Citations de Patrick Moran (27)
Il a la mâchoire carrée commune aux éternels subordonnés qui passent d'une humiliation à la suivante sans broncher, et aux chefs-nés qui infligent lesdites humiliations dans l'idée que c'est ce qui forge le caractère.
Le succès à tout prix, c'est la guerre de tous contre tous.
- Ce que je vends est presque aussi léger que l'air, aussi fascinant que le soleil et aussi discret que le souffle d'une jeune fille.
- Vous vendez des idées ? Des projets ? Des promesses ? demande-t-elle. Vous êtes poète, ou politicien ?
Le rire du marchand ressemble à un cri de douleur, brusquement interrompu.
- Pas du tout, dit-il. Je vends des pierres précieuses.
La réalité n'est pas continue : la réalité, c'est le chaos, le changement.
- Je travaille uniquement pour la postérité. Et même, la postérité ne saura jamais rien de ce que j’ai fait. Je m’efface devant ma plus grande œuvre.
Dans le fond, toutes les grandes religions sont des cultes du sang et de la mort. Nous adorons ce qui nous remplit de terreur.
L'humanité toute entière est un collectif d'enfants gâtés.
Une culture raffinée, ça ne sert à rien quand on se fait écraser par le premier envahisseur venu.
De manière persistante, au fil des siècles, revient l'hypothèse selon laquelle la réalité ne serait rien d'autre qu'une construction mathématique. L'idée est rarement populaire, et quand elle est énoncée, on l'oublie le plus souvent, et elle va fermenter dans des livres peu lus sans jamais être reprise. Puis, quelques décennies ou siècles plus tard, quelqu'un d’autre va la formuler, dans un contexte différent, avec des caractéristiques qui n'ont pas grand rapport avec la fois précédente ; mais l'hypothèse se perpétue, et continue à infecter les esprit par intermittence.
S’il y a bien une chose que la Crécerelle sait avec certitude, c’est qu’elle aime jouer avec la mort, l’étreindre de près, la regarder dans le blanc des yeux – mais elle n’a aucune envie de la laisser gagner.
- Il semblerait que vous essayiez de perturber notre procédure. Cela pourrait mettre en péril le bien-être de la ville.
- Son bien-être ? Est-ce que vous avez vu l’état des citoyens aux niveaux supérieurs ?
- L’état des unités individuelles n’a pas d’importance. Seule prime la cohésion du système.
Nous sommes les victimes de crimes que nous avons commis plus tôt, et les bourreaux actuels de ce que nous serons demain. L'humanité se mange elle-même, et la recette de ce festin est la séparation. La roue éternelle est un serpent qui s'ingère lui-même. C'est notre mythe de l'individualité qui nous permet d'occulter ces vérités.
Si la Crécerelle avait été un homme, sa légende serait-elle aussi noire ? Notre culture aime les tueurs et les brigands, du moment qu’ils sont charismatiques. Son premier défaut, ce fut son sexe : l’imaginaire fit d’elle une sorcière, une dévoreuse. Mais son deuxième, c’était sa haine du monde. Elle a toujours refusé de participer à la construction de son propre personnage. Un héros, ce n’est rien qu’un tueur qui soigne son image
L’autre facteur de variété est la quatrième épouse du Publicain, la Tétragyne, qui a la garde la bibliothèque. Le Publicain a cinq épouses et trois époux, et si les époux sont surtout là pour son plaisir personnel – ils ont tous entre quinze et trente ans –, ses épouses remplissent des rôles-clés dans la bonne tenue de son administration. Plus jeune que ses quatre commères, bien qu’arrivée l’avant-dernière, la Tétragyne est chargée d’une tâche moins ostentatoire, mais la tenue de la bibliothèque reste aux yeux du Publicain une responsabilité de premier plan. Pendant que la Protogyne s’occupe des comptes de la maison publique, que la Deutérogyne gère l’infrastructure de la cité, que la Tritogyne fait des bonnes œuvres dans le faubourg et que la Pentagyne s’occupe des relations diplomatiques avec les cités voisines, la cadette classe et reclasse les codex, s’assure que les rouleaux sont bien étiquetés et tente de circonscrire les risques d’incendie. L’humidité des caves n’est pas idéale pour la conservation des ouvrages, mais au moins elle garantit qu’ils ne brûlent pas comme du bois sec.
Un héros, ce n'est rien qu'un tueur qui soigne son image.
Parmi les rayonnages, elle peut faire des promenades de plusieurs heures : le propre d'une bibliothèque est de vouer un culte au livre non seulement comme récipient d'un savoir, mais comme objet, toutes ses tailles et sous toutes ses formes. Il y a un plaisir à parcourir les travées en caressant le dos des livres de la paume, à construire des pyramides instables avec les volumes les plus gros, voire à sentir l'odeur de vieux parchemins, une odeur qui doit avoir été sentie déjà par les premiers conservateurs, il y a des siècles de cela.
Ils sélectionnaient un fil de l'écheveau des mondes et le forçaient à devenir réalité.
Ce n'est pas parce que des gens ne gênent pas leurs voisins qu'ils ne se traitent pas comme de la merde entre eux.
Les quatre voyageurs ont l'air surpris de voir une jeune femme méridionale assise en travers de leur chemin, à quelques pas. Ils s'arrêtent, et aucun d'entre eux ne prend d'initiative. Un groupe tel que celui-ci, c'est un peu comme un corps politique : ce ne sont pas tant la morale ou la raison qui informent la prise de décision qu'une volonté partagée de ne pas sombrer dans le chaos. Demandez à quatre personnes de partir en quête d'une relique perdue pendant plusieurs semaines, qui deviennent plus mois, et vous aurez pour résultat cette tension haineuse, propre à ceux qui en sont venus à se haïr, mais qui savent qu'ils agissent tous dans le même but. C'est un équilibre du dégoût qui mène à l'apathie.
Si la Crécerelle avait été un homme, sa légende serait-elle aussi noire ? Notre culture aime les tueurs et les brigands, du moment qu'ils sont charismatiques. Son premier défaut, ce fut son sexe : l'imaginaire fit d'elle une sorcière, une dévoreuse. Mais son deuxième, c'était sa haine du monde. Elle a toujours refusé de participer à la construction de son propre personnage. Un héros, ce n'est rien qu'un tueur qui soigne son image.