Citations de Maxime Rovere (208)
Les cons, vous le savez, ont un don inimitable pour explorer tous les cas de figure avec la minutie des gaz parfaits. Tous ne sont pas des hors-la-loi ; certains, en se montrant procéduriers ou opportunistes, savent au contraire se placer du côté de la loi, si bien qu’ils sont aussi habiles à exploiter le fonctionnement du système que ses failles et ses angles morts.
Être dans son droit, remarquez-le, n’est pas un état de fait, c’est une revendication. Si vous estimez être dans votre droit dans la file d’attente avec la même évidence que vous êtes un bipède, vous devrez admettre que la vie quotidienne des humains se déroule généralement de cette manière-là et qu’ils sont dans leur droit dans presque tout ce qu’ils font (respirer, tousser, être un con, etc.).
Il ne s’agit plus, cette fois-ci, de travailler à l’accomplissement humain en général, mais simplement de faire respecter un droit dont vous avez une idée tout à fait précise. Néanmoins, si le mot « droit » s’utilise facilement, il s’agit d’un concept très lourd ou, pour être plus exact, d’un domaine où les évidences sont rares.
En tout ce qu’ils appellent la « politique » ou la « religion », les cons sont tellement convaincus qu’ils en deviennent fébriles. Chez n’importe qui, la conviction apporte la force, le calme et la stabilité. La leur les rend fragiles à l’extrême.
En ce sens, le Ciel des Idées où nous évoluons n’est rien d’autre que le miroir de nos tripes, qui s’épanchent encore et encore entre gens de bonne compagnie – sous une forme plus distillée et plus subtile que le meilleur whisky – jusqu’à plus soif.
Le grand défi moral ne consiste pas à rendre la connerie plus savante, mais, plus modestement, à empêcher les cons de nuire dans la pratique.
Pensez qu’en musique, une mélodie offre un fil narratif sans qu’il n’y ait absolument rien à comprendre. L’essentiel est de considérer ceci : partout où il y a un con, vous ne pouvez faire autrement que de renoncer à une communication de type classique (en particulier conceptuelle) ; le plus efficace est d’ouvrir en urgence votre confessionnal. Les cons souffrent, nom d’un chien ! Même si leur langue n’est pas la vôtre, laissez-les vous expliquer de quoi. Bien entendu c’est un peu répugnant, ennuyeux à mourir et vous n’avez même aucune envie de leur venir en aide. Mais personne, même pas eux, ne vous demande de régler leurs problèmes.
On ne peut surmonter le feu d’artifice que nous offre la connerie humaine qu’en renonçant une bonne fois à la conceptualisation (c’est-à-dire aux jugements) pour se fier tout entier aux pouvoirs de la narration.
On ne peut briser le cercle du moralisme, qui tourne autour d’une confiance à jamais perdue, qu’en reconnaissant le sermon comme un chant de deuil qui fait suite, justement, au naufrage interactionnel.
La personne qui vous fait la morale est, en réalité, en train de se lamenter de sa propre impuissance. En effet, elle essaie de vous faire reconnaître sa capacité à inspirer confiance là où elle l’a elle-même perdue (en réalité, vous l’avez perdue tous les deux dans le naufrage interactionnel).
Ici, je veux d’abord noter comment elle permet d’écouter d’une oreille paisible ceux qui vous infligent des leçons de morale. En effet, la réaction la plus courante, la plus naturelle et la moins efficace qui soit, consiste à vous défendre de la faute qu’on cherche à vous imputer. Car les cons adorent culpabiliser les autres. Or, en tâchant de vous justifier, vous commettez à votre tour un nombre d’erreurs si phénoménal que je renonce à les exposer – mais admettez au moins ceci : au moment de balbutier vos justifications, vous ne savez même plus à quel système de valeurs (le vôtre ou le sien) vous vous référez. Je pourrais montrer que vous faites fausse piste dans les deux cas ; mais pour aller vite, je vous en supplie, arrêtez ! Vous assimilez (ou feignez d’assimiler) le système que le con cherche à vous imposer, alors qu’en vérité, les cons de système n’ont pas de système – ils ne respectent aucune cohérence!
Lorsque vous le considérez (et en général, vous le considérez un peu trop), tout ce qu’il y a d’humain en vous – le cœur, l’esprit, l’âme rationnelle, les intestins et l’épiderme hérissé de frissons – vous indique que cet acte, un être humain ne doit pas l’accomplir, au moins dans la situation qui vous occupe. Ce faisant, vous sentez s’affirmer en vous des valeurs morales que vous souhaitez faire partager. La leçon de morale (implicite ou explicite) que vous donnez est donc un appel à la reconnaissance de ces critères. Pourtant, à bien y regarder, cet appel est un cri d’impuissance, car vous supposez (sans vous en apercevoir) des conditions qui correspondent précisément à celles qui ont été perdues. On peut admettre, bien sûr, que le sermon vise à attirer l’attention de l’interlocuteur pour que celui-ci agisse, à l’avenir, avec plus de soin et une meilleure conscience des conséquences morales, politiques, économiques, écologiques, etc., de ses actes. Mais il existe bien d’autres manières pour encourager les autres à faire ou ne pas faire.
Entre vous et moi, même si vous n’aimez pas ma voix ou que votre manière de vous gratter me gêne, nous pourrons tout de même nous écouter. Avec les cons, c’est différent. Par un effet de flux et reflux, le con essaie à toute force de vous soumettre à son pseudo-système en détruisant le vôtre ; et c’est justement parce que c’est là sa langue (si on peut appeler ça une langue) qu’en général il souffle, il tremble, il beugle, etc., et vous provoque, vous irrite, vous outrage par tous les moyens – et même, à l’occasion, pérore à tue-tête et vous explique la vie d’un ton pontifiant.
Pourquoi les cons ne veulent-ils pas négocier ? Parce qu’ils ne reconnaissent en vous aucune espèce d’autorité. Mais, direz-vous, pourquoi refusent-ils que nous nous soumettions ensemble, en égaux, à l’autorité supérieure de la raison ?
Les êtres humains ne sont pas toujours cons par erreur, par hasard, par défaut ou par excès, du fait des circonstances et pour ainsi dire malgré eux. Il y a des cons de système.
Et même si vous voulez bien reconnaître qu’il y a une différence entre le bien et le mal ou si vous admettez qu’il y a une manière souhaitable de réguler les comportements humains, ce n’est quand même pas un pareil abruti qui va vous enseigner la morale puisque, en l’occurrence, c’est lui qui s’assoit dessus.
À force d’obstination, les cons ont réussi à nous faire prendre les pieds dans les principes fondamentaux de la morale. N’ayez pas peur ; l’une des garanties que vous n’êtes pas de leur nombre, c’est que vous appréciez le plaisir de penser.
En d’autres termes, son discours est construit pour cacher l’implication de celui qui parle, en ramenant la prescription qu’il formule (tu dois ou tu ne dois pas) à une autorité extérieure. Pourquoi cette posture moralisante doit-elle toujours se référer à quelque chose d’autre ? Tout simplement parce que la parole de celui qui parle ne suffit pas à établir ce qu’il dit comme un devoir véritable : celui qui le tient n’en a pas l’autorité puisque, aux yeux mêmes de son interlocuteur, en vérité dans cet instant c’est lui le con.
Lorsqu’une personne fait la morale à une autre, elle essaie de s’appuyer sur la capacité de l’autre à comprendre un certain nombre de règles et à les admettre comme valides, afin de lui faire reconnaître son acte pour ce qu’il est. Car si le con reconnaît qu’il a fait une connerie, alors par définition il cesse de l’être. En ce sens, la tendance à lui faire une leçon de morale n’est rien d’autre qu’un effort pour séparer le con (l’individu lui-même, entendu comme agent) de sa propre connerie (entendue comme l’acte).
On peut donc dire que la colère que les cons vous inspirent s’articule immédiatement à la représentation du devoir : ils créent une rupture entre ce qu’ils font et la manière dont un être humain accompli doit se comporter, au moins selon votre propre conception de l’humain. Pour l’instant, je ne vais pas discuter cette représentation, ni l’extension plus ou moins grande de votre humanité. Je voudrais d’abord mettre en valeur une certaine posture moralisante.