On dit de Molière que ses pièces, et la multiplicité de ses personnages, lui ont servi à étudier les mœurs et les caractères de son temps. Dans ce roman, nous ne sommes pas si loin de ce procédé, si ce n'est le fait que Mirbeau n'a pas utilisé le biais de la comédie mais celui des confidences. Une autre façon de faire, qui a son charme. Le ton et le vocabulaire, bien souvent fleuris, sont ceux d'une jeune fille de modeste condition, mais qui a probablement eu le temps de parfaire son éducation. Une jeune fille qui prend le temps de tisser un lien de complicité avec son lecteur. Une jeune fille qui annonce la couleur dès le premier paragraphe, on est loin d'un style pontifiant d'un Flaubert.
Célestine est un sacré personnage. Loin d'être la première bécasse venue, son regard aigu, inquisiteur, ne laisse rien passer, sa tête archive la moindre bribe d'information et sa langue est assez acérée, et sans filtre, pour procéder, à chaque fois, à un abattage en règle de ses maîtres, et de ses maîtresses, surtout. Car Célestine n'a pas froid aux yeux, débrouillarde comme elle l'est depuis son jeune âge. Cette diablesse de Célestine qui, enchaînant les anecdotes, prend plaisir à évoquer tous les petits - comme les gros - travers de ses employeurs, qu'elle ne manque pas de tourner en dérision. Pour le plus grand plaisir de son lecteur, sans aucun doute. Avarice, luxure, Orgueil, Colère, Envie, Paresse, Gourmandise, les sept péchés capitaux y passent, dans cette société pourtant toujours prompt à ériger leur Dieu en témoin de leur bonne foi et de leur droiture. On apprécie, on sourit, on rirait presque si ça ne cachait pas une vérité crue et glauque : le viols successifs, et presque rentré dans la norme, des servantes, la maltraitance de leur personnel de service, guère mieux considéré que leur pot de chambre
Mais le monde de la domesticité n’est guère plus brillant,
Célestine n’entretient aucune illusion sur elle-même, jolie fille mais « dévergondée », chapardeuse à l’occasion, et pas d’avantage sur ses égaux. Si ce n’est, peut-être, qu’ils savent peut-être mieux profiter du peu de luxe qu’on leur accorde. Célestine n’est pas une sainte, et le portrait au vitriol qu’elle dresse de ces bourgeois, ils pourraient tout autant en faire de même pour elle et le reste des domestiques. Mais le propos est ici d’égratigner la belle image qu’ils veulent bien donner d’eux, et on redemande. Alors, quand bien même la déliquescence les touche autant les uns que les autres, que Célestine ne soit pas plus vertueuse que ses maîtres qu’elle pointe volontiers du doigt, il n’en reste pas moins que le plus insupportable, et ainsi injuste, reste ce sentiment de domination qui régisse leur relation. Alors même que l’instrument de cette domination n’est pas celui des valeurs mais de l’argent, souvent acquis de façon tout aussi injustement de façon malhonnête, dont ils ne savent même pas profiter.
Célestine, ce doux prénom, que l'on penserait à tort être celui d'une jeune ingénue, est en réalité est tout sauf cela. Mais on se prend à l'apprécier, avec tous ses défauts, avec son caractère, son insolence, avec toute sa coquetterie, sa fierté parfois mal placée, cependant avec toute sa clairvoyance, aussi abrupte soit-elle. Célestine peut devenir aussi mauvaise que les gens qu'elle décrit et, de facto, on devient juge de Célestine comme elle l'est de ses contemporains. Insolente, provocatrice, aguicheuse, peste, voleuse, vulgaire, si on ne peut pas dire que Célestine soit un modèle de vertu et de sagesse, son regard a, au moins le mérite de la franchise, et la justesse, tant sur elle-même que sur ceux qu'elle sert avec acrimonie. C'est un regard précieux que le sien, une étude des mœurs et caractères de ceux qui entendent se poser en modèles d’intégrité et de moral. Ne nous étonnons pas du tour que prend ce roman, qui s'érige conte les valeurs de l'époque, quand on sait que Mirbeau était un anarchiste convaincu. Et quand bien même Célestine est loin d'être la jeune femme respectueuse et honnête dont elle se donne l'air, elle est tout de même plus vivante et pétillante que les maîtres qu'elle sert servilement, aussi ternes et tristes que les meubles entre lesquels ils se meuvent ou même certains de ses congénères, pauvre ères accablées par la rudesse et l’austérité de leur vie, qu'elle a parfois l'occasion de rencontrer. Au-delà de tout, c'est surtout la découverte d'une jeune femme, du monde laid qui l'entoure, d'un côté comme de l'autre. Une jeune fille désenchantée, désabusée, et qui en est devenue blasée à force d'avoir vu l'envers des choses, la laideur et la crasse qui se cachent sous une épaisse couche de poudre et de parfum. Une jeune fille malgré tout intelligente, fine et observatrice, qui n'est pas l'idiote sourde et muette telle l'image qu'elle s'échine à donner d'elle-même
C'est un texte piquant, où les attaques n'ont de cesse de fuser dans tous les sens, où la moquerie est poussée à un point tel que les personnages deviennent de véritables caricatures, y compris la principale intéressée qu'est notre jeune femme de chambre. Mirbeau a le don de savoir utiliser à bon escient la raillerie et l'humour pour capter et garder l'attention de son lecteur. Et cette manière d'explorer et exploiter chaque petite manie des maîtres et maîtresses successifs de Célestine est plaisante et divertissante. Tout le monde en prend pour son grade, évidemment, "cette tristesse et ce comique d'être un homme", comme le dit l'auteur dans son courrier, qui tient lieu de préambule, n'a jamais été mieux illustrée que par son oeuvre. . Ce roman a plus d'un siècle mais d'une intemporalité remarquable. Et rien que le nombre d'adaptations dont il a été et dont il est encore l'objet, je crois que Mirbeau a su toucher, avec talent, le cœur, en même temps que le pire, de l'homme en privé comme en société. Je laisserai le dernier mot à Michel Piccoli, qui n'a certes pas exercé le même Art que Mirbeau, mais qui a su si bien exprimer leur finalité à tout deux "Nous sommes des loueurs de miroirs que nous offrons au public afin que ce dernier se contemple".
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