"Chaque année, 100 000 personnes sont internées en France" : c'est en ces termes que s'ouvre le tout premier livre de Marius Jauffret, "Le fumoir". Partant de sa propre expérience d'internement sous contrainte (une HDT, hospitalisation à la demande d'un tiers) pendant dix-huit jours dans un asile, l'écrivain en herbe porte la voix de tous ces exclus de notre société qui se retrouvent internés contre leur consentement.
C'est aussi une exploration des conséquences sociales et familiales de la maladie psychiatrique qu'explore Gringe dans son premier livre, "Ensemble, on aboie en silence". Il avait déjà évoqué la schizophrénie de son petit frère Thibault dans une de ses chansons, "Scanner".
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Aujourd’hui je bois pour échapper à cette impression de mort imminente. Pour m’extraire du monde extérieur, au moins jusqu’au lendemain.
(…) La plupart du temps, boire m’évite de subir mes cogitations de plein fouet. Elles se font plus vagues après quelques verres.
(…) Boire n’est pas un loisir. Boire est une nécessité sans saveur. L’alcool m’apporte une sérénité qu’il m’est impossible de trouver dans la lucidité, qui charrie inévitablement avec elle toutes les horreurs et les injustices de la société. Des injustices que j’absorbe et métabolise en acide sulfurique.
L’asile, c’est le miroir grossissant de la société, une loupe gigantesque.
L’asile est probablement le seul endroit où l’on s’étonne d’envier le prévenu qui peut plaider non coupable devant une cour d’assises.
Mais moi, le dépressif, l’excessif, le jouisseur solitaire, le handicapé social, je ris, je pleure, j’exulte, je me morfonds, je suis en haut de l’échelle ou au fond du puits, mais je suis vivant. Et j’ai le droit de vivre. Je ne suis pas une construction rectiligne.
En psychiatrie, le doute ne profite pas au malade. Il est frappé par la mesure de prévention.
La solitude est supportable lorsqu’elle est choisie. Ce qu’affectionne le solitaire, c’est davantage la « possibilité de sortir » que la sortie.
J’ai l’habitude d’être aussi agréable à regarder qu’un cafard qui tombe du plafond de la cuisine. En société je suis la bête de foire, le pauvre type. Lors des dîners, je m’écroule sous la table, je raconte ma vie intime, je hurle. C’est un crime contre moi-même. Je dois me défendre. Je suis un multirécidiviste. Je réclame un procès contre moi-même afin de satisfaire mes victimes.
— Vous le récupérerez demain.
— Mes personnages vivent maintenant, demain ils seront morts...
Quand on souffre, on est injuste avec ceux que l’on aime. La maladie n’étant pas vue comme une maladie, elle attire les foudres de ceux qui ne sont jamais passés par là. Un verre ou deux et vous êtes un homme libre, un bon vivant. Une bouteille et vous êtes un monstre, votre but est de véhiculer le mal. Vous avez bu parce que vous vouliez boire, et vous vouliez boire pour faire souffrir les autres. Jamais personne ne se dira que si vous avez trop bu c’est que vous ne pouviez pas faire autrement. Que boire trop peu vous fera tomber dans l’abîme du manque.
— Je crois que votre clairvoyance vous sauvera, dis-je avec emphase pour ne pas paraître trop terre à terre face à ses accents de poète maudit.
— Il faut en finir. Le moment venu. S’assommer. Ou se tuer. S’assommer pour se tuer, conclut-il, presque satisfait d’avoir trouvé la formule qui correspond le mieux à son cas.