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Citations de Nino Haratischwili (151)


Dans la nuit qui précéda mon départ, Stasia vint dans ma chambre et, sans prononcer un mot, elle me glissa dans la main un vieux cahier relié de cuir. Il contenait les recettes de mon arrière-arrière-grand-père griffonnées à l’encre. Et sur la toute dernière page, la recette exacte du Chocolat chaud. Comme je lui demandais ce que je devais en faire, elle se contenta de hausser les épaules, déposa un baiser délicat sur ma tempe et quitta la pièce. Et le 24 janvier 1995, je quittai la Géorgie autrefois ensoleillée et alors en proie à l’obscurité, au froid et à la crise, et pris l’avion pour Istanbul. J’allais traverser pour la première fois la frontière devenue invisible de l’Europe. Deux ans après Kostia, Nana mourut d’une attaque cérébrale. Je ne fis pas le voyage.
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C’est peut-être ce jour-là précisément que j’ai compris aussi que dans la courte et banale histoire de ma vie étaient déjà inscrites beaucoup d’autres vies qui côtoyaient mes pensées et mes souvenirs, que je collectionnais et qui me faisaient grandir. Et que les histoires que j’aimais tant soutirer à Stasia n’étaient pas des contes qui me transportaient dans un autre temps, elles constituaient la terre ferme sur laquelle je vivais. Accroupie devant la porte du bureau de Kostia, retenant mon souffle, les poings serrés par la concentration, je compris que je voulais, plus que tout, faire dans la vie ce que venait de faire cette femme aveugle et néanmoins si clairvoyante : réunir ce qui s’était dispersé. Rassembler les souvenirs épars qui ne font sens que lorsque tous les éléments forment un tout. Et nous tous, sciemment ou inconsciemment, nous dansons, suivant une mystérieuse chorégraphie, à l’intérieur de ce puzzle reconstitué. (Oui, Brilka, tu avais raison : nous dansons tous !) Ida resta plus d’une heure à raconter dans le bureau de mon grand-père.
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Après soixante-dix ans d’existence, l’Union soviétique avait fait son temps ; rongée de l’intérieur, elle avait épuisé toutes ses énergies et ses ressources, elle s’était étouffée elle-même mais ne pouvait se résoudre à capituler. Un nouveau chef de parti était nécessaire et l’homme pressenti, véritable jeunot pour le Parti avec ses cinquante-quatre ans à peine, accéda en effet au pouvoir en 1985. Le camarade Gorbatchev allait hériter du monde de « la paix socialiste », qui englobait trente-quatre pour cent de la population mondiale. Pour étendre cette paix, on lui offrit à son entrée en fonction des guerres en Angola, au Mozambique, en Éthiopie, au Nicaragua, au Salvador et en Afghanistan. En 1985, je devins d’un seul coup adulte, dans la nuit où Tchernenko mourut et où Rousa survécut.
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Miqa fut arrêté en juillet 1974 – l’année mémorable de la Coupe du monde de football en Allemagne, de la victoire triomphale de Muhammad Ali sur Foreman dans l’actuel Congo, tout juste un an après la convention d’armistice dans la guerre du Kippour, l’année où Abba connut avec Waterloo un succès mondial. Trois jours plus tôt, dans un costume brun foncé trop chaud pour le mois de juillet, il s’était présenté avec Lana, qui était vêtue d’un coquet tailleur couleur crème et portait une rose blanche dans les cheveux, et deux étudiants qui avaient osé être leurs témoins, au bureau d’état civil de Tbilissi pour épouser la mère de son enfant. Il était accusé de « détournement de bien public » et de « propagande et agitation antisoviétiques ».
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Nana explosa, elle appela Kostia à Moscou, et Elene, après une heure de conversation téléphonique avec son père, marmonna mollement des excuses à sa mère. Nana la menaça de l’enfermer dans la maison pendant un mois si elle ne changeait pas immédiatement de comportement, ce qui n’empêcha pas Elene de faire le mur pour passer toute la nuit dehors. Il y eut un nouveau coup de téléphone avec Moscou, qui dura longtemps et se solda par une dispute entre Nana et son mari, qui lui reprochait d’avoir compromis l’avenir de sa fille. Elene était impossible à brider : ses fugues nocturnes devinrent une habitude. Elle passait toutes ses nuits à faire la fête avec les mauvais garçons du lycée
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Il redescendit, s’arrêta dans la rue, leva les yeux vers le troisième étage, mais il n’y avait pas de lumière. Il remonta, frappa et frappa, cria, l’appela. Pendant trois jours et trois nuits, il ne cessa de revenir, jusqu’à ce qu’un voisin lui apprenne que la dame était partie, il l’avait vue sortir de l’immeuble avec deux valises, mais ne savait pas où elle était partie, ce n’était pas une voisine très causante. Plusieurs décennies plus tard, Brilka, j’ai appris par un vieil homme, dans un pays étranger, dans une petite maison au bord de la mer, qu’Ida n’était partie nulle part, qu’elle avait demandé à son voisin de raconter ce pieux mensonge en échange de quelques roubles, que durant toutes ces nuits et ces jours elle était derrière sa porte fermée, la bouche fermée aussi, afin que ni sa voix ni son désir ne la trahissent, pendant que mon grand-père tambourinait à sa porte, l’appelait et ne comprenait plus le monde qui l’entourait.
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Mais Stasia ne s’intéressait pas du tout à eux. Elle se contentait de hausser les épaules et rêvait de sa carrière de danseuse sans accorder la moindre attention à ces débats. Le monde réservait tant de beauté et d’émerveillement – surtout dans l’émoi des premiers signes amoureux, dans la perspective d’un avenir parisien avec les Ballets russes. Les désirs de son père, de son fiancé, du pays tout entier importaient peu, Stasia ne rêvait que de liberté et de Paris – et par-dessus tout de danser, danser, et encore danser. Que ces seigneurs tout-puissants aux sinistres regards s’entre-tuent, ses rêves deviendraient réalité en dansant, elle monterait sur la scène du théâtre du Châtelet en Shéhérazade, comme Ida Rubinstein.
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À la fin de l’année 1920, après presque trois années d’absence, Stasia revit son pays. Accueillie par sa sœur aînée, Lida, qui avait passé la plus grande partie du temps à l’église Saint-Georges, par son père grisonnant, à l’air triste, par sa belle-mère pomponnée, devenue plus corpulente, et par une Christine à la beauté presque macabre, qui avait fêté son treizième anniversaire peu auparavant. Meri, la deuxième, avait fini par trouver un mari convenable, un notaire qu’elle était partie rejoindre dans sa ville de Koutaïssi. À son arrivée au pays, Stasia ne savait pas qu’en dehors des personnes que je viens de mentionner, la famille comptait un nouveau membre – encore dans son ventre. À cette date, elle était en effet déjà enceinte de son premier enfant, qui serait mon grand-père. La pâtisserie continuait de bien tourner, mais les menaces d’expropriation faisaient craindre pour les biens familiaux. La démocratie géorgienne chancelait.
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« L’homme sourit avec douceur (peut-être s’était-il déjà autorisé un ou deux verres de vin) et expliqua (il existe ici différentes versions de la légende, mais optons pour celle-ci) qu’il était content comme ça : le soleil brillait, cette journée était magnifique et il se contenterait de ce que Dieu voudrait bien lui accorder. Alors Dieu, bon comme à son habitude, impressionné par la désinvolture et le désintéressement de l’homme, lui offrit son paradis sur terre, la Géorgie, ton pays d’origine, Brilka, qui est aussi le mien et celui de la plupart des personnages dont je vais rendre compte dans notre histoire. Si je te dis cela, c’est pour que tu songes à ceci : dans notre pays, cette désinvolture (c’est-à-dire cette paresse) et ce désintéressement (ce manque d’arguments) sont véritablement considérés comme des qualités sublimes. »
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Nino Haratischwili
Stasia se demanda pour la première fois si tout cela n'avait pas sa raison d'être, la vie telle qu'elle se déroulait normalement, et si les rêves n'étaient pas simplement des obstacles qui nous tenaient à l'écart de la vraie vie.
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Nino Haratischwili
Stasia souffrait de sa propre indétermination, de ses doutes, de sa peur des rêves évanouis et de sa peur d'une vie sans rêves.
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