Citations de Odile d` Oultremont (147)
Elle avait déplacé le centre de gravité des évènements, leur avait ôté leur foutu côté obscur. Ne restaient que des bulles de savon sur lesquelles elle soufflait avec une puérilité assumée. Il n’y avait qu’elle pour transformer ainsi le gravier en guimauve.
Après la mort du père de Louise, sa mère reste immobile, allongée sur son lit, les yeux grand ouverts : « Ma mère a les yeux pluriels, se dit Louise, elle est partout à la fois, tous les coins de cette pièce sont sous sa surveillance, rien ne lui échappe. C'est la raison pour laquelle elle y passe ses journées, elle est comme la louve ou la renarde, elle scrute, pour anticiper le danger, sinon quelle autre raison ? Pour me protéger. Maman est un lynx redoutable. »
Il avait le vertige. il se vit perché, avec elle, au sommet d'un sommet, au bord de la première vue du monde qui n'est rien d'autre que le dernière et, alors, en une preuve d'amour absolu, lui offrir de la laisser s'en aller, seule face à l'immensité, de la rendre à son état premier, la solitude. Et de lui signifier ainsi sa confiance infinie.
Son corps contredit son âme, crée une faille qui ne cessera de gagner en puissance, elle le sait.
Dieu que c’est bon cette eau chaude qui l’enserre d’un coup. Elle ferme les yeux. Plus rien de léger ne demeure en elle. Elle est sac de pierres, container en acier, bloc de granit, rigide et froide, comprimée à en crever.Tandis que sur son corps se répand la chaleur, jaillissent les larmes du désespoir. La mort de cette femme, irréversible, est la plus violente des astreintes.
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Des contours brumeux plus que des traits distincts, une silhouette, peut-être une voix, une façon de se mouvoir, un éclat de rire, se précisent ensuite des cheveux vaporeux qui, le plus souvent, balaient une nuque. Des mains minuscules, de petites chaussures marron, une odeur de savon tiède - quelque chose comme du réglisse-, le velouté d'une peau si fine, transparente par endroits. Il entrevoit des yeux clairs et une main qui lui tend une feuille, avec une fierté portée par des mots encore en jachère. Lui revient aussi l'esquisse d'un premier dessin puis son émotion, celle d'un jeune père qui porte son enfant jusqu'à son visage comme on soulève un trophée, qui l'embrasse et, plonge dans son cou, l'inspire toute entière, elle et tous ses parfums d'un souffle nouveau.
La sécurité d’abord.
Au quotidien, c’était sa servitude, son indiscutable sujétion : bien plus qu’un mantra, il s’agissait pour lui d’une obligation légale.
Depuis quarante-deux ans. Vladimir Savidan était pêcheur de crustacés et de gastéropodes en mer de Bretagne.
Son père était au chômage, il l’est resté toute sa vie. J’ai bossé à ne rien foutre, disait-il avec une pointe de fierté. Catherine, sa mère, était au foyer. Ce qui, avec un mari inactif, rendait la fonction étrangement absurde. Un jour, elle avait pourtant émis l’idée de travailler. Bernard l’avait mal pris, et, peu à peu, l’hypothèse s’étant muée en idée fixe, sa femme avait fini par le menacer de partir. Tout simplement. Mais l’homme avait feint de ne pas s’en soucier et un soir de novembre, après avoir accepté une offre d’emploi en Alsace, Cathy avait fourré dans son coffre dix-sept années pleines, en poussant bien fort, pour que tout puisse rentrer.
La surface de l'océan danse comme une ballerine. Après toutes ses années, Anka est devenue, à force d'observation et de toute son attention, la spécialiste de ses chorégraphies. La mer, comme les artistes, a ses périodes : son talent et sa virtuosité se situent au point de convergence entre la puissance des flots et leur lyrisme ; l'un prenant le pas sur l'autre au fil des jours. Avant, il lui arrivait, c'était assez fréquent, de passer de longs moments assise face au colosse et dans cette position du lotus, les fesses moulées dans le sable humide, elle s'adressait à l'abîme comme on alpague un ami, lui parlait, attendait par endroits une réponse qu'elle était persuadée la plupart du temps de recevoir. Elle dénichait sans cesse, dans les infinies manifestations du flux aquatique de quoi tranquilliser ses tourments.
-Bonjour, docteur, tenta Louise. Je m'appelle Louise et je vous présente mon mari, Adrien. Et vous, quel est votre nom ?
-Docteur Pirolli.
Dans sa blouse bleue de malade, elle sembla satisfaite.
-Merci. J'aime bien savoir qui me transperce le bras.
Pirolli se crispa, resta concentré sur la machine au bouton rouge, tandis que Louise poursuivait :
-D'autant que, je ne sais pas si je vous l'ai dit, non, je pense que non ...mon bras gauche s'appelle Nathanael. L'autre, le droit, c'est Clotilde. En fait, j'ai baptisé chacun de mes membres. Par souci d'organisation. On est tellement dans un corps.
A l’état pur, la déraison maintient en équilibre sur un fil invisible . Mieux, elle devient une arme d’une puissance inouïe .
L'amour est la langue secrète d'une minuscule communauté où l'on réside seul la plupart du temps.
L’imagination ne peut être délivrée à sa juste valeur qu’en tenant très précisément compte des éléments de la réalité.
« Rester proprement dans les clous n’est pas une qualité. » (p. 211)
La plupart du temps, elle ne sait plus si elle vient pour lui ou pour elle. La plupart du temps, elle songe qu'être ici, à côté d'un homme qu'elle ne connaît pas, pour tenter de donner un sens à sa vie, même ça, surtout ça, n'a aucun sens.
Le départ de sa mère plongea Marcus dans une enfonçure de perplexité. Il n’avait jamais rien compris au couple de ses parents, cela sonna donc à la fois comme le prolongement de l’absurdité familiale mais aussi comme l’expression d’une piqûre acide, un chagrin très profond en lui dont il ne fut jamais capable, par la suite, d’extraire les restants. Mais pour ne pas ajouter à l’apathie paternelle le désaveu, il se priva de toute opposition.
Depuis le sommet de sa grue, c’est en contrebas qu’il scrute. Au sol, toute petite, la vie s’ébat. Il n’y a, sous ses pieds, ni chaos ni excitation, la plupart du temps, rien ne se passe, seul un mouvement perpétuel, allant et venant. Ça ressemble au train-train des vagues par temps calme, de minuscules entrechats, une multitude de pas prompts ou las sur le macadam…
Seule avec son fouillis, à la longue, elle ne tiendrait pas.
Il lui fallait quelqu’un qui sache accueillir son désordre, le reconnaître, l ‘apprivoiser et, par la même, lui donner corps. La mission d’Adrien était de recevoir la grosse balle disloquée et fringante qu’elle lui avait lancée le jour de leur rencontre.
Tout le monde meurt, les génies comme les crétins, personne ne triomphe de la fin.
A l'état pur, la déraison maintient en équilibre sur un fil invisible . Mieux, elle devient une arme d'une puissance inouïe .