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Critiques de Pauline Delage (9)
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Inès

« Sale Pute… » ces mots, encore et toujours ces mots. Ceux qui rabaissent et claquent souvent plus forts que les coups…

Ils résonnent dramatiquement dans cette histoire, celle d’une femme subissant la violence physique et psychologique de l’homme avec qui elle vit. Un anéantissement latent tellement banalisé par notre société qu’il finit dans la rubrique « faits divers » accompagné de ce décompte macabre, remis à zero chaque année (comme s’il fallait oublier les féminicides de l’année précédente), alors qu’il devrait nous faire hurler dès la première victime.

C’est l’histoire d’une violence sordide écrite avec des larmes de sang comme il en coule des yeux des femmes laissées à la merci des coups de leur tortionnaire.

L’histoire d’un silence coupable d’une société qui regarde ailleurs. Celle d’un échec, de notre incapacité à aider et protéger ces femmes (et quelques hommes également) qui vivent reclus dans la peur viscéral d’un regard, d’une parole ou d’un geste qui pourrait dégénérer. Celle de cette ritournelle hypocrite accompagnant chaque drame: « elle était tellement gentille et courageuse, si on avait su… » alors que les indices et les signes d’une situation dangereuse étaient sous les yeux de tous.

C’est l’histoire d’Inès, petite fille dont les yeux reflètent l’innocence et le coeur bat sous les câlins de sa maman, à la vie à jamais brisée.

Au travers de ce roman graphique, les auteurs délivrent une lecture tout simplement bouleversante mais plus qu’indispensable autour d’un féminicide, mettant en relief par des traits fins et l’utilisation de teintes sombres, la noirceur absolue de cet acte. Ce noir prend d’ailleurs toute sa place dans le dessin à mesure que le mal qui ronge cet homme malade se manifeste. Le scénario est, malheureusement, simple, simple comme tendre une main à une personne en danger. Le dénouement va, malheureusement encore, sonner comme une fatalité, une fatalité à l’image des coups qui pleuvent ou de ces yeux de l’entourage proche ou familier qui se ferment pour ne pas voir, ne pas (ré)agir.

J’ai tourné la dernière page glacé et avec ce sentiment de culpabilité qui devrait tous nous habiter devant ce décompte qui chaque jour égraine, encore et encore, ces âmes brisées.

A lire pour mettre la lumière sur la réalité, derrière le chiffre, des violences conjugales et lever ce tabou insupportable pour tendre la main ou offrir son regard à cette femme (ou cet homme) en danger mais que personne n’a le courage d’aider.
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Droits des femmes, tout peut disparaître

Les moyens de l’égalité contre les cécités de l’équité, de la complémentarité ou de la symétrie…



Dans son introduction, Pauline Delage critique, entre autres, une certaine conception du féminisme et de l’égalité « qui renonce à transformer les structures sociales ». Elle indique que « Les droits des femmes peuvent alors être pensés comme une question édulcorée, indépendante de toute autre question politique, et sans rapport avec d’autres inégalités sociales ». Dit autrement, la négation ou l’éviction des rapports sociaux – en particulier de classe, de sexe, de racisation – et de leur imbrication ne permet ni de penser ni d’agir dans le sens de l’émancipation.



Les attaques contre les droits des femmes ne viennent pas que des groupes conservateurs – religieux ou non – bien aussi des politiques néolibérales, « des transformations de l’Etat qui passent par exemple par des restrictions budgétaires ». Des droits sans moyens ne sont pas réellement des droits. Des droits laissés en gérance aux institutions, sans volonté de les étendre et de les approfondir, et/ou, sans pratiques auto-organisées des principales intéressées, ne peuvent qu’être dissous dans les espaces marchandes et/ou relégués comme secondaires.



« C’est le projet de ce livre : proposer un retour critique sur les acquis des droits des femmes pour repenser et promouvoir l’égalité entre toutes et tous »



Pauline Delage rappelle que les droits des femmes sont une conquête récente, voire très récente. Droit d’aller à l’université sans autorisation de leur époux (1938), droit de vote (1944), droit d’ouvrir un compte en banque et d’exercer une profession sans autorisation de leur époux (1965), droit à la libre disposition de son corps et droit à la contraception (1967), droit de disposer librement de son salaire pour les femmes mariées (1970), droit à l’interruption volontaire de grossesse (1975), viol non considéré comme un crime jusqu’en 1980, viol par un époux non reconnu jusqu’en 1990…



Il convient aussi de rappeler les oppositions farouches des élus de droite et quelques fois de gauche à ces réformes, auxquelles j’ajoute le divorce par consentement mutuel, l’extension et la gratuité de l’avortement, le PACS puis le mariage pour toustes… L’égalité réelle des salaires, la représentation en politique, l’arrêt du harcèlement et des violences sexistes et sexuelles, le partage du travail domestique, etc. ne semblent toujours dans l’agenda de la soit-disante l’exceptionnalité française ! La division sexuelle du travail, pour en rester au système de genre, n’est pas remise en cause par la très grande majorité de ces hommes – et quelques fois de ces femmes – qui n’hésitent cependant pas à faire des droits des femmes un oriflamme dans leur combat haineux contre d’autres populations. Constater et apprécier les interventions publiques, approuver certaines avancées législatives, dans la seconde moitié du XXème siècle pour « lutter, réguler, encadrer les inégalités entre les femmes et les hommes » est une chose, les ériger en « valeur nationale » en est une autre. Et les doigts pointés contre de réelles inégalités sont aujourd’hui souvent orientés vers des autres, en particulier des musulman·es, ou supposé·es tel·les, qui seraient intrinsèquement et par essence contre l’égalité, dans le silence assourdissant de la majorité des violences et du sexisme ici et maintenant.



J’ajoute, en reprenant des réflexions déjà publiées, que le système de genre est imbriqué à d’autres rapports sociaux (classe, race, génération, etc.). Les configurations concrètes sont les fruits de l’histoire, des résistances et des luttes, des contraintes institutionnelles… Il est à mes yeux vain de penser une configuration comme plus ou moins « conservatrice » ou « émancipatrice » de manière a-historique. D’ailleurs dans le cas du (non)partage des tâches domestiques, des violences exercées par les hommes sur les femmes, de la consommation de la pornographie, de la participation au système prostitueur, de l’inégalité dans l’utilisation des revenus – pour ne citer que cela – les études (ou moins ce que j’en connais) ne montrent pas de différences significatives entre groupes sociaux – pour autant que le groupe social soit un agrégat adapté à ces études. Sans oublier que la division sexuelle du travail s’y décline sans exception. La culturalisation et l’essentialisation de pratiques sociales ne visent qu’à dédouaner ses propres pratiques, de dénier ses propres constructions sexistes… Autre chose serait d’étudier les tensions et les contradictions à l’oeuvre dans chaque situation, les mobilisations concrètes, les processus d’auto-organisation et d’émancipation. Constater les formes différenciées des rapports sociaux, des dominations ou des inégalités, ne doit cependant pas conduire à leur négation au nom de considérations « culturelles » voire soit-disant « anti-impérialiste ».



Comme l’écrit l’autrice, « le discours égalitariste masque toutefois une réalité toujours inégalitaire ». Elle aborde, les rappels – parfois très violents – à l’ordre social toujours sous le contrôle des hommes, les mécanismes inégalitaires « fondés sur la différenciation et la hiérarchisation du féminin et du masculin ». L’égalité n’est pas acquise. Et le traitement néolibéral, toujours dépolitisant, participe de l’érosion des potentialités émancipatrices.



« Les droits des femmes sont donc en péril, et ce livre cherchera à démontrer en quoi la conception dominante de ces droits constitue elle aussi un danger, un danger de l’intérieur ».



Pauline Delage analyse les politiques d’austérité et leurs conséquences, l’extension de la « logique du marché » porté par les institutions publiques.



* L’interruption volontaire de grossesse – IVG – une pratique toujours stigmatisée, un événement perçu comme exceptionnel, une manière de déviance par rapport à la maternité omniprésente, la précarité des dispositifs d’accès à la contraception et à l’IVG, un droit pas vraiment considéré comme droit pour toutes les femmes.

* Les politiques de la petite enfance, la régulation de la division sexuée du travail, « le passage de politiques redistributives – à travers l’allocation de politiques sociales aux politiques incitatives – à travers des politiques fiscales qui encouragent les acteurs privés à produire des formes de protections sociales », la responsabilisation individualisée en lieu et place de droits pour toustes…



* Les inégalités au travail, les impacts des politiques néolibérales sur les salariées, la division sexuelle (et raciale) du travail, les lieux masculinisés et les espaces féminisés, la séparation entre les « sphères publiques et privés », la différentiation entre les espaces et les tâches suivant le sexe, la naturalisation des compétences et leur non-reconnaissance, « des compétences relationnelles considérées comme innées et donc déqualifiées », la ségrégation au travail et les différences salariales persistantes (En complément possible, Rachel Silvera : Un quart en moins. Des femmes se battent pour en finir avec les inégalités salariales), la notion de charge mentale, la planification des tâches domestiques assignée aux femmes (une routine encombrante et des effets permanents, dont les hommes se sont auto-dispensé), les usages sociaux genrés, le temps partiel renforçant les inégalités…



* L’égalité au travail, le ciblage de certaines femmes dans l’oubli volontaire de toutes, l’égalité réduite à la représentation, les sales boulots et celles qui le font. J’indique cependant que le rapport social de travail ne peut être réduit aux conditions de travail, au cœur du rapport salarial c’est bien d’exploitation qu’il s’agit.



* Le droit pour exclure, un foulard interdit, les diktats de la « panique morale » (En complément possible, Laurence De Cock et Régis Meyran : Paniques identitaires. Identité(s) et idéologie(s) au prisme des sciences sociales)

* Les interdits imposés aux femmes, les obligations imposées aux femmes, le contrôle social sur leurs corps… Je souligne que le monopole d’embauche et l’arbitraire patronal se traduisent aussi par des obligations vestimentaires et de présentation imposées à d’autres femmes (jupe, maquillage, sourire, etc., sans oublier la « minceur » survalorisée). Les femmes sont sommées d’être à l’image fantasmée et socialement construite de la « femme ». L’autrice rappelle à juste titre que « le choix est toujours contraint par un contexte social et historique qui limite le champ des possibles ».



Rien ne devrait limiter la liberté de conscience et ses pratiques associées, ni dans les entreprises ni dans les écoles. Il en est de même du droit d’expression politique. Aucun espace ne peut-être considéré comme « neutre » et restreint aux libertés des citoyen·nes.



* Hier les élèves ne pouvaient exprimer leurs convictions politiques, aujourd’hui les convictions religieuses devraient rester à la porte de l’école – mais pas les jours fériés issus du catholicisme dominant (sans même parler de la réduction d’une parure à un seul code social qui serait uniquement religieusement défini), les lectures de la loi de 1905 se font excluantes . L’imposition pour le « bien » des femmes conçu par d’autres qu’elles-mêmes, reste toujours la même ritournelle. J’ajoute que les censeurs des expressions publiques d’inclinaison religieuse semblent bien muet·tes sur les autres multiples obligations arbitraires issues ou non des familles !



* Pauline Delage montre comment se fait la construction de coupables idéaux du sexisme, – en négation du sexisme dans l’ensemble des groupes sociaux, l’attribution à un groupe spécifique de pratiques communes à tous les groupes. Une idée du sexisme sans lien avec les rapports sociaux et leur imbrication. L’autrice rappelle que les agressions sexuelles et les viols – dont les viols conjugaux – sont principalement le fait de proches et non d’inconnus dans les rues (En complément possible, Marylène Lieber : Genre, violences et espaces publics. La vulnérabilité des femmes en question), que les espaces publics sont toujours pensés et construits pour les hommes (En complément possible, Yves Raibaud : La ville faite par et pour les hommes et Travail genre et sociétés n° 33 / 2015 : Le genre, la ville. Des politiques bien républicaines de sexuation des espaces au bénéfice des hommes…



* Elle aborde aussi, les lectures culturalistes des violences masculines, l’insécurité comme une donnée qui serait naturelle aux femmes, les visions naturalisées des comportements des filles et des garçons, le contrôle des femmes dans les espaces publics, les contrôles policiers orientés vers certains, le harcèlement des femmes dans tous les espaces géographiques, l’utilisation de « valeur égalitaire » pour justifier l’exclusion de certaines, le sexisme du « sommet », la complémentarité et les rôles sexués tant vantés par les « élites » de tout poil (je rappelle les luttes des femmes tunisiennes pour l’égalité et contre la notion de complémentarité que certains voulait imposer), le combat acharné de l’église catholique contre la notion de genre (en complément possible, Sara Garbagnoli et Massimo Prearo : La croisade « anti-genre », du Vatican aux manifs pour tous), les « discours anti-féministes produits et diffusés en haut de l’échèle sociale »…



* D’autres chapitres sont consacrés à l’exclusion par le langage, ce masculin qui devrait l’emporter sur le féminin dans une grammaire sexiste inventée par l’Académie française (En complément possible, Eliane Viennot : Le langage inclusif : pourquoi, comment) ; à « L’encadrement de la famille » et le refus de la PMA pour toutes les femmes ; à la rhétorique masculiniste et aux droits des pères (En complément possible, Collectif Stop Masculinisme : Contre le masculinisme. guide d’autodéfense intellectuelle)

L’égalité se perd dans les formes édulcorées de l’équité ou de la symétrie, « L’égalité est alors dissociée de lutte contre les inégalités toujours existantes entre les femmes et les hommes et se confond avec l’idée de symétrie »



Contrairement à l’autrice, je ne pense pas qu’il puisse y avoir un « féminisme libéral », pas plus qu’un « socialisme libéral », mais bien des politiques libérales qui s’appuient sur la promotion de certains droits pour certaines femmes ou sur de vagues promesses sans « s’accompagner de financements conséquents » (je rappelle, l’incontournable ouvrage d’Andrea Dworkin : Les femmes de droite) . Notre société reste bien une fabrique de l’inégalité, « le genre est producteur d’inégalités qui s’incarnent dans les corps, dans les visions du monde, dans les familles et les espaces publics » et les projets néolibéraux sont bien une possibilité de « renouvellement de la domination sociale et culturelle ». La question est donc bien de re-politiser les droits des femmes (En complément possible, Alternatives Sud : De l’usage du genre)

Outre certaines remarques déjà faites, je trouve discutables la notion de « classe moyenne » utilisée pour des salariées subordonnées, l’idée d’un trouble possible dans la différenciation des sexes, l’opposition entre droit à l’IVG et les autres droits sexuels et reproductifs, l’oubli des hommes dans l’appréciation de la sous-traitance de taches aux femmes racisées – même si l’autrice indique que « les hommes restent gagnant ». Reste aussi à discuter certaines revendications de femmes à l’objectif de simple partage du pouvoir existant. Je rappelle que contrairement aux positions d’une grande partie du mouvement ouvrier ouest-européen, qui y voyait une revendication de bourgeoises, le combat des suffragistes et des suffragettes pour le droit de vote aurait du être soutenu…



Ici et à travers le monde, des luttes récentes, montrent que les femmes ne se laisseront pas faire
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Droits des femmes, tout peut disparaître

Livre intéressant sur les droits des femmes: quelques jalons sont brièvement posés, mais l'ensemble est plus complexe et aborde de nombreuses sous-thématiques.

Je ne partage pas certaines analyses mais dans l'ensemble j'ai trouvé intéressant le point de vue abordé et notamment la dualité progression/recul: en effet d'un point de vue théorique ou légal, les droits des femmes peuvent se développer, tout en étant accompagnés d'un recul concret dans les faits:



"Promouvoir la lutte contre les violences d'un côté et risquer de saper les fondements des droits déjà acquis: ces deux logiques ne sont pas contradictoires. Au contraire, c'est même là l'un des fondements de ce féminisme néolibéral. Les pouvoirs publics doivent pouvoir mettre en scène leur volontarisme en termes d'égalité de genre sans que les modalités concrètes de l'intervention publique soient cohérentes avec les objectifs affichés."



Certaines formulations posent problème:

"Faute de quoi, les "droits des femmes" continueront de nuire à tant de femmes: alors que les femmes des classes supérieures cherchent, parfois en vain, à atteindre les sommets des grandes entreprises, tout en conciliant leurs vies professionnelles et personnelles, d'autres femmes doivent s'acquitter des tâches domestiques et du soin des personnes vulnérables dans des conditions catastrophiques, en étant soumises à des cadences de travail infernales et à des horaires qui ne leur permettent que de s'adapter à leurs employeurs."

Ce qui nuit n'est certainement pas les "droit des femmes", ce sont les problèmes de classe sociales. Les avancées qui avantagent les femmes des classes sociales supérieures ne nuisent pas à celles des classes sociales défavorisées, elles ne les avantagent juste pas. J'apporte beaucoup d'attention à ces formulations, car j'estime qu'il y a de nombreux courants féministes et qu'il est dommage de se tirer dans les pattes à cause des quelques points de désaccords quand nous pouvons nous réunir sur le fond, et la majeure partie des points.

Bien sûr, il est intéressant de voir l'égalité femme-homme aussi à travers le prisme des classes.
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Droits des femmes, tout peut disparaître

D'un côté, l'égalité femmes-hommes est au centre de toutes les promesses politiques. De l'autre, les masculinistes partent du principe que l'égalité serait déjà acquise, le féminisme menaçant aujourd'hui les droits des hommes, battus et déchus de la garde de leurs enfants. Qu'en est-il réellement ?



Le féminisme proposé par les organisations étatiques est néolibéral et s'exerce au détriment des couches les plus défavorisées de la population. Comme Pauline Delage le démontre dans son livre, la véritable égalité femmes-hommes est loin d'être acquise et ne peut l'être qu'en prenant en compte les classes sociales, l'orientation sexuelle, la race, la religion, l'immigration, le métier. Il s'agit pour les féministes actuelles de ne pas s'endormir sur leurs lauriers. "Droits des femmes, tout peut disparaître" en est un rappel bienvenu.



Note : cet essai se base sur la situation politique actuelle en France.
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Violences conjugales

Un rouage violent de la reproduction de la domination des hommes sur les femmes



Dans son introduction, Pauline Delage revient sur l’histoire de la question de la violence conjugale, du milieu du XIXème siècle à aujourd’hui. Violence le plus souvent envisagée comme une question d’orde privé jusqu’au bouleversent des années 1970 et l’élaboration d’« une grille explicative – liant les violences intimes aux inégalités et aux rapports sociaux structurels entre homme et femmes ».



L’auteure propose d’étudier l’émergence et l’évolution d’associations spécialisées dans l’accompagnement de victimes de violences conjugales en France et aux Usa. Elle précise que « les processus de légitimation des violences faites aux femmes dans les pays du Nord sont saisis sous l’angle des actrices impliquées dans les luttes féministes, de leurs difficultés quotidiennes, de leur travail auprès des femmes victimes et du sens qu’elles donnent au problème qu’elles portent dans le monde social ». Deux questions : « comment la cause de la violence conjugale, formulée par des groupes féministes, est-elle devenue un problème public ? Quels sont les effets de cette transformation sur la cause militante et sur les groupes qui la portent dans la société ? ».



Faire des études comparatives me semble indispensable. Les luttes ne sont pas indépendantes des contextes et donc des fonctionnements institutionnels. Les constructions historiques ne sortent pas du néant. Analyser un seul cadre socio-politique ne permet pas de saisir l’ensemble des contraintes et des contradictions. Ne pas prendre en compte les formes institutionnelles c’est écarter des formes sociales plus ou moins cristallisées dans le temps et leurs impacts sur les réalités socio-politiques.



Si « la violence conjugale n’est pas une fiction », la façon de nommer, de formuler, de définir n’est pas stable dans le temps. De la dénonciation militante à la « construction d’un problème public », l’activisme féministe, les transformations d’un mouvement social, l’institutionnalisation et ses logiques propres, la professionnalisation, les perspectives relationnelles comme le rattachement de la cause de la violence conjugale à d’autres causes – le viol par exemple.



L’auteure décrit le cadre de son enquête, le comté de Los Angeles, l’Ile de France, les trois niveaux : sociohistorique, ethnographique et comparatiste, les contextes institutionnels, professionnels, militants…



La violence conjugale et sa fonction sociale, le « personnel est politique », le refus d’en rester aux conflits interpersonnels comme hors des rapports sociaux, le contrôle et la domination des hommes « jusque dans l’intimité des femmes ». Une grille de lecture féministe. Et la création d’espaces de prise en charge des femmes victimes.



Pauline Delage revient sur la question du viol dans l’analyse féministe, « la dimension sociale et généralisée de l’expérience individuelle du viol », le viol comme « un mode de contrôle social qui façonne la subjectivité des femmes », ce vécu individuel et collectif qui « travers la vie de toutes les femmes, victimes directes ou non », la parole des femmes dans les mobilisations contre viol, le caractère politique de la volonté de dire…



L’auteure décrit, entre autres, les approches en France et aux Etats-Unis, les liens avec la justice pénale, le déni social des violences exercées sur les femmes, les batailles de reconnaissance et de publicisation, les prémisses d’un « problème public ». Elle analyse le déni de la violence dans le couple, le rejet de responsabilité sur celles qui en sont les victimes, le statut marital comme légalisation de l’appropriation du corps des femmes par les hommes, les rapports de domination et non des rapports interindividuels ou de « subjectivités pathogènes »… Elle détaille des dispositifs, les premiers centres d’accueil et d’hébergement, un « collectif national » en France et des « dispositifs locaux » aux Usa, le « venir en aide » et la « division de l’espace féministe », les problèmes liés aux financements et à la professionnalisation…



« Toutefois, dans les deux pays, les associations spécialisées héritières des féminismes se concentrent désormais sur la production de services pour les femmes victimes et sur la promotion de réformes, afin que les pouvoirs publics prennent en charge la violence conjugale »



Dans le second chapitre, Pauline Delage aborde « la cause militante au travail », les régimes professionnels, les conceptions du travail social, les collaborations et les échanges, les relations au féminisme, le travail bénévole et ses significations, les associations, « le travail des associations est façonné par la double influence d’un héritage féministe et d’un secteur professionnel », la place de l’écoute, les attentes émotionnelles façonnées par les représentations genrées, les contradictions et les tensions entre professionnalisation et politique, le mot survivor (survivante), la rhétorique du « choix des femmes », l’urgence de la protection et le temps long de la reconstruction, la place de la confidentialité et de l’anonymat, la sécurité des femmes à assurer, les théorisations psychologisantes ou essentialisantes, les impératifs façonnant la vie des centres d’accueils, les lieux de socialisation féministes…



Dans le troisième chapitre, l’auteure saisit la place des associations « dans la constitution et la mise en œuvre de l’action publique », les relations qu’elles établissent « avec les institutions étatiques à des échelles variées ». De part et d’autre de l’atlantique, les actions différèrent, la pénalisation aux Usa, la notion d’égalité prédominante en France. Pauline Delage analyse les modifications dans le traitement institutionnel des violences, cite la loi contre les violences dans l’Etat espagnol, souligne l’invisibilité des violences faites aux femmes dans les politiques et les statistiques publiques, « Avec le recours aux politiques de sécurité et d’aide aux victimes, l’accent mis sur ces dernières dans les politiques publiques tend également à rendre invisible, voire à remplacer, la dimension sociale et structurelle de la violence conjugale, participant de cette façon à occulter son caractère politique ». Elle aborde, entre autres, les actions publiques locales, les réseaux d’interdépendance, les définitions choisies et les contradictions engendrées, les dénégations des inégalités de genre, les normes juridiques et judiciaires, la méconnaissance des droits des femmes victimes derrière la « violence conjugale », le poids de la pénalisation aux Usa, la division du travail militant et la hiérarchisation des causes, l’évaporation du féminisme de cet espace public…



Je souligne particulièrement le quatrième chapitre « Violence conjugale, le cœur des controverses », l’oubli ou le déni de l’asymétrie de genre, la distinction entre conflit et violence, la notion de contrôle par la domination de l’un sur l’autre, les lectures psychologisantes, la singularisation de la culturalisation d’un phénomène social, la non association de dynamiques interindividuelles et structurelles, l’occultation de la variété des formes de violence, la question de l’autodéfense (« la question des femmes victimes et coupables » – voir par exemple le procès de Jacqueline Sauvage), les campagnes masculinistes et les entreprises de dénégation de la spécificité et des causes des violences exercées sur les femmes, les représentations « libérales » des individus, la nécessité de penser le genre et la sexualité dans la violence conjugale…



En conclusion, Pauline Delage rappelle que les différentes formes de violences interpersonnelles doivent être comprises comme « les rouages du maintien et de la reproduction de l’oppression des femmes ». Elle souligne la double question sociale et pénale, le procès de légitimation de la question des violences conjugales comme problème public, les changements sociaux et institutionnels, des conséquences du découpage de l’action publique, « le découpage de l’action publique traduit des inégalités pensées ou impensables, tolérées ou intolérables ».




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Inès

Cette bande-dessinée me laisse sur ma faim. Traitant d'un sujet très sensible (les violences conjugales et plus généralement familiales), c'est un livre juste. L'entourage qui ferme les yeux. La peur sans cesse présente. Le sursis. Les dessins sont bien réalisés avec des couleurs qui mettent dans l'ambiance sombre de ces milieux clos. Pourtant je n'ai pas retrouvé d'émotions dans ce récit. L'émotion, on la comprend, on l'imagine du moins, car c'est quelque chose qu'on voit au quotidien parfois, dans notre métier, dans les médias, dont on entend parler. Mais le livre n'en laisse rien paraître et c'est dommage...
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Inès

Un récit qui vous prend au tripe.

Les mots, les dessins, les personnages, la fin...

Tout dans cette BD et si fort.

On se retrouve plongée a vif dans le quotidien de cette femme battue, violé, apeuré et soumis à cette homme terrifiant qui sans prend a elle et qui a tout moment peut sans prendre a leur fille.

La fin et très touchante et les parties ou on peut lire les écrits de la sociologue sont incroyables.

Malgré la dureté de cette BD je pense la re lire et je pense la conseillé a chaque personne me demandant une lecture intéressante rapide poignante et tristement vrais.

Tu ne re sort pas de cette lecture avec un simple goût amer mais avec tellement plus.

⚠ Il faut évidemment mettre des TW : Violence sexuel TW: Violences. Je ne conseil pas cette lecture au personne qui pense ne pas être asser solide mentalement pour supporter se qui et lus et vue dans cette BD⚠
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Inès

Inès est le récit poignant d'une femme battue, humiliée, insultée par l'homme avec lequel elle partage sa vie.

C'est aussi le regard de témoins qui sont interpellés par quelques indices mais dont l'inaction est aussi frappante que les coups que cette femme subit.

En quelques scènes, les auteurs parviennent à nous immerger totalement dans la solitude que vivent les victimes de violences conjugales et qui frappe au cœur.

Le dessin sombre et hachuré de Jérôme d'Aviau qui dévoile les coups et l'ombre dominante de l'homme sur sa famille est saisissant, plus encore lorsqu'il contraste avec les beaux moments vécus entre une mère et sa fille.
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Droits des femmes, tout peut disparaître

Toujours dans le cadre des 5ème rencontres du livre et du citoyen "droit des femmes le combat continue"



Les sujets abordés : le droit exclut les femmes, le sexisme sévit au sommets, quand l'état social ne l'est plus, quand les inégalités au travail persistent, quand l'égalité est vidée de son sens.

J'ai été interpelée,

J'ai réfléchi sur les idées préconçues que j'avais,

Mes croyances ont été chamboulées.



Un livre intéressant, une bonne analyse de la société, de la place de la femme au fil des années. L'auteure a fait énormément de recherches et de ce fait elle livre est texte très fourni en références littéraires.

Très instructif.



Ravie de pouvoir discuter de ce livre avec l'auteure bientôt.
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