destin, enfin d'avoir vécu. On les pleure, on les fête, on les fleurit, on les aime encore, les chers disparus, on ne les oublie pas, ils accompagnent de leur oeil tranquille la vie de leurs veuves qui s'ennuient. Ils les ont souvent fait attendre, marcher, pleurer ou souffrir, rarement fait rire, il est fréquent qu'ils aient fait la guerre, des affaires et des enfants mais aussi des infidélités. On ne leur en veut plus, on les vénère, on les aime parfois mieux morts que vivants, les chers disparus, leur image s'estompe à mesure que baisse la vue des veuves et que s'éteignent leurs jours. Ils sont légion, ils se ressemblent tous, ils ont en commun ce privilège d'être partis les premiers. La mort qui nivelle les souvenirs leur a donné cette patine chère au coeur des veuves qui s'étend tel un voile protecteur sur tous les édifices qu'a conçus leur mémoire.
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Aujourd'hui je me dis que ce doit être terrible d'être l'enfant de quelqu'un dont on a honte sans savoir pourquoi ; et pourtant de l'aimer ; sans savoir pourquoi non plus. Sinon qu'il est le père.
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Une nuit où elle ne l'attendait plus mais ne dormait pas, lampe de chevet en veilleuse, il est arrivé fourbu mais l'oeil vif et lui a dit : mets ta robe blanche et ta ceinture dorée, je t'emmène en Allemagne.
_ Pourquoi l'Allemagne ?
_ Pour te faire plaisir, pour des vacances, pour que tu revoies l'Alsace, nous y passerons, pour que tu parles cette langue qui est si belle quand tu la parles, toi, pour que je connaisse ta famille de là-bas, ma chérie, écris à tes cousines, nous partons dans huit jours.
Elle choisit les manteaux clairs, les bas fins, les gants de dentelle, sois belle. Tout est prêt, ferme les yeux, ouvres-les, tu ne rêves pas. Ils partent, ils sont partis. La main parfumée fait au revoir aux enfants alignés devant le portail. L'ombre du chapeau grège posé de guingois sur son front cache une petite larme que vite le vent sèche.
Un matin de juin 37, ils s'en allèrent tous deux, lui devant, elle suivant, Albert et Alice, au pays du national-socialisme.
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Elle résistait pourtant, elle était encore belle. Son visage intact ne portait les marques ni de sa maladie brutale ni des épreuves qui l'avaient durement frappée. Il était sans âge parce qu'il reflétait tous les âges à la fois. L'adolescente ou la petite fille apparaissait à travers le masque léger de la femme ou de l'amoureuse, composant une troublante image perpétuellement mouvante comme les curieuses photos que donnent des images superposées lorsque, photographiant plusieurs fois le même sujet, on oublie de changer de pose. Les yeux d'eau qui donnaient à ce visage une transparence de vitrail semblaient s'excuser d'avoir gardé leur limpide jeunesse et de poser sur les jours et les choses leur lumière qui n'était voilée d'aucun regret. "Etonnez-vous, disaient-ils, je suis encore là et je m'accroche." Parfois j'oubliais qu'elle n'était pas qu'un visage.
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Tu as vécu l'approche d'un danger sans pouvoir le nommer, tu te replies, tu te caches. Sans le savoir tu as rencontré la bête qui rode sur les routes d'Europe de Berlin à Rome. Elle avance, cherche refuge et s'installe poussant son cri par la bouche des hommes en sueur.
Tu ignores son nom. Ferme les yeux, laisse-là passer tu la retrouveras toujours plus vivante, plus vorace, au détour de ton chemin. Elle bouleversera ta vie. Pudiquement tu l'appelles "politique" et tu t'éloignes d'elle, innocente. Bien assez si elle te dévore tes journées, ton sommeil, ton amour.
Qu'elle passe le plus loin possible de ton jardin, sans abîmer tes buis parfumés, tes iris blancs, tes volubilis. Qu'elle aille se nourrir d'autres passions. Loin de toi la violence. Désherbe tes allées, taille tes géraniums, fais tes gammes. Pendant ce temps, les portes s'ouvrent, la bête engraisse.
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Je suis née en 42. D'autres sont les enfants de la guerre, on leur a fait absorber du calcium et des vitamines pour que leurs dents de lait ne tombent pas en petits morceaux. Moi, je suis un enfant de la collaboration, du maréchal, de Doriot, de la Wehrmacht et de l'antisémitisme.
Je suis née à droite, avec la LVF et le Cri du Peuple. Mon père y écrit. C'est l'organe du PPF nouveau visage. On y tient dès 40, des propos antisémites. L'un des leitmotiv du journal est l'appel à l'épuration. Doriot soutient les lois de Vichy contre les juifs et les francs-maçons. Mon père suit la ligne.
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Il n'est pas difficile d'avoir un poste à Vichy mais il est beaucoup moins commode d'y découvrir un bureau ou quelque chose qui en tienne lieu. Jusqu'à ce qu'on m'en ait donné un à l'hôtel Astrid, je partage, avec Charles Vallin, une pièce que Tixier-Vignancour a mis à notre disposition dans les locaux de la radio (Tixier est alors secrétaire à la Radio), au dernier étage de l'hôtel du Parc. Observatoire de choix : c'est là que sont installés le maréchal, ses services et ceux du chef du gouvernement.
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