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4.15/5 (sur 10 notes)

Nationalité : France
Biographie :

Auteure française née de mère espagnole et de père algérien.
Sœur de Eric Hadj, reporter-photographe dans une grande agence parisienne.
Son premier roman "L'impossible retour" paru en 2024 raconte sa jeunesse et son ascension sociale .
Elle est professeur d'université.

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Bibliographie de Nathalie Hadj   (1)Voir plus

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Citations et extraits (6) Ajouter une citation
…la mémoire, c'est le travail des descendants de ceux qui ont souffert, les victimes, elles, doivent tout oublier et se taire pour pouvoir survivre.
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Monsieur Jean aurait pu lui dire qu’il ne voulait pas de problèmes et qu’il serait préférable qu’il cherche du travail ailleurs, cependant il se dit qu’il était arrivé à un âge où il pouvait se permettre l’audace d’aider un inconnu qui lui ressemblait de façon troublante. Il avait devant lui un gamin perdu auquel il ne pouvait pas reprocher son engagement politique parce qu’il comprenait sa cause, parce que sa propre histoire le situerait toujours, en cas de guerre, du côté des vaincus, parce que lui, Monsieur Jean, homme d’affaires reconnu, avait désormais le pouvoir d’agir selon sa conscience et son instinct, celui-là même qui lui avait valu d’être encore en vie.
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Raconter mes parents, c'est m'essayer à l'art du kintsugi, cette tradition japonaise qui consiste à restaurer des pots cassés à l’aide de pâte d’or en faisant en sorte que la réparation soit plus belle que la pièce originale. Je ne dispose que de morceaux de leur histoire, c'est pour cette raison qu’il faut ainsi que j’aligne avec minutie mes souvenirs, tous, ceux qui jaillissent spontanément comme la vapeur soudaine quand on soulève un couvercle, et ceux qu'il faudra aller chercher et extraire au forceps. Il faut que je transforme leur vie en mots parce que les mots résistent à l'absence et que, même quand on ne les prononce pas, leur silence parle. p. 197
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(Les premières pages du livre)
Première partie
LES DÉPARTS
22 avril 2014
Il est là, allongé sur son lit, les bras croisés sur sa poitrine, le regard perdu mais intense, rempli des émotions qu’il étouffe sous ses paupières tombantes. Ses lèvres semblent scellées, elles ne s’ouvrent même pas pour expirer. Des sourires qu’arborait si souvent cette bouche pulpeuse, il ne reste plus que les deux seules rides de son visage, comme des coups de canif sur ses joues creuses. De temps à autre, ses yeux parcourent la chambre, les moulures du plafond, la télévision sans le son, la chaise où sont posées ses affaires, pour revenir vers la fenêtre qui lui offre un petit coin de ciel.
Mon père, c’est le silence, un silence lointain, épais, le silence maladroit de celui qui craint les mots et qui les retient comme des aliments qu’on mâche difficilement sans parvenir à les avaler. Il y a longtemps qu’il a décidé de ne plus rien dire, de s’effacer, si discret qu’on perçoit à peine sa présence. On l’oublie et il ne s’en plaint pas. Il ne reproche jamais rien à personne, comme si son glissement vers la transparence était dans l’ordre des choses.
Lui qui n’a jamais voulu aller voir un médecin de sa vie, il a l’air presque content d’être hospitalisé. Il trouve que sa chambre ressemble à celle d’un hôtel et que les infirmières sont très aimables. On ne lui a rien dit, Thomas et moi, mais c’est justement pour nous assurer qu’on le traiterait correctement, qu’on ne le jugerait pas à sa peau mate, ses cheveux frisés, ses deux dents en or, à sa tête d’Arabe, en somme, qu’on l’a placé dans une clinique privée. Ici, ils sont obligés de lui sourire, de faire semblant de s’intéresser à lui. Et puis, surtout, il n’y a pas d’horaires de visite, je peux être à ses côtés toute la journée, même si on se parle à peine. Il sait que je suis là et je devine que ça lui fait du bien. C’est tout ce qui compte.
Il ne semble pas avoir mal. Il accepte, sans même grimacer, toutes les perfusions, prises de sang, piqûres et tous les examens que les médecins lui prescrivent. Lui si frêle, si maigre, fragile, qui peine à marcher, semble soudain être doté d’un squelette en acier et d’une force prodigieuse. L’espace d’un instant, il redevient ce héros qu’il était pour moi, quand j’étais petite fille, surtout lorsqu’on lui enfonce les seringues et qu’il élève, en silence, son profil de sphinx, au fur et à mesure que l’aiguille pénètre sa veine frémissante. C’est justement parce qu’il ne semble pas souffrir que je me dis que ce n’est rien de grave, qu’il va s’en sortir. Pourtant, les résultats des premières analyses laissent présager le contraire. Il a de l’hypotension alors que ça fait des années qu’il suit un traitement pour l’inverse. Il a une grosse anémie, ses reins fonctionnent à minima, son foie a grossi. Je surprends le médecin en train de faire une grimace en analysant sa radio des poumons.
« Votre père a eu des pneumonies ? me demande-t-il.
— Des ? Au pluriel ? Je n’ai même pas le souvenir qu’il en ait eu une.
— Et est-ce qu’il a eu une tuberculose ?
— Non, pas à ce que je sache. »
Il n’a pas l’air de me croire et baisse les yeux dans un geste de résignation teintée de pitié. Il doit se demander quelle histoire de famille se cache derrière mon ignorance. S’il voulait bien me poser la question, je lui répondrais que je ne sais rien d’autre de mon père que ce à quoi j’ai assisté. Rien de sa vie d’avant, de son enfance en Kabylie, de sa jeunesse à Paris, de son histoire familiale, de ses amours. Alors les maladies, c’est un registre auquel je n’ai jamais eu accès. D’ailleurs, je ne l’ai jamais vu souffrant. Pas une grippe qui l’a cloué au lit, pas de fièvre, pas un seul congé maladie en quarante ans de travail. Comme une chasseuse de papillons, il m’a fallu attraper au vol des bribes de conversation pour reconstituer le passé de mon père. Avec ces morceaux, j’ai recomposé le patchwork de sa vie, mais il manque des pièces et je viens juste de prendre conscience, là, devant ce médecin, que mon père est comme un livre dont on aurait arraché les premières pages et que, pour le comprendre, il m’a fallu imaginer ce qui ne m’a pas été raconté.
Le médecin reprend le diagnostic. Mon père a sans doute une hémorragie interne mais on en ignore pour l’instant l’origine. Il est si faible qu’il faudra attendre que les transfusions de sang fassent leur effet pour pouvoir procéder à des examens plus poussés. Il a l’air si calme, si serein que j’ai du mal à croire qu’à l’intérieur tout se détraque.
« Votre père boit ?
— Non, plus depuis des années. »
Là encore, je sens que le regard fuyant du médecin et que la feuille qu’il agite entre ses mains taisent des commentaires que je peux facilement deviner, du genre : « Mais ma petite dame, vous n’êtes vraiment au courant de rien ? Vous faites semblant ou vous avez du mal à voir les choses en face ? » Certes, j’ai toujours fait l’autruche ; à vrai dire c’est pratiquement la seule manière de survivre au sein de cette famille. Regarder ailleurs, ne pas mettre des mots sur les maux, c’est une stratégie que j’ai apprise très tôt pour maintenir à distance la douleur. D’ailleurs je suis la seule à avoir toujours défendu mon père quand ma mère et mon frère se plaignaient de sa consommation d’alcool. Pour moi, il ne buvait pas plus que les autres. Il allait au café tous les soirs après le travail, comme tous les hommes du quartier. Il payait sa tournée chez Jeanine et il rentrait à la maison pour dîner, avec son France Soir sous le bras et une baguette qu’il posait sur la table. À son retour, il était gai, souriant, nous prenait dans ses bras, mon frère et moi, plaisantait et ne semblait pas entendre ma mère qui gigotait derrière et se plaignait de l’heure à laquelle il arrivait et surtout du fait qu’il dépense son argent pour inviter les paumés du quartier.
C’est curieux, lui qui a passé sa vie à cacher ses tatouages sous des chemises à manches longues qu’il n’enlevait même pas sur la plage, il n’a plus cette pudeur ici. Je revois à nouveau, après tant d’années, cette rose à l’encre bleue sur son avant-bras, qui semble s’effacer comme lui, puis un symbole que je présume kabyle qui consiste en quatre traits, comme les pointes d’une croix, et une date, 1956, que j’imagine être celle de son arrivée en France, pendant la guerre d’Algérie. Mais ça peut être autre chose parce que je ne sais même pas à quoi correspondent les marques sur son corps et que cette ignorance est d’autant plus douloureuse qu’elle me renvoie à une évidence cruelle : je connais à peine l’homme que j’aime le plus au monde.
« Tu vois, papa, le médecin dit que l’alcool a fait des dégâts sur ton foie.
— Il ne dit que des conneries, comme tous les médecins. Je ne bois plus une goutte depuis des années et puis, de toute façon, je n’ai jamais bu au travail, jamais de la vie. »
Quand mon père veut être catégorique et convaincant, il accompagne ses dires d’un geste énergique, un grand non qu’il fait en l’air avec son bras, index pointé vers le ciel comme s’il agitait la baguette invisible d’un chef d’orchestre.
« Tu sais, chez Harmis, si je m’étais trompé sur la coupe du tissu ne serait-ce qu’une seule fois, j’aurais été mis à la porte. Jamais de la vie je n’ai bu au travail. Ça, c’est encore les conneries de ta mère.
— Mais, papa, là, ça n’a rien à voir avec maman, c’est le médecin qui le dit.
— Ben, il dit des conneries comme ta mère ! »

1956
Karim était assis sur le pont du paquebot. Recroquevillé sur le plancher humide, la tête enfoncée dans ses genoux. Il fermait les yeux, non pas pour pleurer, un homme ça ne pleure pas, mais plutôt pour retenir les dernières images des siens, les garder en tête avec la netteté que le souvenir immédiat pouvait encore lui permettre. Il voulait les marquer comme une empreinte dans sa mémoire parce qu’il savait que le temps agirait comme une éponge et que leurs visages finiraient par se diluer comme une aquarelle sous la pluie. Il revoyait le visage anguleux de sa mère, cette peau fine et lumineuse, d’une pâleur presque olivâtre, marquée au front et au menton de tatouages berbères, et il regrettait déjà d’avoir voulu jouer les hommes et de ne pas avoir su pleurer comme l’enfant qu’il était, en se blottissant dans ses bras.
Karim commençait à avoir peur de l’immensité de cette mer qui l’entourait, du bruit des vagues frappant la coque noire du Ville d’Alger qui le menait à Marseille mais, s’il y avait bien une chose qui lui serrait les tripes et fermait son diaphragme au point de l’étouffer, c’était son incapacité à imaginer ce qui l’attendait de l’autre côté de la Méditerranée.
Tout s’était passé très vite. La veille encore, sa vision du monde était si réduite qu’elle se limitait à celle de son village, perché dans les montagnes de la wilaya de Tizi Ouzou. Au-delà, le néant. Et puis soudain, il se retrouvait là, propulsé sur ce bateau, sans préavis, au milieu de cette mer hostile, avec pour seule arme face à ce futur incertain sa langue, le français, qu’il était si fier de parler sans une pointe d’accent et d’écrire sans fautes. Rien d’autre que ça pour survivre, à part l’adresse d’un oncle à Paris, griffonnée sur un bout de papier.

Quelques jours avant, à l’aube, il avait arpenté les ruelles du village, se collant aux murs de pierres ocre pour reprendre son souffle de temps à autre et surveillant sans cesse qu’il n’était pas suivi. Seul, dans cette obscurité moribonde, il ne pouvait palper que le silence qui venait de gagner un bras de fer contre les cris qui étaient sortis des maisons toute la nuit durant. Les hurlements de douleur du début s’étaient transformés en plaintes, puis peu à peu en gémissements, jusqu’à s’éteindre complètement. Cette absence de bruit offrait une quiétude suspicieuse, la sérénité qui ne s’atteint que lorsque la mort s’est présentée dans chaque demeure.
Lorsque Karim arriva à la fontaine, Hocine était déjà là, impatient, avec son baluchon à terre, séchant nerveusement à l’aide d’un mo
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Pas si vite, Karim. Je comprends votre situation, trop bien d’ailleurs. Je vais vous mettre à l’essai une semaine comme manutentionnaire et, si vous faites vos preuves, vous pourrez rester parmi nous, mais avant de commencer, il va falloir changer de prénom. Karim, ça fait trop arabe et, par les temps qui courent, mieux vaut ne pas trop attirer l’attention. Vous êtes encore peut-être trop jeune pour le comprendre, mais un prénom, c'est comme un vêtement, vous pouvez en changer autant que vous voudrez, l'essentiel, c’est de ne pas perdre ce que vous êtes vraiment. Vous continuerez d’être un Kabyle d’Algérie et moi un juif polonais. Moi aussi j’ai dû changer de prénom, de nom même, je ne m'appelle pas Jean Izard mais Jakub Itskowitz. On ne trahit personne en changeant de nom, ni même de nationalité. C’est une question de survie, Karim, on ne peut pas prévoir ce qui va se passer. Je n'aurais jamais cru que je finirais là-bas, dit Monsieur Jean, en retroussant la manche de sa chemise pour montrer les numéros tatoués sur son avant-bras gauche.
— Vous n'êtes pas français ?
— Si, sur les papiers, mais ça ne signifie rien. Je suis juif, rien d'autre, et je ne suis chez moi nulle part, et partout à la fois. À partir de maintenant, si vous le voulez bien, vous serez Paul. p. 45
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Ma mère tenait debout tant qu’elle pouvait croire à son retour au pays mais dès que La réalité l'assaillait et la mettait face à l'impossibilité de réaliser la plupart de ses illusions, elle sombrait dans un état de désespoir tel qu'elle devenait un automate, hermétique au monde. Son regard perdu ne reconnaissait personne et, consternée, elle ne nous entendait pas davantage lorsque nous la suppliions de rentrer, rien ne l’atteignait. p. 119
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