« - Moi, je suis Olympe. La mère d'Alexandre. L'histoire ne sait qu'une chose, nous, nous une infinité. » (p. 77) Je crois que cette citation réflète l'esprit dans lequel le Bréviaire de Saint-Orphée fut écrit, en particulier ce troisième tome, intitulé Escorial. Les livres et manuels d'histoire rapportent des événements. Mais,
Miklos Szentkuthy fait des liens que l'histoire n'a pas faits ou retenus. Il ne présente pas l'histoire de façon linéaire, chronologique ni même sensée. Il ne s'agit que d'une matière première, brute, qui devient un joyau. Il établit des liens entre le temps et l'espace qui échapperaient à plusieurs, crée une oeuvre originale, éclatée, intuitive. Telle que l'histoire aurait pu ou dû être.
Mais, même dans pareil cas, il faut tout de même commencer quelque part. le titre Escorial dévoile un peu l'intrigue, sinon l'espace géographique dans lequel il se déroulera : l'Espagne. En effet, le fameux complexe, synonyme de la grandeur et de la puissance des Habsbourgs, fut un palais, un monastère mais aussi une bibliothèque. Une des plus imposantes de son temps, comportant des ouvrages en plusieurs langues sur les sujets les plus divers. Un de ces lieux d'érudition parfaits pour une oeuvre comme le Bréviaire.
Et c'est là, précisément, que François Borgia tentera de perfectionner son savoir. J'ai lu beaucoup sur la célèbre famille de la Renaissance, essentiellement sur le patriarche devenu le pape Alexandre VI et sur ses quatre enfants les plus connus, Juan, Cesar, Lucrèce et Geoffroi. Je me doutais bien qu'ils n'étaient pas les seuls ni même qu'il n'y ait eu des petits-enfants, voire des arrières-petits-fils. Eh bien, l'un d'entre eux est François Borgia et, plus d'un demi-siècle plus tard, l'histoire tourne au gré de ses réflexions mais aussi, en tant que Grand d'Espagne, vice-roi de Catalogne et supérieur général des Jésuites, de ses missions, données tant par le pape que l'empereur.
Je trouve que, jusqu'à maintenant, Escorial est le tome le plus facile à suivre du Bréviaire de Saint-Orphée. Il raconte une histoire un peu plus cohérente, centrée sur un personnage, François Borgia, avec une quête (trouver dans les légendes chinoise les sources des mythes grecs) et quelques incidents de parcours anecdotiques (comme une supposée intrigue amoureuse à sens unique impliquant l'impératrice Isabelle). C'est la première fois que le narrateur est aussi présent, tangible. Dans tous les cas, moi, je me suis senti moins perdu que lors des élucubrations adorables et fantaisistes mais laborieuses des protagonistes prédécesseurs de Borgia.
Ceci dit, Szentkuthy réussit quand même à faire voyager ses lecteurs dans l'Extrême-Orient antique et dans les tréfonds de l'histoire et de la philosophie européenne. Il faut le faire, mentionner dans une même phrase, les jugements portés sur les juifs, l'empirisme plastique des Aryens, l'amour, Éléonore de Castro et les faucons chassant les lapins. Ainsi donc, bon courage à quiconque se lance dans cette aventure riche mais audacieuse.