Citations de Paul Nougé (53)
Je t’attends
Je t’attends
je t’attends
depuis si longtemps
La tête embarrassée de projets
La tête embarrassée
de projets
de craintes
et de songes.
Le jour se lève.
Le sommeil ouvre les portes
Le sommeil ouvre les portes
Nul ne les entend tourner
Elles tournent cependant
Et l’on perd à chaque coup au jeu des mots et de toutes
les couleurs …
Des merveilles équivoques circulent au travers de nos
discours changeants.
Frontière
Madame
la mer est vaste
belle
sans espérance
sirène
ô ma bouée
Watteau peut-être
Blanche, longue
une main, arbre fleur fruit
exténuée
La voix de cet homme
La voix de cet homme
habitait une pâleur étincelante :
j’en ai vu, disait-elle,
de toutes les couleurs.
Rien dans les mains
À la limite des limites, un peu au-delà, à la fin des fins,
au matin des matins, la terre vient de finir, le dernier
visage se ferme sans bruit,
personne ne se retrouve.
L’arbre
L’arbre de Simone pousse ses branches vers le ciel
et ses racines vers le centre de la terre.
Il y a des années qu’il en est ainsi.
Si bien que les feuilles bruissent au milieu des nuages
et les racines rôtissent au feu qui est sous la terre.
Simone tourne le dos, elle ignore son arbre.
Simone est morte ce matin.
Elle est Sauvage et Craintive
Elle est sauvage et craintive,
elle s’enferme dans ses mains de verre,
ses mains qui l’étonnent comme le passage des saisons,
les rébellions de sa chevelure et de ses rêves.
L’ombre de l’été est incertaine.
Elle s’épaissit mais devient courte.
Il ne lui reste qu’un liséré d’ombre.
Encore un peu, c’en est fait, la lumière la brûlera vive.
Ses yeux vont s’ouvrir, ses mains se briser,
si le paysage soudain gelé ne s’unissait au ciel
pour faire ainsi un bloc transparent,
pour les craintes d’Elise une prison de verre
jusqu’à la fin des temps.
Passage de Midi
Le parfum de ce corps écartait les vêtements trop faibles
et la clarté oblique de la chair achevait de dénuder la femme
blanche mollement étendue.
Les cloisons de la chambre ne résistaient pas davantage et
bien que l’on fût à l’instant de midi,
les fenêtres s’emplirent soudain d’une épaisse nuit sucrée.
Les mains parlaient à la blancheur abandonnée
que l’on savait délicieusement tendue de sang
et les ventouses des yeux en gorgeaient la tête avide.
Enfin, la forte roue de l’ivresse
entraîna cet univers nouveau
qui retrouvait ainsi la marche liquide
des premiers instants du monde.
Dans les Yeux des Enfants
Dans les yeux des enfants, tu glisses des mots de toutes
les couleurs.
Tu racontes les plus belles histoires, – rien.
Un oiseau remue doucement dans les yeux sans ouvrir
ses plumes.
Une graine se connaît seule au fond de la terre glacée.
Ronde, fermée ; soleil, printemps et la forêt, elle est.
Rien. Elle est.
Et les enfants se promènent amoureusement
au fond de leurs yeux de toutes les couleurs.
Au temps de l’Alphabet
des pieds des mains pour rire
mais les yeux pour pleurer
un bel oiseau se mire
des pieds des mains pour rire
la nuit vient de tomber
le pied boitera
la main sèchera
le monde mourra
mais moi moi moi …
laissons le monde dire
et les yeux se fermer
un bel oiseau pour rire
des pieds des mains pour rire
la nuit peut bien tomber
la nuit peut bien tomber.
Un homme s’endort
Un homme s’endort à regarder sur l’eau
un petit cercle de soleil.
L’inquiétude
Elle attend, se lève, se mire
puis elle attend, se lève, se mire
attend, se lève, se mire
dans un miroir blanc
où ses seins blancs
pointent, se noient et se retrouvent.
La boule de feu
La boule de feu tourne en silence
un vif oiseau vit au milieu
une femme ailée, un air de danse.
J’ai perdu la clef de mes yeux
J’ai perdu la clef de mes yeux
et la forme de mes paroles
j’ai perdu ma tête transparente
et mes mains d’algues rouges
J’ai faim, j’ai faim
J’ai faim, j’ai faim
pardonnez-moi de vous couper
la parole
Music-hall
Les épaules et les hanches
dansaient à damner les anges
dans un vertige de couleurs
au gré de trente projecteurs
TYLDA
Je suis assise sur ta bouche
sur tes regards sur tes mains
je suis l’envers de ton destin
si tout entière tu me touches
Mains parallèles
Le paysage hésite à mi-chemin de la pluie et du soleil.
Délicieuse plénitude de gris
riche de toutes les couleurs dominées.
Elles y sont toutes en une saveur unique.
Un fruit scelle pour l’hiver
l’ardeur mouvante de l’été.
L’esprit n’est à cette heure
qu’une seule pensée.
Mais la présence tournante
de toutes les pensées.
Calmes devant soi, les mains au repos
les mains parallèles.
Les yeux devant soi.
Soi-même devant soi.