Je n'ai pas peint cela pour que ce soit compris, mais pour montrer à quoi ressemble un tel spectacle.
Dès son premier tableau, le jeune artiste aborde un genre - la peinture d'histoire - qui était d'autant plus hautement considéré qu'il passait à son époque pour le plus difficile. En effet, le peintre d'histoire devait non seulement maîtriser toutes les figurations possibles de l'espace, naturel et architectonique, mais également l'anatomie animale et humaine dans toutes les postures possibles. Mais le public jugeait le peintre d'histoire sur son aptitude à rendre par la physionomie et les gestes des personnages les "affects", autrement dit les sentiments, les émotions et les passions suscités par l'événement représenté.
Comment peut évoluer un artiste dont les jeunes années ont déjà vu la perfection et qui surpasse déjà, dans son époque de création initiale, les espérances de ses contemporains ?
L'éclairage remplit une fonction active : il met crûment à jour certains détails ou au contraire en dissimule d'autres dans la pénombre, non pas selon des critères objectifs ou empiriques, mais selon les mêmes impératifs de mise en scène que ceux qui s'appliquent aux personnages.
William Turner est l'un des artistes auxquels une longue période créative a été accordée. Il a travaillé sans relâche pendant plus de 60 ans. Rien que dans sa succession, on a trouvé plus de 19000 dessins et esquisses en couleurs... Aujour'hui encore, on peut avoir l'impression de voir pour la première fois en contemplant le monde de lumière et de couleurs des oeuvres de sa maturité.
Citation de William Turner = Je n'ai pas peint cela pour que ce soit compris, mais pour montrer à quoi ressemble un tel spectacle.
Tempète de neige : Hannibal traversant les Alpes avec son armée (1812)
Au dessus de quelques rochers éparpillés, on aperçoit une vallée et des pentes montagneuses qui se dressent sur la droite et vers le milieu...
Le cortège des Carthaginois n'est que vaguement ébauché en bas à droite. Au premier plan, une silhouette masculine repousse un guerrier qui lève son poignard sur une femme affaissée semblant inanimée. Quelques silhouettes sont accroupies ou couchées, épuisées, d'autres, cachées, observent les troupes, on voit des cadavres d'animaux. Les détails de l'armée en marche ne sont pas visibles. Ils se fondent dans l'événement global de la tempête de neige qui envahit tout.
On ne peut reproduire les œuvres de Turner. La meilleure reproduction ne fait qu'éveiller la curiosité pour l'original.
Ulysse se moquant de Polyphène (l'Odyssée d'Homère) - 1829
Polyphène en haut à gauche se distingue peu de son environnement ou se fond presque avec lui... Il faut regarder le visage du géant pour interpréter différemment la figuration rocheuse qui devient un cyclope menaçant.
Devant le navire, on voit des Néréides et autres poissons fabuleux...
Leurs silhouettes tranparentes semblent très artificielles, comme tissées de l'écume, de la lueur et des reflets de l'eau, à moitié figures, à moitié crête de lame scintillante.
On dit que Turner était ému aux larmes en contemplant un "Port de mer" de Claude Lorrain. Il semble que les tableaux de Lorrain lui aient fait découvrir les différentes manières de peindre la lumière. La clarté colorée, les dégradés de pastel, la concentration uniquement sur les effets de la lumière, le regard non dénaturé sur le soleil si souvent fixé par Lorrain lui semblaient inimitables.
La justesse et la précision du coup de pinceau ainsi que la délicatesse des coloris dans la perception objectivement illustrable, qui marquaient l'œuvre précoce, se sont transformées en cours de l'évolution en une maîtrise artistique souveraine lorsqu'il s'agit de calculer l'interaction des couleurs et de la touche du pinceau tout en peignant rapidement.