Citations de Miklos Szentkuthy (32)
Comme les hommes sont maladroits! - ils sont fascinés à la fois par leur pays natal et par l'au-delà, ces élysées et ces nirvanas banalisés par tant d'élucubrations métaphysiques, ce qui leur donne l'illusion - apparemment indispensable - d'être quelque part. Pourtant, ni le monde véritablement réel ni celui qui relève de la pure fiction ne saurait faire leur bonheur.
Comme l'art exige une technique parfaite, l'amour ne saurait sans virtuosité accéder au bonheur divin.
«En histoire, dès lors qu'un phénomène mérite d'exister, il est déjà sur le déclin - telle est l'une des plus récentes découvertes. Pas de vie sans décadence. [...]»
Le sceptique profane ne veut ni de l'ermite du désert, ni du diplomate de salon, ni du ciel ni de la terre, seulement de la grisaille du civil.
«La neige est pure clarté : la neige est délicate douceur ; la neige distord ironiquement les formes. La neige signifie l'hiver, la mort de la nature, mais à la manière des romantiques : Stilleben des Todes. La neige est silence infini, discrétion, mutisme sacré, la neige est nirvana lunatique succédant à la foire des couleurs ; la neige est mystère, la neige est idylle [...]»
La pensée est une intention profondément humaine qui n'atteindra jamais son but ultime. L'homme est tentative grandiose, hypothèse hardie, approximation dionysiaque, sans solution finale, sans but et sans raison suffisante. Il faut tenir compte de tout cela quand on philosophe et éviter les barbaries vitalistes, les dentelles rationalistes, les théologisations aussi bien que les existentialistes autocrasteurs - ce sont là des modes, des extrêmes, des futilités de femmes ou des maladies d'hommes, car le cerveau est un simples instrument au fonctionnement imparfait, du reste, car il s'arrête à mi-chemin, et moud sans discernement toutes les graines.
Imaginez-vous un seul instant Casanova genevois! Non, pareille destinée amoureuse ne pouvait fleurir que dans le giron romain!
Venise n'est pas un «milieu» ni un décor pour amourettes, mais la passion même.
Financer des entreprises papales - passe-temps élégant certes - pouvait se révéler danger mortel.
[...] il serre sous chacun de ses bras une multitude de livres contenant le vin européen et combien hétérogène de la «vérité», que composent à parts égales - et sous forme de déchets - rationalisme grec, mathématiques arabes, morale talmudique et droit romain, ceci pour notre mort spirituelle et notre absurdité infinie!
L'histoire est du mythe dégénéré, une existence de papier sans contrepartie monétaire en métal précieux.
L'homme créé à l'image de Dieu ou Dieu créé à l'image de l'homme, n'est-ce pas ridicule - parce qu'inutile - ce combat de coqs entre deux conceptions?
On sait qu'au Moyen Age mathématiques et musique constituaient deux disciplines soeurs - des soeurs incestueuses! -, ce qui ne nuisait nullement ni à l'exaltation sentimentale et sensuelle de la musique, ni à plus forte raison à la rigueur enivrante, voire salvatrice, des nombres.
La réalité dépasse-t-elle la fiction ou la fiction exprime-t-elle la réalité?
Paysage, source toute musique? Temps, sylphide de l'écho?
Sans ces deux Muses, le chant peut-il éclore au minuit d'or de la Toscane?
Si l'homme et la vieillesse ont le mérite d'être univoques, la jeunesse apparaît bien comme un rêve horrible, dont on ne saurait déterminer l'élément le plus atroce - le rêve ou l'horreur? L'âge mûr se distingue essentiellement par son activité, et c'est là le plus négatif jugement que l'on puisse porter sur une pareille ignominie. Seule la vieillesse est vie - seul Tibère a vécu (à Capri), seul Tacite a vécu (avec Tibère), seul Sénèque a vécu (promenant son bouddhisme gras dans ses innombrables villas!) Fuyons l'insondable nullité des jeunes! Quant aux minus habens prétendument dans la force de l'âge, n'hésitons pas à les persécuter! Les vieux sont tout - lire et s'engraisser!
Nombreux sont ceux qui ont fait du faux-fuyant une forme d'art - Casanova, lui, transforme le mensonge en sport salutaire aussi bien qu'en art de vivre.
- Moi, je suis Olympe. La mère d'Alexandre. L'histoire ne sait qu'une chose, nous, nous une infinité.
Qu'est-ce qui peut intéresser l'homme durant sa vie terrestre? Soit les réalités matérielles directes, soit les choses surnaturelles que sont les différents «idéalismes» : philosophie, mythes, autant de remèdes au désespoir engendré par la «condition humaine». Bref, entre la réalité et son interprétation, il n'est point de troisième voie.
Jamais la danse ne fut autant la danse qu'au XVIIIe siècle. Milieu souverain, le bal oscille entre ébats dionysiaques et raffinement social. Quant à la robe de soirée, ne tient-elle pas à la fois du costume de prêtresse et de la réclame pour hétaïres?
La danse mêle en toute harmonie ;a noce et la gymnastique vestale. Si quelqu'un veut pénétrer l'amour européen - l'essence de son impossibilité aussi bien que l'éternelle volonté d'accomplissement qui le hante -, il se doit d'observer attentivement un couple de danseurs : le texte de notre tragi-comédie s'y lit en lettres criardes!