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Citations de Norbert Alter (29)


Voici également quelques éléments tirés d’un entretien avec un entrepreneur autodidacte qui m’en a plus appris sur la nature d’une relation commerciale que la lecture de plusieurs manuels. Mon interlocuteur m’indique qu’il faut savoir toucher le cœur de l’autre, sa personne, qu’il faut créer un lien d’apparente réciprocité avec lui pour parvenir à réaliser un échange avantageux. La sympathie s’associe alors à l’empathie pour manipuler subtilement l’autre. L’art, en la matière, consiste donc à ménager l’apparent désintéressement, tout en étant soucieux de son intérêt économique. Ceci suppose un savoir- faire mobilisant une grande intelligence sociale, beaucoup d’empathie, un peu de méthode et un brin de cynisme. 

Mon interlocuteur vient de m’indiquer qu’il invitait ses clients dans de très bons restaurants, pour être en sympathie avec eux :
Quand il y a la sympathie, moi, j’achète. Je ne vous cache pas que quand j’achète des produits, je préfère acheter à quelqu’un de sympathique qu’à quelqu’un qui n’est pas sympathique. Je paye même un peu plus cher bien souvent à quelqu’un qui est sympathique, qu’à quelqu’un qui n’est pas sympathique.

Q - Donc vous êtes sympathique quand vous invitez vos clients au restaurant. Et alors comment on fait pour être sympathique ?
Ça, je ne sais pas par contre. Je vous dis : « C’est inné, ça. » Vous êtes commerçant ou vous ne l’êtes pas. Vous pouvez faire toutes les grandes écoles, si vous n’êtes pas commerçant [...].
Q - C’est être attentif à l’autre, c’est toujours votre idée ?
Voilà, sentir s’il a un petit endroit faible, si quelque chose lui ferait plaisir, deviner ce qui lui ferait plaisir. Ça, c’est important. Si par exemple vous allez chez le gars, qu’il dit : « Ah non, ça ne va pas aujourd’hui, mon chien, je l’ai fait opérer hier, il a mal au cœur, peut-être qu’on va le perdre. » Quand vous retournez deux mois après, vous demandez des nouvelles de son chien : « Comment il va ton chien, au fait ? - Oh, formidable ! Oh, tu te rappelles de ça... »
Q - Ah oui, et c’est gagné, là !
-[...] parce que je l’avais marqué sur un petit carnet.
Q - Vous le notiez ? !
Bien sûr.
Q - Les petites faiblesses, tout ça.
Ou le fils qui avait été opéré, ou le gars qui avait eu son bac, ou le truc... Très important.
Q - Vous le notiez.

Quand vous avez 500 clients, comment voulez-vous vous rappeler ? Le gars, il a l’impression d’être tout seul. Vous lui donnez tellement d’importance, il se dit: « Vraiment, il me suit à la trace, c’est pas possible, il se rappelle de ça. » Et puis il a eu un deuxième bébé, il a eu une opération, il a acheté une nouvelle maison, une résidence secondaire : « Tu te plais bien dans ta résidence secondaire ? Oh, je t’avais dit ça, je me souviens même plus. Tu t’en rappelles, c’est formidable ! » Je m’en rappelle, tu parles, j’avais noté. Très important. Ça touche les gens, vous ne pouvez pas vous imaginer. C’est 50 % du boulot. 50 % !
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Il s’est en effet progressivement construit une éthique qui l’autorise à voler son patron. Il garde, bien au chaud dans son cœur, la rancune qu’il porte à sa brutalité. Et puis, même s’il fait de son mieux pour ne pas y penser, il trouve cruel de perdre ces beaux mois d’été, enfermé dans son café, agité comme une souris en cage, alors que ses copains se reposent à la plage et courtisent les filles. Et même si son patron n’a aucunement la responsabilité de cette situation, il en profite : la jeunesse, la nécessité d’apprendre le métier, l’absence de relations font de Pierre un salarié plus faible, plus aisément exploitable que les autres. Même après son apprentissage, le patron lui confie, plus qu’aux garçons à demeure, les sales boulots, les sales horaires. Pour « lui apprendre ». Pierre lui porte une haine froide et réfléchie. Le voler représente une jouissance : celle d’assouvir sa rancune, et de s’enrichir aux dépens d’un salaud.

Il rencontre aussi des patrons humains, un peu émus par son statut de lycéen, qui lui parlent comme à un neveu, protecteurs. L’un d’entre eux l’embauche pendant un mois au noir. À la fin de cette période, il lui tend une enveloppe et lui dit simplement : « Tiens, tête de linotte ». Pierre y découvre plusieurs billets de cent francs. Le patron lui explique : « C’est la moitié des charges sociales que j’aurais dû payer pour ton emploi. Tu prendras des vacances. »

Pierre découvre la douceur d’une relation de travail ; cela le surprend et l’émeut. Il ne peut pas voler ce type de patron. Mais financièrement, cela ne l’arrange pas. Alors il change de café pour trouver un patron qui l’exploite bien brutalement, qu’il peut détester et voler éthiquement.
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Les sociologues le savent : notre travail suppose extériorité, rigueur et méthode pour dépasser le sens commun et l'opinion; mais le choix des théories explicatives trouve en partie ses sources dans notre histoire personnelle. Souvent, vers la fin de notre vie professionnelle, nous éprouvons le besoin, par souci intellectuel et éthique, de dire ainsi « d'où nous venons ».
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Issu d'un milieu économiquement et culturellement faible, il devrait pourtant avoir été blessé par ce que les sociologues nomment pompeusement la « violence symbolique de l'école », la propension des classes dominantes à imposer leur culture aux « dominés », en méprisant leurs « habitus » à travers les programmes scolaires. Lui a connu la douceur symbolique de cette institution, la capacité des enseignants à le reconnaître pour lui donner une place, du bien-être, un peu de sens. Peut-être parce qu'il n'appartient pas à une classe, avec ses propres systèmes de valeurs et ses normes. En tout cas, il ne perd rien à apprendre le langage des « puissants » et se love confortablement dans leur culture. Sans jamais avoir le sentiment du devoir, il s'applique à exercer son métier d'élève. Le regard de ses maîtres lui donne la certitude de bien faire, de pouvoir respecter ce qu'il fait, ce qu'il est, d'en être fier.
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Il découvre ce que l'on nomme aujourd'hui l'« université de masse ». Comme lui, la majorité de ses condisciples s'y trouve par incapacité à faire autre chose, par naïveté, par paresse ou par inadvertance. Les autres étudiants s'orientent vers les « prépa » ou les écoles en quelque chose. L'université de masse repose sur la même logique que l'industrie de masse lorsqu'elle a rompu avec la logique des métiers : elle produit plus d'étudiants avec moins de moyens par tête (augmentation de la productivité), en baissant le niveau d'exigence (diminution de la qualité des enseignements), avec un pourcentage élevé de rebuts (étudiants ne terminant pas leurs études) et une attention au process (cursus étroitement standardisés) supérieure à celle apportée au produit (employabilité des étudiants).
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Il découvre une méthode assez efficace pour obtenir de bonnes notes, avec peu d'efforts. Beaucoup d'enseignants se référant au modèle d'analyse marxiste, les autres n'osant pas trop le contester, le simple fait de resituer une question dans la perspective du matérialisme historique préserve d'un examen trop critique de la copie. Les enseignants, souvent diplômés de l'École normale supérieure, ne peuvent voir qu'avec compassion et commisération leurs étudiants, entassés dans les classes, sans avenir, articulant difficilement leurs phrases mais courageusement engagés dans une représentation systématiquement critique du monde. N'imaginant pas comment les dégager de cette rhétorique, ne les respectant pas, ils les abandonnent à leurs chimères, et parfois les y conduisent. Pierre tire parti de cette situation.
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Il la regarde avec émerveillement. Parce qu'il l'aime, certainement. Mais aussi parce qu'il découvre que dans le corps, les gestes et les pas de Natacha se trouve incorporée une éducation qui les rend légers et sereins. Cela le fascine et le trouble. Sans connaître la signification du mot culture, il pressent que le bonheur ostensible que son amie éprouve en habitant son corps résulte d'une éducation qui trouve cela normal et juste
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Quand on vient de nulle part, (...), on ne se trouve jamais à sa place : étudiant, mais incapable de partager les sentiments et les activités de ses condisciples; déménageur ou loufiat, mais incapable d'accepter cette activité comme son seul horizon ; homme, mais rongé par les images, les paroles et les gestes de sa mère ; citoyen, mais inquiet de penser que ses vols peuvent lui retirer ses droits. Quand on vient de nulle part, on n'espère qu'une chose : avoir une place. Mais une fois qu'on l'obtient, on ne sait pas l'occuper. Faute d'avoir été comme les autres, on n'est jamais comme eux. On demeure gauche, maladroit, hésitant, et les autres le voient ou le pressentent.
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Les écrivains de la Beat rompent férocement avec la soumission aux règles du jeu de la société. Ils refusent d'intégrer des organisations composées de chefs, de petits chefs et de grands chefs. Ils se moquent de l'aspirateur, du crédit pour l'obtenir et honnissent le travail à la chaîne, le travail idiot. Ils contestent les rôles traditionnels du père et de la mère, de l'homme et de la femme. Ils dénoncent les projets de société qui reposent sur de nouvelles lois, et qui, au nom du bien, asservissent et musèlent, justifient l'existence de la bombe atomique. Ils refusent de dissoudre leur individualité dans une idée de l'histoire. Pierre a le sentiment que ces messages lui sont directement adressés. Lui, connaît par expérience tout cela : le travail qui abrutit, les rôles familiaux mal tenus, le crédit que l'on ne peut plus payer, les lois et normes qui oppressent, la violence, le politique qui reproduit tout cela. Il comprend alors mieux son détachement des idées de gauche, qui se réfèrent à des idées critiques sans critiquer la soumission aux normes, manipulées par des petits oligarques calculateurs et froids qui finissent, tôt ou tard, par retrouver le confort matériel et moral de leurs origines. Et puis, le mode de vie des écrivains de la Beat représente, en tant que tel, une nouvelle société: ils n'attendent pas la Révolution pour changer de vie ;
ils vivent autrement, selon leurs valeurs.
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Incapable d'accepter une place de pauvre, Pierre a pu échapper à la violence ou à la charité des puissants, qui le couvraient de honte. Plus marginal que pauvre, il n'a pu bénéficier des aides sociales des institutions, celles qui permettaient de partir en « colo ». Mais il a découvert, avec ses fées, l'existence de ce que l'anthropologie nomme le don et le contre-don, ces échanges chaleureux qui associent les êtres en un lien d'âme, entretenu par une gratitude éternelle. Parmi tous ceux qui ont compté, aucun ne le lui a dit : « Fais un effort ! Arrête tes conneries ! Sois sérieux ! ». Aucun ne lui a demandé de rentrer dans le rang. Tous, les professeurs, les amies, le surgé du lycée, le policier d'Athis Mons, Giuseppina ou la vieille demoiselle lati-niste, lui ont demandé de continuer son histoire, d'en prendre soin et de leur rendre quelque chose en en faisant quelque chose. En échange (plutôt que grâce à eux) Pierre est parvenu à construire une histoire tout en demeurant fidèle à ce qu'il était. Ce livre leur est donné, d'abord à eux, d'abord à elles.
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(Le) désir de faire société amène à combiner son histoire et l'histoire, ce que l'on est et ce que l'on nous demande d'être. La trajectoire d'une vie ne résulte donc pas de l'exclusive soumission aux grands déterminismes sociaux, pas plus qu'à un individualisme étroitement calculateur. La capacité réflexive nous conduit : l'analyse des expériences et la capacité à corriger une trajectoire en fonction des découvertes, des évènements, et de ce que l'on devient.
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Il arrive ainsi à l’école et, dès le hall d’entrée, il perçoit l’odeur infiniment rassurante du bâtiment : un mélange de bois, de crayon, d’encre, de cuir et de sueur. Comme on respire l’odeur de la mer ou de la terre humide, il aime sentir cette effluve bienveillante, forte et fidèle à elle-même. Elle signifie que là, dans cet espace, se trouveront toujours, toute l’année et les années suivantes, des crayons pour dessiner, des encriers pour y tremper les plumes Sergent Major, des cartables et des trousses, des enfants en un tas uniforme, qui participe à l’effluve. Il aime cette odeur parce qu’elle le rassure. On ne peut pas changer l’odeur d’une école, pas plus que celle de la mer ou de la terre humide. Il aime aussi l’architecture fonctionnelle et sans fioriture de l’établissement, les couleurs banales, les salles de cours sous-dimensionnées, la table étroite qu’il partage avec un voisin, la cour avec ses arbres bêtes, les toilettes défoncées, les rares géraniums aux fenêtres et le réfectoire sonore. L’école est faite pour les enfants, rien que pour eux. Pierre s’y niche.
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Les études m'ont donné un langage, pas une langue. En société, dès que la contrainte se desserre, je reprends mes travers : les idées ordinaires, des raisonnements relâchés et des jugements de valeur. Je suis heureux comme ça. Et dès que la contrainte se resserre, dans mon milieu professionnel, ou pour impressionner le bourgeois, je donne le change: vocabulaire choisi, jugements cohérents, peu d'affectivité, et un peu d'humour. Mais je n'exprime pas ce que je suis avec ce type de langage. je suis un homme de mots et d'idées simples, qui peut se corriger, pas se transformer.
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Je n’avais pas de vraie maison, un endroit pour être tranquille, protégé du reste du monde, une maisonnée. Dans le livre de lecture du cours préparatoire, une image me faisait rêver : les parents qui nettoient la vaisselle, les enfants qui l’essuient et la rangent. Ça représentait mon idéal : faire la vaisselle en famille, en paix, dans une cuisine proprette. Cette image toute simple m’empêchait de dormir. Elle me disait : « Tu ne connais pas ça. Pourras-tu le connaître ?

Alors que ses copains apprennent à lire à partir cette image banale, Pierre apprend à lire en rêvant à la banalité de cette situation.
(Incipit)
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Son visage devient grave puis il m’indique que la certitude d’être différent, incapable de tenir les rôles sociaux conventionnels représente, pour un enfant, une misère plus grande que l’indigence: on n’est jamais tranquille, toujours fautif.
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Les enfants ont des devoirs, scolaires et sociaux, mais bénéficient du droit à l’insouciance.
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On n'échappe jamais à l'histoire, qui produit, sous des formes diverses, des dominants, des censeurs et des colonels, qui tous souhaitent dicter les destins individuels au nom du bien. Mais on peut échapper, au moins partiellement, à son histoire pour la réinventer et se réconcilier avec elle, puisqu'on n'est jamais seul.
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Il aime autant ressentir son appartenance aux lois de la société que son indépendance. L'association des deux sentiments lui procure le plaisir tiré de la certitude de se trouver à sa place, serein, entre la loi des autres, qu'il respecte le mieux possible, et que parfois il aime, et les lois sociologiques qui façonnent son identité, dont il ne peut se défaire.

Certains acceptent cette ambivalence : ils l'aident à tenir une trajectoire de vie acceptable pour lui et pour eux-mêmes. Dans bon nombre de situations qu'il croit maîtriser grâce à sa seule rouerie, il découvre ainsi qu'il ne peut s'en tirer sans la coopération des défenseurs de la loi ou de ses victimes.
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Les filles le réchauffent. Il dispose, avec elles et en elles, d'un petit foyer. Elles lui font raconter qu'au-delà d'être un garçon, il n'est pas un garçon comme les autres. Et lorsqu'elles lui confessent leur propre fêlure, il a le sentiment de pouvoir les aimer.
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On n’échappe jamais à l’histoire, qui produit, sous des formes diverses, des dominants, des censeurs et des colonels, qui tous souhaitent dicter les destins individuels au nom du bien. Mais on peut échapper, au moins partiellement, à son histoire pour la réinventer et se réconcilier avec elle, puisqu’on n’est jamais seul. (p. 298-299)
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