Citations de Paul Nougé (53)
"Plus de conscience", le pathétique appel de Karl Marx, le mot d'ordre essentiel du vieux prophète, l'on ne saurait trop louer Magritte de l'avoir clairement entendu.
René Magritte ou la révélation objective. 1936.
Dormeuses
Les princesses du sommeil
s’étendent sur les nuages
et s’enfoncent à la nage
dans l’écule du soleil
MIROIR
Ouverte au jeu des mirages
équivoque immensité
pure ici de n’exister
qu’à la merci d’un visage
Ha !
Ha !
regarde passer cette
bouteille cachetée
ce message à la mer
Perdues
Perdues
les armes déclinantes,
les grandes femmes vêtues de leur corps
et qui vers vous jamais ne tournent
leur visage
perdu
gagné
l’on retombe dans sa tête.
Le perroquet de ma voisine
Le perroquet de ma voisine
mange une branche de persil
et le phono de mon voisin
vient écraser la queue du chien ;
le malheur pleut sur notre ville.
Les quatre demoiselles
La perfide et la rouée
la précieuse et la pâmée
- les jeux menés par la raison
s’abattent au gré des saisons
Non plus de quelque architecture aérienne et trop pure
Non plus de quelque architecture aérienne et trop pure,
quelque complexe et subtil jeu de lignes à travers quoi
pour l’éternité joue le vide.
Il s’agit de descendre. Plus bas. Encore plus bas.
Nous sommes au niveau de la terre noire,
au niveau des odeurs humides, de la fraîcheur obscure,
au niveau de la naissance des pensées verdoyantes.
Nous sommes chez nous.
Il y aura peut-être quelque part
Il y aura peut-être quelque part
un poêle qui brûle
un repas
un lit
un sourire
Bonne volonté
Chacun y mettait du sien
La forêt, ses croupes bleues.
Le ciel, son plus blanc nuage.
L’eau, sa transparence.
Marie, toute nue, son corps au fil de l’eau.
Et toi, dans le paysage, ton pas égal vers la mer.
Il croit distinguer un fin réseau de veine.
Il croit distinguer un fin réseau de veine.
Il se prend à désirer de toucher cet éventail presque impalpable.
Et le bras qui soutiennent cette fine ramure bleue.
Et le corps dont vivent les bras et le visage qu’il distingue mal
à cause de la lumière ou de sa honte.
Et voilà qu’il regarde sa main s’avancer vers la main de la femme.
Il va la toucher.
Elle retire la main.
L’orageux éventail
L’orageux éventail des saveurs défendues
Ravage l’univers à chaque battement
Présence
Le jardin appuie à la fenêtre son épaisseur de fumée.
La nuit vient doucement s’appuyer au jardin.
Marie (elle est assise à la fenêtre) entrouvre un peu sa robe,
ses épaules se découvrent.
Elle attend au tournant de la nuit.
Elle attend. Passe un doigt lentement sur ses lèvres.
Son doigt sur ses lèvres fait le signe du silence.
Elle attend. Passe les doigts à peine sur ses cheveux,
sur ses bras qui sont nus.
Garde les yeux ouverts sur le cœur de la nuit.
Et le jardin recule à peine,
quitte la fenêtre, comme la nuit tendrement se sépare du jardin.
C’est qu’un peu d’aurore rougit le mur, la fenêtre,
toute la femme appuyée au matin.
Présages
Les poissons descendent la rivière
en chantant à tue-tête;
il fera beau demain.
Le promeneur
Pierre a beau dire, Marthe ne dit rien.
Elle trace sur la buée le signe de son cœur.
Etienne passe qui le vole, déguisé en promeneur.
Attente incertaine de la pluie
Attente incertaine de la pluie
puis l’outre noire épanche
ses larmes violentes.
Angle des toits
et les rues enfuies et tournantes
les rues, encore,
ville née d’un éclair et morte avec lui.
C’est une lueur tournante
C’est une lueur tournante qui s’engage dans les ruelles au crépuscule.
On ne pourrait dire si un visage habite cette clarté étrange,
ou bien des mains monstrueusement pâles qui frappent aux vitres
obscures, qui regardent.
Au fond des chambres sans lumière,
les visages se cachent au fond des mains.
Puis un vent bleu de nuit possède la rue déserte.
Allumette
Allumette, le feu qui dort,
le miroir est l’eau qui dort,
qui rêve ton image, si tu te regardes.
Il y a dans une chambre obscure
Il y a dans une chambre obscure un homme assis devant
une table,
accoudé, la tête entre les mains.
Tu peux distinguer entre le col et las cheveux
les moindres lignes de sa peau.
Il n’existe entre lui et nous
qu’une grande épaisseur de silence.
La liberté
La liberté
le silence
l’espace d’une allumette