Je pense que le plaisir est l’unique mesure. Celui qui est honnête dans son calcul, il sait pourquoi il vit. On ne mesure pas le sens de la vie grâce au succès et à l’argent, mais avec la question : te sens-tu bien dans ta peau ?
Le don n’est rien d’autre qu’une disposition innée pour déceler l’essentiel derrière le masque de l’accessoire. Elle évoquait régulièrement un ministre dont elle savait, de première main, que sa secrétaire lui changeait les chaussettes tandis que tel un pacha il restait affalé dans son siège d’avion.
"Cela en dit long sur l’homme. Qui veut voir, comprendra tout. Après, on s’étonne que ce soit des incultes et des crétins qui accèdent au pouvoir. Il y a toujours des signes annonciateurs."
Je vois cette vie comme une partition où sont inscrites les notes et les pauses mais aussi chaque pli, chaque chuintement, chaque odeur. Il y est inscrit le bâillement du cymbaliste, le retrait des lèvres d’une jeune flûtiste, une pensée inattendue qui passe par la tête d’un bassoniste tandis qu’il souffle la dernière ligne de notes d’un brillant crescendo. Je vois sur cette partition même ce qui ne se voit pas. Le monde est un aquarium infini.
Ils étaient sortis sur le quai en se dirigeant vers la Capitainerie. Elle lui avait dit qu’elle voulait faire des études de microbiologie.
— Alors, nous sommes collègues, avait dit Raša.
— Comment, tu es microbiologiste ?
— Non, je suis poète. Mais tous les deux, nous nous occupons de la vie qu’on ne peut voir qu’au microscope.
Ce qu’on imagine est l’ombre de ce qui a déjà eu lieu.
Maman disait que le mari de tante Rika s’était lui aussi enfui en Italie alors que Dina était encore bébé. Et n’avait jamais donné signe de vie. Je me demandais pourquoi quelqu’un qui s’était enfui donnerait signe de vie. « S’enfuir en Italie » est une solution, peu importe si les mauvaises notes à l’école ou la femme que l’on n’aime pas en sont la cause.
Moi, j’ai été toute ma vie un appartement non habité, je n’ai jamais pu établir mon ordre personnel. Seulement en biais, des professions en biais, les femmes en biais, car toutes mes intentions sont en biais. Je n’ai jamais réussi à faire correspondre moi-même avec moi-même.
Fais toi-même ta vie.
Il n’est jamais trop tard pour cet exploit. À vingt ans, chacun est ce qu’il veut être. À quarante, ce qu’il n’a pas pu éviter. À soixante, ce qu’il est.
Derrière les grands mots des idéologies se cachent de si banales convoitises. Presque humaines. Sans le mantra du patriotisme, le nouveau partage du capital n’est pas possible. Cet énorme mécanisme de la machine de guerre – dont le fonctionnement exige la destruction de l’existence de tant de petites gens – est soutenu par des équipes de spécialistes, de banquiers et d’écrivains, d’historiens et de philosophes, de politiciens et de journalistes. Derrière les paroles et les serments, les missions historiques et les épopées, bat le cœur infatigable de banals pilleurs. Non, ce n’est pas la vérité, chuchotent les médiocres. Car, si c’est la vérité, nous sommes aussi des criminels. Et nous sommes trop nombreux pour croire la propagande antiguerre. Surtout ne pas changer le cours de la navigation.
Grand-père disait toujours que la vitesse idéale est celle qui vous permet de vous retrouver au bon endroit. Car, même si la vitesse diminue l’espace, et le meilleur exemple en est le chemin de fer, tout a une limite. Le train qui arrive en avance n’est pas arrivé à temps.