Rencontre avec Michel Giard, à propos de son livre "Passeurs de mots" (Éditions de Borée - septembre 2017).
Lorsqu'ils acceptent de suivre leur oncle Jean Quesnel, libraire installé depuis de nombreuses années, Antoine, Marie-Françoise et Louis Giard sont loin d'imaginer ce qui les attend de l'autre côté de ces collines qu'ils n'ont jamais franchies. Outre la vie citadine, les trois enfants vont découvrir le monde des livres, à une époque où soif de connaissance rime avec émancipation. Antoine apprendra le métier en commençant par le colportage. Il va sillonner le pays et lire les nombreux ouvrages qu'il est censé vendre, romans d'aventures, almanachs et autres titres de la Bibliothèque bleue. Quelques années plus tard, en épousant Bernardine, elle-même fille de libraire, il va perpétuer la tradition familiale, qui sera reprise par son propre fils.
Ecrivain éclectique, Michel Giard a déjà publié une soixantaine d'ouvrages. Historien, chroniqueur radio, conférencier et grand voyageur, il se passionne pour les aventures humaines. "Passeurs de mots" est son second roman aux éditions de Borée.
+ Lire la suite
en revenant près de Jean Quesnel et d'Antoine Giard, le colporteur prit conscience que la nature humaine était immuable, que les hommes étaient toujours capables d'alterner le meilleur et le pire. (...)
-Veux-tu que je te prête un ou deux livres ? lui demanda Jean. Tu vas t'occuper l'esprit, éviter de ruminer ta rancoeur, apprendre de nouvelles choses et connaître les nouveautés de l'année. La lecture, en compagnie de Voltaire, de Cartouche ou de Mandrin, est un formidable voyage dans le temps et une interrogation sur notre histoire...
- Et sur notre justice ! (...)
-Oui, tu as sans doute raison, Jean, un bon livre me permettra de rêver d'un monde meilleur et d'oublier mes tracas. (p.212)
Moulins : même si le Cotentin ne compte pas de grands cours d'eau, ses rivières faisaient tourner plus de 1200 moulins au XIXème siècle ...
A l'auberge, entre maîtres colporteurs et jeunes apprentis plus ou moins confirmés, la conversation glissa sur les oeuvres de Voltaire, qui avait toujours eu des problèmes avec la justice. Son Dictionnaire philosophique portatif, paru l'année précédente à Londres, avait été condamné par le Parlement de Paris. Il allait à nouveau circuler sous le manteau. Le philosophe s'était régalé en écrivant cette série d'articles qui abordaient ses sujets de prédilection : le fanatisme, la superstition, les erreurs judiciaires, l'injustice sociale. Comme beaucoup, les marchands de livres ambulants avaient apprécié ce courage dont Voltaire avait fait preuve lors de l'affaire Calas. Il aurait pu rester insensible aux malheurs de cette famille, au mépris dont faisaient preuve les magistrats, et se contenter d'écrire un nouveau conte ou une pièce de théâtre. (p. 195)
Antoine retrouva les routes qui l'emmenaient aux confins de la Hollande. Voltaire et les philosophes faisaient à nouveau beaucoup parler d'eux. - L'Encyclopédie- était interdite à la vente par décret royal. Qui allait oser le transgresser ? (p. 122)
Tu connais le métier de colporteur de livres mais, si tu veux devenir libraire, tu dois passer cinq années d'apprentissage pendant lesquelles tu restes célibataire. Tu en profites pour apprendre le latin. Un professeur ou l'université établiront un document justifiant de tes connaissances. Ensuite, tu pourras passer devant la Chambre syndicale pour obtenir ton brevet de libraire, qui te coûtera quelques centaines de livres; (p. 152)
-moi, je préférerais lire autre chose.
-Dans la Bibliothèque bleue ?
-Pourquoi pas !
-Ces petits livres s'adressent à tous les publics. Tu pourrais lire des romans de chevalerie. Tu aimes l'action, tu seras servi. A moins que tu préfères un ouvrage qui contribue à ton éducation, à soigner ton comportement dans tes relations avec des bourgeois ou dans ta propre famille. Tu pourras lire aussi des livres qui parlent des métiers. Si tu lis -L'Etat de servitude ou la misère des domestiques-, tu comprendras qu'il y a bien plus malheureux que toi. (p. 103)
De l'autre, il admirait cet oncle Jean, bien habillé, propre et poudré comme un barbier. Un oncle qui voulait lui ouvrir le monde fascinant des livres, de ceux qui les fabriquent, de ceux qui les vendent et, le plus important, de ceux qui les lisent. Le clan des élus, des privilégiés à qui les livres expliquent ce qu'il y a de beau, de recherché dans les grandes villes du royaume et à Paris, qui leur parlent des navigateurs, des explorateurs et de leurs découvertes. (p. 36)
Le Cotentin est un pays normand qui s'étend sur les deux tiers du département de la Manche. Baigné par la mer, il se caractérise par un climat très océanique et un paysage de bocage.
Au plus fort la pouque ...
Le colporteur de livres était bien considéré quand il poussait la barrière d'une ferme. Maîtres et serviteurs le regardaient comme un savant capable de signer son nom et de mettre sur un registre autre chose qu'une simple croix. Ce colporteur s'entourait du mystère des sorciers, il connaissait les plantes qui soignent, lisait dans le ciel et dans la course des nuages le temps à venir et l'humeur des gens. (p. 65)