Hommage posthume à Odette du Puigaudeau.
Les chameaux sont de grands rêveurs ; et, comme tous les rêveurs, ils ont des sursauts déraisonnables devant d’infimes réalités soudains aperçues.
Je vois d'ici votre air sceptique. Deux femmes peuvent-elles vraiment vivre au Sahara, y voyager à la manière des nomades, y travailler, et dans quelles conditions ?
Bon , la preuve est faite. Elles le peuvent puisque, sans être des championnes d'athlétisme, nous y avons vécu plus de deux ans. Les conditions d'existence ? Exactement les mêmes que celles des garçons, nos camarades de brousse. Il n'y a pas trente-six façons de vivre au Sahara, et qu'on l'aime ou non, le genre "ascète" s'impose tôt ou tard, sans discussion possible.
Ne pas oublier l'indispensable bouilloire et tout le nécessaire pour le thé dont vous boirez chaque jour trois séries au moins de quatre petits verres, copieusement sucré, parfumé de menthe, et qui sera la base même de votre alimentation.
Lorsque vint le tour de la caravane dont nous faisions partie, nous nous sommes mises en marche, entraînant nos montures, sans même y songer, prises dans l'engrenage de ceux qui nous précédaient et de ceux qui allaient venir. Nous étions un anneau d'une chaîne de trois kilomètres de long, un élément d'une masse vivante d'un kilomètre de large. Nous avancions avec les autres, courbées contre le vent comme les autres, au rythme qui tenait tout cela ensemble : nous étions entrées dans l'azalaï.
Les feux du soleil levant brulèrent, puis s'éteignirent et le désert repris son aspect coutumier : une plaine de sable beige pâle, veloutée, balayée par le vent, sous un ciel couleur de sable percé d'un soleil rond, mat comme un verre dépoli.
Préparer le thé est un art minutieux. Quand le bruit sec du marteau de cuivre ciselé aura retenti, que les feuilles soyeuses auront glissé dans la théière d'émail bleu, qu'avec la vapeur de l'eau bouillante une arôme délicieuse montera sous la tente, que l'officiant, d'un geste précis, de très haut pour que le thé "chante", aura rempli les petits verres d'une liqueur ambrée, que chacun aura aspiré une gorgée brûlante, alors le thé aura atteint tous ses buts ; satisfaire l'ouïe, la vue, l'odorat et le goût, ranimer les forces du caravinier et faire de ceux qui l'ont bu ensemble, des amis.
Peu à peu, la mer était devenue plus douce, d'un bleu plus profond, les jours, plus chauds. Les poules picoraient sur le pont ; les lapins s'abandonnaient à de tendres ébats. La nuit, le navire brassait, dans des remous d'argent, des étincelles phosphorescentes qui, seules, auraient pu faire le compte des étoiles du ciel.
Vous êtes pressé: allez au pas afin que votre monture vous porte jusqu'au bout. Vous avez envie de dormir: aucune importance si votre chameau, lui, a besoin de boire ou de manger, mais si vous avez envie de faire la route, dormez si la bête a besoin de repos. Car, en définitive, c'est de sa force et de sa bonne volonté que dépend le succès de votre entreprise.
(P32 Phébus)
L'azalaï est l’énorme exode fait de cent caravanes, d’un millier d’hommes, de plusieurs milliers de chameaux qui, en novembre, se groupent en Araouane, cheminent douze jours sans point d'eau, sans pâturages, vers Taoudeni, sous la protection des pelotons méharistes du Soudan, échangent aux mines des monceaux de vivres contre des milliers de barres de sel gemme et rapportent ce sel aux négociants de Tombouctou et de Gao.
(P21 Phébus)
Tout le monde sait que celui qui a vécu au Sahara rêve d’y retourner. On ne comprend pas bien pourquoi mais c'est un fait connu, établi, indiscutable.
(P15 Phébus)