Citations de Nahal Tajadod (79)
Un an auparavant, ces femmes étaient encore des épouses comblées, elles passaient leurs vendredis après-midi à exhiber leurs main ms manucurées, lors d'interminables parties de cartes. Ces mains, qui tiennent aujourd'hui les anses de paniers en matière plastique, ne sont plus ornées d'aucun vernis. Comment pourraient-elles encore curer, brosser, polir, limer et vernir les ongles de leurs mains alors que celles de leurs époux sont ligotées ? (p.403, éditions Zulma)
Enveloppées dans leurs tchadors noirs, un haut-parleur à la main, elles criaient au même rythme : « Indépendance, liberté, République islamique !" Derrière elles, des milliers de femmes répétaient machinalement ces mots, sans même avoir lu un seul des ouvrages de l'ayatollah Khomeyni, le "Guide de la révolution". Privées de parole, les laïques, les communistes et les modjahedins, brandissant qui l'effigie de Mossadegh, qui le portrait de Golsorkhi, qui les photos des frères Rezayi, constataient déjà que le mouvement de protestation leur avait définitivement échappé. (pp.382-383, éditions Zulma)
Mais [Massoud] ne désespérait pas, il se répétait : “si Dieu par sa sagesse ferme une porte, il en ouvrira, par sa générosité, une autre.” En attendant l'ouverture de la seconde porte, il observait, le cœur serré, le crayon d'écolière de sa sœur, qui se réduisait chaque jour, qu'il faudrait bientôt remplacer. (...) Il ne pouvait pas davantage fréquenter les hommes qui rencontraient dans le cabaret, ces moustachus corpulents qui vidaient verre après verre les bouteilles de vodka et qui glissaient, une fois la danse de Lobat achevée, un billet de cent toman dans la fente qui palpitait entre ses seins inondés de sueur. Un billet de cent toman, l'équivalent de cinq cent crayons pour sa sœur, enfoui dans les seins d'une danseuse ! (pp.146-147, éditions Zulma)
On me verra à la télévisioun (sic)? demande Gol Bibi en souriant presque, entrouvrant une bouche où de rares dents encore présentes évoquent les colonnades de temples anciens, fracassées, isolées, délaissées. (p.129, éditions Zulma)
Ton chien vaut un millier de ces femmes fringantes qui se pavanent dans les rues. (p.138, éditions Zulma)
Ensiyeh avait voulu la gifler. Mais elle s’était retenue. Un général, sur le front, ne frappe jamais les parasites, les écumeurs de deuil.
Sois forte et n’oublie jamais d’où vient ta force. N’oublie pas, ma fille : aucun homme fort ne pourra jamais affronter une femme forte.
"Les collants des femmes : cinq mille kilomètres de soie, grand-mère ! Plusieurs fois la distance entre Téhéran et Karbela sur les jambes d'une seule femme !"
"Chut" dit madame Grande qui n'appréciait pas la mention du lieu saint du shiisme, Karbela, où se trouvait la tombe sacrée de l'imam Hosseyn, dans la même phrase que les jambes d'une femme.
"Dans chaque maison, il faut qu'il y ait un Coran, un recueil de Hafez et un tube de pommade Vali. Le Coran c'est pour le ciel, la poésie de Hafez pour la terre, et la pommade Vali pour les brulures, les piqures, les fistules, les hémorroïdes, les démangeaisons, les contusions, les coups, les crampes, les entorses, les eczémas, les mycoses, les verrues, les gerçures... ".
.... le Texan s'est tourné vers moi et m'a demandé : "W'hat's your national food, couscous?" Et moi je lui ai répondu : " Ni, caviar !"
Subitement, Fereydoun Sardari regrette d'être célibataire. Avoir comme collaborateur une personne qui a donné son nom à sa rue : imagine-t-on plus agréable revanche sur une belle-mère à prétentions mondaines ?
Par quoi commencer, par les nuits du festival de Shirâz, où, sur la tombe de Hâfaz, à la lueur des bougies, Ravi Shankar jouait jusqu'à l'aube; où, au lever du soleil, un son avestique, émergeant des caveaux de Persépolis, après deux mille cinq cents ans de silence, conviait les êtres à se réveiller?
Voilà pourquoi Hâfez dit : "La grâce divine exerce son pouvoir, l'ange messager apporte la bonne nouvelle."
A Téhéran, même les rares bâtiments anciens ne possèdent aucune particularité, comparés à ceux, prodigieux, émouvants et éternels, d'Ispahan, de Shirâz, de Yazd (et j'en passe).
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Là où la Vérité a jeté son masque et dévoilé sa beauté, la parole n'est qu'un prétexte. La parole est une flèche. Les flèches remplissaient mon carquois. Mais j'étais incapable de tirer.
Quel est le sens de la parole?
Le champ de la parole est vaste, le champ du sens est étroit. Il existe, pourtant, un autre sens qui enferme le champ de l'expression, des mots et des sons. Il les écrase. Il les engloutit. De sorte qu'il ne reste plus aucune expression. Ce silence, qui était le mien, ne venait du pas manque, mais de l'abondance du sens.
p.129
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Je relevais sa tête, puis je l'abaissais vers le sol : « Il n'y a rien à chercher là-haut, ni ici-bas. Le salut se trouve ailleurs, dans l'ouverture du cœur. »
p.121
Je me rappelle aussi un fou. On l’internait ici ou là, dans les cuves des tanneries, dans les puits à sec, dans les basses-fosses, mais il réussissait à s’évader. Un jour, il s’avança nerveusement vers mon père et leva le poing pour le frapper. Au dernier moment, il ajouta en me désignant : « Si ce n’était pas pour lui, je t’aurais traîné jusqu’à cette mare et précipité dedans ! »
Bien sûr, en ces temps de désordre, couraient de par le monde des histoires de visions, de miracles, de coïncidences, de prophéties. Lorsqu’on les rapportait à Roumi, il n’essayait jamais d’y trouver une part de vérité. Termazi avait-il prononcé ces mots dans le même ordre, d’une autre manière, à quel instant? Roumi ne s’en préoccupait guère. Mais il savait, sans un fragment de doute, que Termazi allait venir et parfaire son éducation, laissée en suspens par la disparition du père. Termazi savait aussi que Roumi était en manque d’un guide et qu’il était de son devoir de se rendre, le plus tôt possible, auprès du fils endeuillé, pour lui transmettre cet enseignement – le plus précieux des biens – que désignait le mot «fardeau».
Il est entendu, depuis déjà cinquante ans, que l’histoire la plus secrète, et par là même la plus intéressante, la plus inévitable, est sans doute celle des mentalités; entreprise nécessaire mais elle aussi dangereuse, car c’est toujours une mentalité qui en décrit, qui en raconte, qui en juge une autre.
Les vers de Mowlana disaient :"qu'il fallait éviter celui qui ne se mêlait pas de la joie, celui qui fronçait les sourcils, que dans la proximité du chercheur, on devenait chercheur. A l'ombre des vainqueurs, on devenait vainqueur. Et si une fourmi voulait devenir Salomon, il ne fallait pas regarder sa faiblesse mais l'ardeur de sa quête.