Mary Amato

- Je crois que chaque âme vibre à une fréquence différente. Un peu comme si c'était une signature. Et du coup, je pense que l'âme cherche autour les sons qui ont la même fréquence qu'elle. D'après moi, les vibrations de mon âme sont en accord avec celles de la guitare, ce qui explique que je me sente aussi bien quand j'en joue.

Qui veut entendre la vérité ? Personne.

Qui veut entendre la vérité ? Personne.

- J'ai discuté avec ta prof de maths ce midi, continua sa mère. Elle ne t'enlèvera que deux points si tu rends ton devoir d'été avant la fin de la semaine.
- J'ai discuté avec Dieu aujourd'hui. Il ne t'enlèvera que deux points si tu confesses tes péchés et si tu me rends ma guitare.

Cabane dans l’arbre ; 13h31
Depuis son perchoir, Tripp entendit un bruit de pas approcher. Lyla apparut au pied de l’arbre.
Il se pencha par la fenêtre, tout joyeux.
- Hé-ho ! s’écria-t-il. J’ai apporté du chocolat et des nouvelles très croustillantes.
- - Ah oui ? Croustillantes dans le sens positif ou négatif ?
- Un peu les deux. Monte, je vais te raconter.
- Tu es là depuis combien de temps ? demanda-t-elle en gravissant l’échelle.
- Deux jours. Non, je rigole. J’essaie de rester le moins possible à la maison. L’air y est pollué.
Il poussa la guitare pour faire de la place à Lyla.
- Moi aussi, j’ai besoin d’air pur, reconnut-elle. C’était horrible hier. Annie et moi, on va ensemble au MYO, alors même si on est fâchées, on a dû faire comme si de rien n’était dans la voiture. Et ce midi, mon père n’a pas arrêté de me parler de l’audition de Coles. Je mourais d’envie de lui dire que je ne veux plus y aller, mais c’est impossible. Je n’en peux plus. Après, en venant ici, je me suis rendu compte que la situation de la cabane n’allait pas durer longtemps. Il va bientôt faire trop froid, on aura les doigts gelés et on ne pourra plus jouer. Et puis ta mère va t’envoyer à Crenshaw et …
Tripp l’interrompit.
- Alors, pour commencer, on va avoir un automne et un hiver exceptionnellement doux, donc nos doigts ne gèleront pas. Ensuite, je vais travailler et décrocher de bonnes notes pour ne pas aller à Crenshaw. Toi, tu vas annoncer à ton père que tu ne veux pas passer l’audition de Coles. Et enfin…
- Je ne peux pas.
- Bien sûr que si. Et enfin, disais-je, la grande nouvelle…
Il mima un roulement de tambour sur la guitare.
- On a un concert !
- Quoi ?
- Ecoute.
Il sortit son téléphone pour lui lire un e-mail.

Hou la menteuse, la vilaine tricheuse ! Tu joues de la guitare en diffusant du violoncelle pour cacher ton crime

Tripp n'arrivait pas à croire qu'il venait d'accepter d'enregistrer sa chanson pour la lui faire écouter. Il s'écarta de l'ordinateur et jeta un coup d’œil sans le miroir. Oui, c'état bien ce qu'il pensait: il avait vraiment une tête de dingue.

Le coeur immense et généreux de Tripp avait jailli de sa cage de colère pour témoigner sa compassion à la Termite désespérée. Il espérait simplement qu'elle s'en souviendrait.

Il avait l'impression que la lettre était vivante, comme un petit oiseau au cœur battant. Il la relut en osant à peine respirer ; ses yeux s'attardèrent sur les mots "désolée" et "père". Lyla Marks avait senti qu'il avait besoin de les entendre, alors que lui ne le savait même pas.

Cher Tripp,
Je sais que tu vas être furieux, mais tu n'as pas respecté ta part du contrat. Tu n'as pas avancé dans tes lectures cet été, ni fait ton devoir de maths. Tu es resté cloîtré dans ta chambre à jouer de la guitare. On dirait que tu ne peux plus t'en passer, que c'est devenu une vraie drogue. C'est malsain et ça te coupe du monde. Tu es capable d'obtenir d'excellentes notes. Si tu n'obtiens que des A pendant le premier semestre et si tu fais des efforts pour être un peu plus sociable, tu pourras récupérer ta guitare.
Bisous,
Maman

« Cher Impair, Encore merci pour ta sagesse et tes explications. Pour moi, un vrai musicien, c’est quelqu’un qui partage sa musique. Quel intérêt de vibrer si tu ne sors jamais de cette petite pièce ? Je trouve ça magnifique et profond de pouvoir interpréter sur scène les notes écrites par Saint-Saëns; c’est ma façon d’apporter un peu de beauté au monde. Je considère ça comme un devoir ? Tout comme de jeter mes ordures à la poubelle. »

« Moi, chaque fois que je prends ma guitare, je joue. Je ne copie rien, je ne répète pas des airs que les autres trouvent beaux. Je joue ce que je ressens. C’est ce que je voulais dire en parlant de vibration. Quand les ondes de la musique résonnent dans ton âme, elles la font vibrer. Comme si tu étais en accord parfait avec les notes, comme si la musique et toi ne faisiez qu’un. C’est le seul moment de ma vie où je me sens bien. »

Chère Madame Pair,
Tu n’as pas compris ce que je voulais dire. Je parlais de ton enthousiasme, pas de ton talent. Tu copies et répètes les notes écrites par quelqu’un d’autre il y a très longtemps, mais tu n’es pas vraiment là. On dirait un robot. Dis-moi si je me trompe. […]
Moi, à chaque fois que je prends ma guitare, je joue. Je ne copie rien, je ne répète pas des airs que les autres trouvent beaux. Je joue ce que je ressens. C’est ce que je voulais dire en parlant de vibrations. Quand les ondes de la musique résonnent dans ton âme, elles la font vibrer. Comme si tu étais en accord parfait avec les notes, comme si la musique et toi ne faisiez qu’un. C’est le seul moment de ma vie où je me sens bien. Je sais que M. Jacoby ne me considère pas comme un vrai musicien parce que je ne fais pas partie ni de la fanfare ni de l’orchestre, mais pour moi, un vrai musicien, c’est quelqu’un qui vibre.
Impair.

Cher Monsieur Impair,
J’ai menti. Tu m’as prise de court en me demandant si ça me rendait heureuse de jouer du violoncelle. Personne ne m’avait jamais posé cette question, et ça m’a fait réfléchir. Je n’ai pas été honnête avec toi. La vérité, c’est que je ne suis pas heureuse.
Quand j’ai joué en solo devant les autres élèves, j’avais l’impression d’être un robot. J’ai joué les bonnes notes, et toute la journée on n’a pas arrêté de me complimenter. Mais quelque chose clochait, même si je refusais de l’admettre. Et puis j’ai lu ta lettre. Ton concept de vibration est intéressant. Je ne crois pas vibrer beaucoup en ce moment. J’ai envie d’arrêter le violoncelle, mais je me sens coupable.
Mme Pair.

Elle n’arrivait pas à savoir si elle se sentait mieux ou moins bien. Après avoir reposé papier et stylo, elle joua des gammes à la guitare jusqu’à la fin de la pause déjeuner. Puis elle courut glisser le message dans le casier de Tripp tant qu’elle en avait le courage.

Extrait de la correspondance par petits mots entre Lyla et Tripp au début…
Cher Monsieur Impair,
Pardonne-moi d’avoir pris tes accords pour des ordures. Cela dit, avec ta serviette roulée en boule, tu avais également laissé un papier de bonbon sur le pupitre. Je pensais avoir des ondes enjouées, pas des ondes négatives. Enfin, tu peux bien te moquer de moi et de mes « ondes » tant que tu veux : je suis peut-être maniaque, mais au moins je respecte les autres. Nettoie tes poubelles, et je ne t’embêterai plus avec mes « petits messages ».
Mme Pair.

Chère Madame Pair,
Tu es connue pour être absolument parfaite. Notes parfaites. Comportement parfait. Allure parfaite. Présence parfaite. Déléguée de classe parfaite. Violon celliste parfaite. Même ta meilleure amie est parfaite et joue parfaitement du violon. Un jour, je t’ai entendu éternuer. Et ça aussi, c’était parfait.
Je me pose donc une question : pourquoi te mettre dans tous tes états pour des bêtises ? Combien de temps ça t’a pris de jeter mes affaires ? 3 secondes ? 3 secondes et demie ? Et combien d’énergie négative as-tu gaspillée à te mettre en colère contre moi ? Ça t’a servi à quoi ? Pourquoi ne t’es-tu pas plutôt inspirée du papier de bonbon pour écrire une chanson ? Ça, ça aurait été une réaction positive. Je vais peut-être en écrire une qui s’appellera « Les mauvaises ondes ».
M.Impair

Le sol était froid sous ses pieds, de la buée se formait devant sa bouche. Pas de lune. Pas d'étoiles. Tout était noir. Pourquoi lui enlevait-on tout ce qu'il aimait ?