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Citations de Marie Cosnay (98)


Le 8 août 2021, la Bidassoa renvoie le corps d’Abdoulaye Koulibaly, « le 3 septembre, presque un mois après (…) son corps attend toujours le rapatriement. (…) Le père appelle, appelle. Je suis à votre écoute. Je compte sur vous. Que pouvez-vous faire pour le corps de mon enfant ?
18 septembre 2021. Le corps attend toujours dans une morgue au Pays basque. »
Le 20 septembre : « je suis le père d’Abdoulaye Koulibaly, je vous ai envoyé les extraits d’acte de naissance, le mien, celui d’Abdoulaye, celui de la maman, pour vous dire : Abdoulaye a un père, j’ai même envoyé l’oncle, le jeune frère de la maman. Puis : je vous remercie beaucoup. J’appelle et vous prenez le téléphone, je vous remercie infiniment.
Mais soudain, l’annonce qu’on a l’autorisation : ‘On a l’autorisation,’ On a l’autorisation.’
L’autorisation de la Guinée, c’est une bonne chose, mais ce n’est pas fini. Maintenant, dit le consul de Guinée à Madrid, maintenant il faut certifier que le jeune homme mort n’avait pas le Covid.
Il faut l’acte de décès qu’on aura lorsque le juge, à Irun, aura fermé le Cas.
Le 28 septembre, nous attendons la date du vol.
Devant la place de la mairie à Irun, « mais enfin, son fils était parti. Pourquoi ne pas l’enterrer dans le pays où il voulait aller »
Le lendemain(le 29) il manque le certificat d’embaumement. On L’obtient.
Le 29 au soir le billet d’avion pour le cercueil d’Abdoulaye est arrivé. Je transfère le PDF joyeusement.
Le gouvernement basque se charge des frais. Une partie de l’argent que nous avons collecté va à la mosquée d’Irun qui a payé l’enterrement. L’oncle d’Abdoulaye, de Nantes a été chargé de payer le sacrifice, au Pays. Je ferai partir mon fils cadet, le petit frère d’Abdoulaye, a dit le papa.
En octobre, mes virements Western union sont passés. Avec des marges exorbitantes, mais ils sont passés. Le papa d’Abdoulaye appelle : la cérémonie aura lieu, à Fria, à cent kilomètres de Conakry. Il négocie pour trouver un chauffeur.
Et les affaires d’Abdoulaye ? Le médecin légiste, au téléphone, le soir même dit qu’il faut demander au Tribunal.
« Les affaires d’Abdoulaye : au mois d’avril 2022, le tribunal acceptera soudain que nous les récupérions. Nous les découvrons telles qu’elles ont été sorties de l’eau, moisies depuis huit mois qu’elles sont là. Le père d’Abdoulaye y renoncera. »
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Restent les os, le vrai, le dur, les os qui devraient dire : quinze, seize, d’abord ne sont pas adaptés, ensuite sont contredits, enfin ne disent rien, ce qui doit trancher ne tranche pas, là encore il est question d’interprétation alors qu’on voulait un non ou un oui, les os disent entre seize et dix-huit, ou bien entre dix-sept et vingt, ce qui laisse la balle dans le camp du ou de la juge, comme si on disait : l’épreuve ou ordalie des os, match nul, la balle est dans le camp du ou de la juge, qu’il ou elle juge, sans critère, ou selon d’autres critères, lesquels, on ne sait pas, tout dépend.
Tout dépend : parfois le ou la juge juge en fonction des places en foyer dans la ville ou le département. Ou en fonction des personnes solidaires qui s’enthousiasment pour l’accueil d’un•e adolescent•e héroïque à domicile, ce qui est un peu une douce folie. Une douce et belle folie la plupart du temps, tant mieux. Que penser d’une institution qui fait appel à des familles d’accueil de fortune, recrutées en quelques minutes dans le hall d’attente d’un tribunal, qui livrent donc à des hébergeur•euses inconnu•es ceux et celles qu’elle vient, à l’instant, de juger mineur•es, fragiles et complètement isolé•es ?

Tout cela pour dire qu’on cherche l’enfance.
Tout cela pour dire à quel point on cherche l’enfance.
Ce que c’est, l’enfance, cette enfance-là, et comment la dire.
À quel point on la cherche et ne la sait jamais.
Ce qu’il y a, c’est qu’on ne la voit pas, ou ne cherche pas à la voir, comme un mouvement.
Elle n’est pourtant que mouvement.
Mouvement qui nous surprend.

Fatigue, à force de luttes contre les départements, contre les juges, de recherches de papiers et de validations, fatigue devant la bêtise des évaluations et fatigue des évaluations que nous faisons, nous aussi (société civile, hébergeur•euses solidaires), des départements : celui-ci est bon, celui-là pas du tout.
Fatigue aussi devant la séduction suspecte, qu’à mon sens opérait l’enfance, cette enfance-là, sur les hébergeur•euses solidaires que nous étions, que j’étais.
Fatiguée de ce que nous attribuions à l’enfance, presque avec un grand E, de ce que nous lui faisions jouer.
Je savais pourtant qu’on ne renonce pas à un droit, à des droits, que ceux de l’enfance sont internationaux et ratifiés, qu’il est important qu’une date de naissance officialise la fragilité, la borne. Mais je savais aussi que d’une part, rien n’est plus facile à nier qu’une date de naissance, et que d’autre part, à sacraliser l’enfance, la minorité, on jetait de l’autre côté, avec quelle facilité, celui ou celle dont on jugeait qu’il ou elle n’était pas un•e enfant, ou qui finissait, du point de vue de la date, par ne plus l’être.
C’est alors que s’est ouverte la foire aux questions impossibles.
La foire aux réflexions qui ne servent qu’à en proposer de nouvelles.
L’enfance n’est pas fragile, ou n’est pas que fragile. On doit être protégé même quand on n’est pas fragile. C’est ce qui permettra de ne pas un jour être fragile.
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Je vis à la frontière basque, entre l’Espagne et la France. Au printemps 2021, la frontière est fermée, que franchissent malgré tout les personnes d’Afrique de l’Ouest quittant les îles Canaries. Si, depuis 2017, la route du Maroc, et de l’Espagne après le Maroc, est de plus en plus empruntée, elle est aussi de plus en plus dangereuse. Après les départs de Tanger et Nador, c’est de Dakhla ou de Laayoune, vers les îles Canaries, à travers l’océan atlantique, qu’on s’élance.
En 2017, de nombreux•ses mineur•es de Guinée, de Côte d’Ivoire, du Mali, arrivent en Europe, seul•es ou quasi seul•es.
En 2017, je suis occupée, à la frontière basque, non loin, dans un jardin extraordinaire. Un enfant arrive, avec lui la question de la protection de l’enfance.
La Convention internationale des droits de l’enfant (CIDE), qui pose que les enfants sont plus vulnérables que les adultes, est depuis 1989 le socle de toutes les actions visant à construire un monde digne pour les enfants. Cent quatre-vingt-quinze États ont signé cette convention. C’est le traité relatif aux droits humains le plus largement ratifié de l’histoire. Ratifié, pas appliqué. La convention engage les pays qui l’ont signée. Les enfants doivent, entre autres, être soigné•es, protégé•es, nourri•es, aller à l’école, ils et elles doivent être logé•es, ont droit à la famille et à l’amour.
Selon les différents contextes nationaux, la protection de l’enfance est organisée de manières différentes. En France, le ministère des Solidarités et de la Santé en est chargé, qui confie cette mission aux départements.
Les départements ont progressivement, les uns après les autres, les uns plus vite que les autres, oublié qu’il n’y a pas d’enfant étranger•ère, que si les étranger•ères et l’immigration dépendent du ministère de l’Intérieur, les mineur•es doivent être entendu•es et protégé•es avant toute autre considération.
L’article 51 de la loi asile immigration du 30 janvier 2019 durcit les choses, impose un fichier national afin qu’un•e mineur•e non reconnu•e tel•le par un département ne puisse plus l’être dans un autre, c’est une nouvelle entame à la convention citée précédemment, qui s’opposait à toute discrimination. Il semble que ce fichier introduise une sacrée différence entre enfants français•es et étranger•ères, par le fichage lui-même, aussi par un glissement assez subtil : les enfants étranger•ères ne dépendent plus des départements comme les autres enfants, mais d’une entité qui fait communiquer les départements entre eux. Une entité, comme l’État, mais qui n’est pas l’État.
Depuis des années déjà, les départements emploient des associations afin qu’elles évaluent la minorité des jeunes, elles le font en recourant à des grilles de lecture qui se veulent rationnelles – là où la raison ne vaut pas. Je ne parle pas ici des nombreux cas d’évidente mauvaise foi : « ce jeune n’est pas mineur car il a prouvé par son parcours qu’il n’avait pas vécu des choses que vivent les mineurs ». Cette mauvaise foi n’est peut-être, après tout, comme le disait un jeune, qu’une espèce de manque d’imagination.
Les évaluations sociales consistent à épingler le parcours pour retrouver dates, années d’école, cohérences, consistent à piéger ou à demander à l’enfance de répondre d’elle-même, ce que justement elle ne sait pas faire, pour tout un tas de raisons : l’enfance, c’est une course, une échappée, elle devient, elle se croit, elle se fait, elle n’est pas faite pour donner, de loin, d’un ailleurs où elle n’est pas, la preuve d’elle-même. Être évalué•e enfant, c’est forcément être objet du soin (de l’attention, du regard) de l’autre. Ce n’est pas moi qui dis que j’ai besoin. Moi je dis que je suis fort, soldat, héroïque, puissant, les autres voient bien ce dont j’ai besoin puisque je dors dehors, n’ai pas de parents, n’ai pas fait d’études, etc. L’évaluation sociale consiste à trouver des critères objectifs pour finir par une vague impression : on dirait un•e mineur•e. Ou : on ne dirait pas. Il ou elle a des rides. Il ou elle a l’air costaud•e.
Évaluation sociale, ça ne va à personne, on continue avec les papiers, et c’est de plus en plus absurde, il y a cette course ou chasse aux papiers, c’est-à-dire au jugement supplétif parce que personne ne croit un extrait d’acte de naissance guinéen et de toute façon, souvent, les jeunes n’ont pas été inscrit•es à la naissance dans un registre d’état-civil. C’est donc la chasse ou la course à un document que personne ne prendra pour un document authentique, on a fait appel à un•e ami•e d’ami•e, à un frère de père, de mère, pour obtenir ce jugement dont on a tellement besoin, on le fait certifier de plus en plus, une fois deux fois trois fois, par les ministères et les ambassades, et la preuve multipliée vaut preuve nulle, retour case départ.
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Pas de problème, dit le cheval de Belleville, grimpe. On va faire le chemin avec toi.
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les chevaux sont placides, c'est que ce sont les chevaux des flics: placides. Jusqu'à celui-ci, qui se prend pour une girafe ou se trompe d'histoire. Il se cabre placidement mais sûrement. Il veut manger les feuilles d'acacia à la cime des arbres devant le café. Il se cabre et arrache les plus hautes feuilles. Le policier gigote, veut rétablir, dégringole.
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C'est une histoire de haut en bas et de bas en haut. C'est une histoire qui grimpe à l'échelle des histoires et en descend tout aussi vite.
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grand déferlement tragique et prochain des eaux du fleuve rouge, du fleuve grand-père. Troie sera vaincue.
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J’ai fait un rêve, une grande roue tournait, celle d’un manège jamais emprunté et dessus, dans une sorte de balancelle qui surmontait un monde où les catastrophes s’étaient succédé sans qu’on les vît ni pût les nommer (dans ce monde de catastrophes poussaient des pommiers gigantesques, aux fruits douceâtres), dans la balancelle une petite fille de six ou huit ans, une chose écorchée dans les bras, poupée ou chiffon, tournait
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Le psychiatre préféré de Franco, le Dr Vallejo, justifiait l'enlèvement d'enfants à leurs mères républicaines et à leurs pères républicains, puisque la république, le communisme et l'anarchisme, ça se transmet, comme la colère, de mère ou père en fils et filles.
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L’exil justifie l’exil, la dispersion la dispersion, on n’exile jamais, sous prétexte de les protéger, que des exilés
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le danger des enleveurs qui veulent les prendre au Christ, les donner aux tueurs du Christ, les ravir, les kidnapper pour peupler Sion et casser des cailloux
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les feuilles du yucca éléphantesque
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Le Figaro demande que « les Polonais interlopes et les Valaques de fantaisie soient passés par les armes devant le peuple rassemblé
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Pendant que les obus versaillais dévastaient Paris […] Thiers déclarait à la France qu’il n’y avait pas de bataille. Pas de bataille réelle. Sans doute les ambulances versaillaises faisaient-elles semblant de se remplir de blessés, sans doute les enterrés versaillais faisaient-ils semblant d’être tués, lui répondait Rochefort ». Et les intellectuels alors ? « Il nous faut exclure du champ poétique les Dumas, Sand, Flaubert, Gautier, Du Camp. Il faut croire que les mythologies créées à grande force de peur bourgeoise et de culture antique grimacent affreusement
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Je sais que je dois, au fur et à mesure des audiences, éviter de m’habituer. Il est facile de se protéger ; malgré soi on résiste à l’émotion. On adopte, sans la décider, contre l’émotion, une sorte de fermeté. Le témoignage serait une forme supportable d’action, de réaction. Je me mets en garde. Ce n’est pas suffisant. Je me mets. Ce n’est pas suffisant. Je me mets en garde au fur et à mesure des audiences. De semaine en semaine, ne pas s’habituer
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a propos de Socrate:
Le testament qu’il laisse à ses amis est celui-ci : ayez souci de vous-mêmes, occupez-vous de vous-mêmes. S’occuper de soi-même, c’est être capable de se demander ce que fabrique son âme et comment elle se lie à la vérité
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« Il faudrait donner un nom à chacune de ces personnes, rétablir la chaîne des responsabilités. Trouver les noms de chacun des membres des escortes, des pilotes d’avion, des médecins qui établissent des certificats médicaux, des gendarmes qui donnent le signal à l’avion de décoller. Etablir une sorte de tableau des responsabilités, un tableau de listes des tâches qui mènent à ce que des enfants soient emportés et que des parents s’évanouissent au seuil de l’embarquement
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Personne ne savait encore comment se passerait l'aventure mais voilà, c'était possible. Ce n'était pas facile, mais c'était possible qu'un village dise : oui, nous pouvons offrir un moment de répit à des personnes qui sont sur les routes depuis des années, avec un but – qui est d'ailleurs plus un nom qu'un but : Angleterre. Qu'un village propose : ils sont dehors, on a ici de quoi loger, alors oui, bien sûr, les peurs, vécues de loin, bien sûr. Mais quoi, dans le réel ? Comment ça marche, en vrai ?
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L’homme en grande fragilité prétend au ciel, aux mers, aux routes, en même temps il installe devant les villes de quoi se rappeler qui il est, de quel savoir de lui-même tout dépend, sa santé et celle des villes. Ce qu’on n’avait pas prévu, c’est que les mers, faute de passages navigables, se transforment en cercueils
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« Il faudrait donner un nom à chacune de ces personnes, rétablir la chaîne des responsabilités. Trouver les noms de chacun des membres des escortes, des pilotes d’avion, des médecins qui établissent des certificats médicaux, des gendarmes qui donnent le signal à l’avion de décoller. Etablir une sorte de tableau des responsabilités, un tableau de listes des tâches qui mènent à ce que des enfants soient emportés et que des parents s’évanouissent au seuil de l’embarquement ».
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