Citations de Mathilde Levesque (46)
Pas un jour sans qu’un employé se taise devant les improbables injonctions de son patron. Sans qu’une femme perde, sous le coup d’humiliations ponctuelles ou répétées, sa confiance en elle. Sans qu’un timide abandonne, baisse les bras, face à une société où les dominants tiennent à leur place.
Ce livre s’adresse à eux, et plus généralement à tous ceux qui croient qu’on ne peut rien y faire. Que c’est comme ça.
Il est en réalité toujours possible d’agir : c’est en sachant décrypter les stratégies de l’autre que vous pourrez sereinement vous positionner et vous protéger.
Se faire respecter ne doit pas être un idéal inaccessible, ni rester l’apanage des puissants ou des violents. C’est, aussi, un art qui s’apprend, notamment à travers le discours.
Si les mots des autres vous paralysent, vous apprendrez à les dompter.
Si vous avez aussi peur de vous-même que du monde, vous déciderez de vous connaître pour mieux être inaccessible aux autres.
Si vous avez la riposte violente et colérique, vous accepterez de respecter l’autre pour devenir à votre tour respectable.
Si vous savez lorsqu’on manipule mais que vous n’arrivez jamais vraiment à savoir comment, vous pourrez désormais nommer et identifier la moindre stratégie de votre interlocuteur.
Si vous avez l’impression que vos adversaires vous écrasent, vous vous amuserez à en faire des partenaires et vous appuierez sur eux pour avoir le dernier mot.
Si, justement, vous aimez avoir le dernier mot à tout prix, vous accepterez parfois de choisir le silence.
Enfin, si vous craignez les paradoxes, vous vous ferez un plaisir de vous montrer à la fois cohérent dans les valeurs que vous défendez, et imprévisible dans la manière de le faire. Vous deviendrez, au sens propre comme au sens figuré, insaisissable.
Se protéger face aux multiples manipulations et agressions est, hélas, une nécessité. Mais se préserver n’est rien si on le fait sans dignité. Garder la tête haute, c’est d’abord ne pas avoir à baisser les yeux. Ni face à l’autre, ni face à soi-même.
– Madame, je peux vous rendre ma copie ?
– Deux secondes, je ne suis pas Shiva.
– Vas-y elle m'a dit «va chier» la prof là ou quoi ?
– Madame ça s'écrit comment «à part» ?
– h-a-p-a-r-e
– Mais vous êtes vraiment complètement ouf.
–Madame, s'il-vous-plaaaaaaît !!!!
–Non mais je vous fais déjà une fleur là, donc ça suffit !
–Oui ben merci d'enlever les épines, hein, madame !
–Je croyais vous avoir déjà dit que je ne voulais JAMAIS entendre de propos à caractère homophobe.
–Nan mais...
–Non mais rien du tout. Ça fonctionne exactement comme le discours raciste. Vous savez, la peur de l'homosexuel, c'est exactement comme la peur du Noir.
–Euh madame, par contre, moi j'ai pas peur du noir, je dors même la lumière éteinte.
Et le cours reprit le plus naturellement du monde.
–Mais madame, c'est quoi un acte indirect de langage ? J'ai pas bien compris.
–Si je regarde la porte, ça veut dire quoi ?
–Que je suis viré.
–Ben voilà.
–Oui, enfin en général, vous êtes plus directe par contre.
–Madame, c'est quoi un palindrome ?
–LOL
–Mais j'ai dit quoi encore ?
–Non mais «LOL» est un palindrome.
–Hein ?!
- Donc, vous voyez, ça c'est ce qu'on appelle un 'incipit in media res' : autrement dit, le lecteur est projeté dès le début du livre dans l'action, sans préambule. Là, en l'occurrence, on arrive au beau milieu d'une dispute.
- Ouais ben moi j'appelle ça l'incruste.
[ J'en profite pour vous souhaiter une bonne incruste en 2018, au beau milieu d'une tempête - pluie, grêle, vent, orage sur le 44 ! ]
- Alors vous voyez, c'est à ce moment-là qu'il a sorti son laïus.
- Sérieux madame, devant tout le monde et tout ?
- Euh, nous sommes bien d'accord que ça n'a rien à voir avec l'exhibitionnisme, hein ?
- Ah. Ben chais pas ç'que c'est, un laïus, alors.
(p. 114)
♦ Où j'ai pu constater que l'autosatisfaction remplace aisément l'appréciation du prof...
- Madame ! Voltaire, c'est l'inventeur des volts ?
- Ça suffit !
- Nan mais avouez, Voltaire, les volts, le siècle des Lumières, tout ça ! Chuis trop fooooooorte !
En mon for intérieur, j'avouai.
(p. 79)
- Madame, ça veut dire quoi 'hétéroclite' ?
- Eh bien réfléchissez. Alerte étymologie !
- Bon ben 'hétéro', c'est-à-dire bon ben 'pas homo', et 'clite' bon ben 'clitoris' quoi. Mais j'arrive pas à voir le sens global...
- MOI NON PLUS !
(p. 125)
- Bien, alors à votre avis, pourquoi appelle-t-on les Académiciens les Immortels ?
- Parce qu'ils ont pas de vie !
(p. 78)
[ mise au point en début d'année scolaire ]
- Pour des raisons que vous comprendrez facilement, toute insulte à caractère racial ou discriminatoire sera lourdement sanctionnée.
- Mais madame, c'est genre normal. Vous c'est 'Flûte' ou 'Que nenni'. Nous, c'est 'Wesh PD', mais c'est pas méchant, quoi.
(p. 16)
(On frappe à la porte)
– C’est ouvert !
– Euh… Un extraterrestre, Madame ? (kakemphaton)
Vas-y, wesh, fais pas ta Bovary ! (antonomase)
J’ai le seum’ mais de nouvelles baskets. (zeugma)
T’as vu, mec, me poser tranquille et choper des meufs, c’est tout ce que je vais faire pendant les vacances – et préparer le concours général de maths. (hyperbate)
Madame, vous ne pouvez pas décaler le devoir à vendredi, enfin au moins à demain, quoi ? (épanorthose)
Madame, vous ne pouvez pas décaler le devoir à vendredi, enfin au moins à demain, quoi ? (épanorthose)
Dans le cadre de mes études, puis de mon enseignement à l’université, j’ai d’abord été du côté de l’exercice : l’un des cours que je devais assurer pendant six mois s’intitulait même « Les figures de style ». Véritable détecteur de métaphores et autres euphémismes, je disséquais les textes et j’apprenais à mes étudiants à faire de même.
Et puis il y a eu le lycée, en Seine-Saint-Denis. La rhétorique était dans la rue, et j’en prenais conscience pour la première fois, en découvrant la puissance de ce qu’on appelle le « bagou ». Comme Aristote l’avait pressenti, il n’était pas nécessaire d’avoir lu la Rhétorique pour être un as des figures de style. Cela m’a semblé d’excellent augure pour mes élèves, parfois méfiants à l’égard du cadre scolaire, mais néanmoins passionnés au quotidien par l’évolution de la langue. Car enseigner dans le 93, c’est aussi avoir la chance d’évoluer dans un incroyable vivier linguistique et de penser à autre chose qu’à « l’obscure clarté qui tombe des étoiles » pour illustrer l’oxymore et au discutable « va, je ne te hais point » pour la litote.