AccueilMes livresAjouter des livres
Découvrir
LivresAuteursLecteursCritiquesCitationsListesQuizGroupesQuestionsPrix BabelioRencontresLe Carnet
Citations de Norbert Alter (29)


Bien évidemment, cette position ne se réduit pas à l’expérience de Pierre. Tous ceux qui ont quitté un village pour aller dans un autre, tous ceux qui ont changé de place, de classe, de statut ou de genre la connaissent. Ils n’abandonnent ni leur identité ni leur culture d’hier pour endosser celle d’aujourd’hui, pas plus qu’ils n’associent solidement les deux dans un bricolage salutaire. Ils ne parviennent jamais à être complètement ici, pas plus qu’ils ne demeurent ailleurs. Et souvent, ils ne e souhaitent pas. Ils se socialisent dans l’entre-deux, le ni ici ni ailleurs, le nulle part. (p. 297)
Commenter  J’apprécie          00
Il accepte là, dans cette gare, l’idée de ne pas avoir de vrais parents, ces adultes qui aident leurs enfants à grandir en se montrant eux-mêmes grands. Par des mots simples (« ne rentre pas trop tard ») et des gestes coutumiers (faire la vaisselle en famille), ils les assurent de l’évidence de leur vie d’enfant. En regardant la perspective des rails qui brillent dans la nuit, il éprouve également une jubilation profonde : il se sait complètement libre et a conscience du caractère extraordinaire, inconcevable pour les autres, de cette liberté. Elle représente son bien le plus précieux. Mais, très vite, cette jubilation cohabite avec l’inquiétude : à quinze ans on ne doit pas passer la nuit sur un quai de gare. En voulant échapper au chaos familial, il se trouve là où il ne devrait pas être. Il ne choisit pas sa liberté, il en est prisonnier.
Commenter  J’apprécie          10
Enlacés sur le lit, ils flirtent pour la première fois. Pierre la caresse plus délicatement que Natacha ou Véronique. Sa pute est en cristal. Elle l’embrasse. Il sait qu’elle s’abandonne, son métier lui interdit ce geste. Il lui rend son baiser. Puis elle se lève en silence, va dans la salle de bain et en revient une serviette nouée autour de la taille. Alors, de sa voix grave et lente, avec une teinte d’humour, elle lui demande : « Tu as envie de quoi ? » Cela lui fend le cœur. Même si elle s’en amuse, elle ne parvient pas à sortir de son rôle de pute. Elle a envie de lui faire plaisir, mais n’a plus l’idée de son propre plaisir. Alors elle lui fait unilatéralement don de son corps. C’est sa manière de l’aimer. Lui ne peut accepter ce geste. Il a envie d’un échange. Ils se remettent à parler, nus. Lui entoure son buste de ses bras et chuchote, puisque leur relation est interdite. Elle entoure ses jambes de ses jambes, puisqu’ils ne font pas l’amour. Cela les émerveille. Ils redeviennent deux enfants qui s’échangent des secrets, sans que leurs parents les entendent, deux vieillards amoureux qui s’échangent leur passé, sans que leurs enfants les entendent. Ils parlent pour ne rien dire, juste pour profiter de ce moment en dehors de tout.
Commenter  J’apprécie          10
L'innovation est toujours une histoire, celle d'un processus. Il permet de transformer une découverte, qu'elle concerne une technique, un produit ou une conception des rapports sociaux, en de nouvelles pratiques.
Mais ce processus n'est pas mécanique, toute découverte ne se transformant pas toujours en innovation. Une découverte peut fort bien demeurer à l'état d'invention. L'analyse de l'innovation consiste alors à comprendre ce qui permet de passer d'un état à un autre. Elle s'attache à identifier les étapes de ce passage, étapes caractérisant l'histoire de l'action des innovateurs et de leurs opposants. Ces innovateurs ne sont pas toujours des entrepreneurs ou des chercheurs, mais disposent toujours d'une capacité à transformer l'ordre des choses. Ils sont souvent atypiques, dissidents ou critiques, avant d'être rattrapés, et parfois absorbés, par les normes qu'ils contestent. Ils s'y heurtent donc toujours, mais de manière - finalement - légitime. L'innovation n'a ainsi rien d'une action rationnelle, économiquement fondée et pacifique, elle correspond au contraire à une trajectoire brisée, mouvementée, dans laquelle se rencontrent intérêts, croyances et comportements passionnels.
L'analyse de l'innovation fait ainsi constamment apparaître des phénomènes caractérisés par des incertitudes, des réussites non programmées et des programmes qui échouent, des déviants qui ouvrent de nouvelles voies économiques, des stratèges dont les décisions sont parfois dérisoires. Elle met surtout en évidence que tout ce monde parvient, finalement, à vivre ensemble, mais jamais initialement.
Commenter  J’apprécie          50
Ces circonstances n'ont plus grand-chose à voir avec les fondements de la sociologie des organisations, celle des univers bureaucratiques. Il est ici question de processus et de mouvement, et très peu de système et de changement, pour une raison simple : le changement est devenu permanent, l'état stable fait figure d'incident. Autrement dit, les formidables transformations vécues par le monde du travail au cours de ces dernières années ont amené à se défaire d'un état de type A, sans pour autant amener à un état de type B. Les organisations sont au milieu d'un gué dont elles distinguent très mal la rive. Mais il va sans dire que le mouvement décrit n'a rien d'un tout unifié : les conflits de temporalité y abondent.
Commenter  J’apprécie          10
Mais pour bien comprendre ce qui se joue, dans l'innovation au quotidien, il faut accepter de considérer l'ambiguïté radicale de ces situations : si les règles sont inefficaces, elles sont légitimement transgressées par des pratiques innovantes ; mais ce sont ces mêmes règles qui sanctionnent l'activité des innovateurs. Innover représente toujours une prise de risque, une forme de déviance au quotidien. De même, ce ne sont pas les élites qui peuvent décréter l'innovation puisque celle-ci représente toujours l'usage inattendu, la perversion ou l'appropriation d'une décision ou d'une nouveauté. Mais les élites savent tirer parti des innovateurs du quotidien, en transformant en lois leurs pratiques innovantes, en les institutionnalisant. L'innovation, dans les organisations, est ainsi toujours un apprentissage collectif dans lequel personne ne peut à l'avance savoir s'il a ou aura raison.
Commenter  J’apprécie          10
On hésite toujours pour choisir le titre d'un livre, et seule l'interprétation qu'en font les lecteurs procure satisfaction ou insatisfaction. Pour ce qui concerne l'innovation ordinaire, l'oxymore a été bien compris et bien reçu, un peu comme si l'association de ces deux termes était devenue évidente.
Commenter  J’apprécie          10
Le goût pour le « bricolage » ne correspond en aucun cas à une donnée naturelle […]. Si la plupart investissent beaucoup de temps et d’énergie à découvrir de nouvelles procédures, c’est parce que jouer avec l’outil permet dans un deuxième temps de jouer en acteur, d’imposer sa propre rationalité. […] La technique étant initialement vide de sens, les Innovateurs multiplient les découvertes leur permettant de « créer de l’incertitude », de faire de la technique un atout essentiel dans leur participation au jeu social.
Commenter  J’apprécie          20
On donne "aux autres" autant qu'"à l'autre". Autant qu'à l'autre opérateur, on donne au projet, à la compétence collective, au métier, à l'entreprise, à tous ceux qui permettent de donner sens et efficacité au travail. Managers et opérateurs savent très bien tout cela parce qu'ils le ressentent ! Ils ne savent pas toujours l'expliquer, mais ils l'éprouvent – comme on éprouve une grande satisfaction à voir celui auquel on a tenu la porte la tenir à son tour. Ainsi l'entreprise ne peut-elle pas se passer des échanges sociaux : ils représentent un don que les opérateurs lui font ; ce don est précieux et il fédère les individus. Mais elle ne peut pas pour autant accepter que cette logique régisse les relations parce que ce type de fonctionnement va à l'encontre de l'idée même de management et de rationalisation du travail. La solution retenue par l'entreprise, c'est alors d'accepter ces "cadeaux" mais sans célébrer leur réception, de les prendre sans reconnaître explicitement leur valeur et, surtout, de transformer ces manifestations de liberté en obligations. C'est à l'analyse de ce paradoxe que se livre le présent ouvrage : les entreprises refusent de célébrer le don de leurs salariés ; au lieu de recevoir ce cadeau, elles préfèrent le prendre ou acheter la valeur qu'il représente ; au lieu de considérer ce geste comme une ressource, elles en font un problème. Elles interdisent finalement de donner, au profit d'échanges équilibrés et prévisibles. Ce paradoxe me paraît s'expliquer fondamentalement par le fait que les théories qui fondent le management se veulent "modernes", alors que l'efficacité du management repose sur des dimensions archaïques, universelles et pragmatiques.
Commenter  J’apprécie          40



Acheter les livres de cet auteur sur
Fnac
Amazon
Decitre
Cultura
Rakuten

Listes avec des livres de cet auteur
Lecteurs de Norbert Alter (61)Voir plus

Quiz Voir plus

Rouletabille : Le mystère de la chambre jaune

En quelle année se déroule le récit?

en 1892
en 1982
en 1992
en 1792

20 questions
707 lecteurs ont répondu
Thème : Le mystère de la chambre jaune de Gaston LerouxCréer un quiz sur cet auteur

{* *}