J’ai vidé mon sac à tes pieds
et pour ta peine tu ramasses
les morceaux désarticulés
de ce qui fut de ce qui passe
relève-toi que je t’embrasse
entre mes bras désaccordés
déjà tu fuis
mais sur la trace
jusqu’à la nuit je marcherai
jusqu’à la nuit où on trépasse
de ce long jour éternisé
sur le visage où rien n’efface
la marque rouge des baisers
« Peut-être les amandiers n’étaient-ils que les fleurs d’un rêve … »
Le temps s’écoule, sans mesure. Combien d’adultes sauraient dire l’âge qu’ils ont ? On ignore les chronométries artificielles : quelques églises ont des cadrans solaires ; certains clercs conservent l’antique usage des clepsydres ou des sabliers. Il faudra le développement du commerce et les exigences des affaires pour que naisse, au XIIe siècle, avec le sens de la vraisemblance numérique, le désir de plus d’exactitude. L’invention, au XIVe siècle, des horloges mécaniques, annoncera le début d’une ère nouvelle. L’année se déroule selon les rythmes de la nature : la représentation des mois deviendra bientôt un thème pour les peintres. Pendant la réclusion de janvier, on répare les outils, on soigne les bêtes à l’étable. Février appelle aux premiers travaux des champs. Mars, avril : labours, taille des arbres, semailles. Le monde renaît ; des couples se nouent ; bientôt la nuit du 1er mai réunira paysans, seigneurs, bourgeois – et bien des clercs sans doute, malgré les condamnations portées par les conciles contre ces coutumes païennes – auprès d’une source dans la clairière : les femmes danseront, en chantant des refrains très anciens, dont le sens peut-être s’est perdu. Voici le temps des chevauchées et de la guerre. On lâche les bêtes dans le guéret. Les chemins s’animent. En août, le rythme des fléaux retentit sur l’aire ; septembre ou octobre, selon les contrées, ramèneront la vendange. Après les semailles d’automne et l’abattage des porcs, tombe la première neige, puis décembre rassemble dans les maisons les familles dispersées : époque des longues veillées où se transmettent les légendes...
Viens donc Que rien ne nous amarre
Au port que rien ne
Lie nos lendemains
Entrelacés
Ni le parfum des phrases dans la bouche ni le mot
Tu ni la fleur mûre
Inclinée sur le lac muet de
Nos yeux
Toi mon amour dans la tourmente
toi mon pôle où tourne le temps
je hisse mon âme écumante
dans l’ombre folle où je t’attends
Quand tu descendras sur le monde
toi mon soleil inavoué
que trouveras-tu sous la sonde
au fond de nos cœurs bafoués?
Les mots que je n’ai pas su dire
ce que pour toi j’aurai vécu
les échos lointains dont expire
l’ultime cri qu’on aura tu
Alors se lèvera le jour
où nous foulerons d’un pied sec
les fleurs de sel et de varech
sur le rivage de toujours
Quel océan gonflait la vague
qui me jeta comme une épave
tous les cadavres sur le cœur
roulant dans la rumeur des mondes
leurs faces vertes et la ronde
de leurs mains aux brisants de moi?
Sans fin la plage est recouverte
j’ai noyé mon amour inerte
dessous la froideur de leur sang
et dans ma cécité j’écoute
ton âme torturée et toute
frémissante vers la lumière
des dieux perdus qui se dévoilent
dans le regard de ces étoiles
captives au fond de leur nuit.
Écoute battre sur le roc
le flux aveugle de mémoire
je suis le roc je suis l’histoire
un soir je mourrai de leur choc
moi je mourrai dans ta lumière
sur l’océan incandescent
battu des flots de mes hiers
er de demain évanescents
Écoute sourdre la rumeur
de tant de passés confondus
où sombrèrent trop de rumeurs
aux esquifs de vaisseaux perdus
Naufragé du dernier récif
dans la sourde marée en moi
à ce corps unique et naïf
accroché sous les feux de toi
Patrick Moran "Pour Zumthor, la différence entre la lettre et la voix n’est pas avant tout cognitive, elle est sociale : une société fondée sur la voix vive n’est pas la même qu’une société fondée sur l’écrit. En d’autres termes, le propos de Zumthor est (par moments) politique, alors que celui de McLuhan est épistémologique."
Mots écrits
mots et cris
infime griffure
trace d’ongle sur la dalle
indéchiffrée
de quelle mort?
« Des gens qui reviennent de bataille, même vainqueurs, sont des vaincus »